La semaine dernière, le Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD) a publié à Abidjan son rapport phare intitulé Perspectives de l’Économie Africaine 2019 ou African Economic Outlook en anglais. Cette publication, édité depuis 2003 par l’institution de développement, est au cœur de la stratégie du groupe car elle permet de retranscrire sa vision de l’économie africaine pour l’année à venir.

Les Perspectives mettent l’accent chaque année, sur un enjeu global de l’économie africaine. L’édition de 2019 est alors centrée sur la question de l’intégration régionale, après que la Banque se soit épanchée, en 2018, sur les questions liées aux infrastructures et leur financement.

Nous nous sommes penchés sur ce document fort intéressant, et vous livrons quelques enseignements à retenir sur l’économie tchadienne. Regardons le Tchad de l’œil de la BAD.

1. L’économie tchadienne se redresse

C’est le premier enseignement à tirer de la parution. La performance économique du pays, évaluée par le taux de croissance du PIB s’est nettement améliorée. Le pays qui sortait d’une récession en 2017 (-3,8% de croissance) devrait connaitre une croissance positive de 2,8 %. De plus, cette croissance tampon devrait être la base d’une embellie économique annoncée. Cette prévision de croissance était faite également par la Banque mondiale pour l’année 2018. La BAD estime à 4,2 % la croissance du pays pour 2019 puis 5,8 % en 2020. Notons par ailleurs que la Banque établit ses prévisions sur le PIB réel, nous laissant ainsi présager une croissance en compte courant plus forte encore (l’inflation étant estimée à 2,1% cette année). S’agissant des raisons, plusieurs pistes sont évoquées par l’institution, parmi lesquels la hausse des cours du pétrole qui a d’ailleurs eu un impact très significatif sur l’amélioration de la balance commerciale (solde exportations et importations). Cette dernière bondit à 8,4% du PIB après avoir été limitée à 3% en 2017.

2. … mais sa performance est plus faible que la moyenne

Si l’on essaie de lire au-delà de ces bonnes nouvelles, des enseignements peu reluisants s’imposent. La croissance du pays estimée à 2,8 % reste loin de la moyenne africaine. En effet, les estimations de la BAD pour l’année 2019 établissent un taux de croissance moyen de l’économie africaine de 3,5% (quasiment le même taux que l’année dernière). En fait, le Tchad n’est classé qu’à la 40ème place des pays selon le taux de croissance économique sur la période 2017-2018, très loin derrière la Libye et l’Ethiopie, meilleurs élèves. Néanmoins, il faut le nuancer, la performance tchadienne est bien meilleure à la plupart des pays pétroliers du continent comme le Nigéria, l’Angola, l’Algérie, le Gabon et la Guinée Equatoriale qui font bien moins. D’ailleurs, le pire élève en matière de croissance économique en Afrique en 2018, n’est rien d’autre que la Guinée Equatoriale, économie rentière et ultra dépendante, qui clôture l’année avec une croissance négative de -7,9 %. Deuxième chose, la croissance prévisionnelle du Tchad pour 2019 (+4,2%) devrait cette fois, s’établir au-dessus de la moyenne du continent (+4%).

3. … et contribue (très) peu à la croissance du continent

Autre élément, la performance du Tchad impacte très peu celle du continent. Rien à apprendre de nouveau pourrait-on dire vu le faible poids économique du Tchad en Afrique. En compilant ses données, la BAD détermine l’apport de chaque zone géographique à l’économie africaine. L’Afrique Centrale est la région qui contribue le moins à la croissance africaine derrière respectivement l’Afrique du Nord, de l’Ouest, de l’Est et enfin l’Afrique Australe, dont la performance est plombée par la conjoncture désavantageuse de l’Afrique du Sud, désormais troisième économie du continent. De façon chiffrée, la croissance de l’Afrique Centrale (2,2%) contribue presqu’à 0,1 point de pourcentage de la croissance du continent (3,5%) soit près de 2,86 % seulement de contribution. En comparaison, cela représente moins que la contribution de l’Ethiopie ou de l’Algérie (qui ne sont pas les plus gros contributeurs). Cette situation ne devrait pas changer à moyen terme (d’ici à 2020).

4. Les recettes de l’Etat pourraient être meilleures que prévues

Au détour de la publication de la BAD, il est fait mention des perspectives concernant le prix du pétrole. L’institution basée à Abidjan, annonce une forte volatilité à court terme du prix du pétrole qui peut expliquer 7 à 21 % des potentielles perturbations à venir dans l’économie africaine. Néanmoins, le groupe s’aligne sur la tendance générale estimant un prix du pétrole qui devrait se stabiliser aux alentours de 70 dollars. Cette estimation est supérieure de 5 dollars, aux estimations (précautionneuses) sur lesquelles a été établi la Loi de Finances 2019. Cette Loi de Finances tablait déjà sur des recettes tirées du pétrole (fiscales et autres) de 360,628 milliards de francs CFA avec un prix du pétrole de 65 dollars. Il serait peut-être simpliste d’anticiper un niveau de recettes supérieur à celui attendu par le gouvernement, en se basant que sur ce chiffre, mais c’est une donnée à ne pas négliger quand on sait le poids de l’économie pétrolière sur notre performance globale. D’autant que la probabilité d’une dépréciation de l’EUR/DOL (amélioration du dollar par rapport à l’euro) est forte et se traduirait, toute chose égale par ailleurs, par une bonification des recettes pétrolières (le pétrole étant vendu en dollars).

5. Le risque de surendettement du Tchad est minimisé

Le document reconnait également un désengagement de l’Etat sur l’année (même en matière d’investissement) afin de faire face à la dette, à l’exemple de nombreux pays pétroliers. Ces choix ainsi que l’amélioration de la rentabilité financière de l’Etat (qui pourrait découler du secteur pétrolier) conduisent la banque à classer le Tchad parmi les pays à risque de surendettement faible. L’institution allant même jusqu’à classer le Tchad parmi les économies à croissance stable (en se basant sur l’évolution de son solde budgétaire). Malgré une hausse généralisée du niveau de la dette sur le continent, le Tchad ne faisant pas exception, seul seize pays en Afrique ont atteint un niveau d’endettement critique aux yeux de la BAD. Et le Tchad n’en fait pas partie. La série de dettes auxquelles s’est récemment exercé le Gouvernement tchadien (et qui aura semé le doute dans l’esprit des observateurs) semble encore supportable. A moyen et long termes, le cas tchadien s’aligne dans la droite ligne de la tendance de l’Afrique. A savoir : un endettement en hausse mais un risque de surendettement négligeable. Le risque systémique de crise de la dette est donc à écarter.

Notre liste d’enseignements n’est pas exhaustive. Elle n’est peut-être pas non plus la plus importante qu’on puisse tirer du document, tellement les domaines abordés sont immenses. La portée de ce rapport, attendu et exploité par toute la communauté financière africaine et internationale, nous appelle à l’exploiter encore d’avantage pour en tirer le maximum.