PORTRAIT – Dans le cadre de la célébration de la journée des personnes handicapées, Tchadinfos.com vous dresse les portraits de quelques gens vivant avec un handicap. Nous allons à la rencontre de Djimet Nangtour, aveugle avec le rêve d’être magistrat.

Il voulait faire tout ce que les enfants de son âge faisaient. Courir partout, jouer au football, aller où bon lui semble. Mais la famille l’empêchait de peur qu’il finisse sa course dans un mur. Une inquiétude que Djimet Nangtour ne comprenait pas. L’adolescent ignorait qu’il avait une déficience visuelle. À trois mois de son premier anniversaire, le bébé tombe malade. A la suite on diagnostique qu’il est atteint de la varicelle. Une maladie qui le cloue au lit, le ronge et finit par lui ôter la vue pour toujours.

Il admet son handicap sans comprendre les raisons. “Le véritable handicap est l’environnement, il va falloir travailler son environnement, pour qu’il puisse être propice et inclusif et il y a plus d’handicaps”. C’est avec cette philosophie encrée en lui qu’il a passé son enfance à toute épreuve.

Dans ce mur de l’ONG Humanitaire Inclusive, le trentenaire est agent d’appui aux organisations des personnes handicapées. Toutefois, il longe ces marches d’escalier pour accéder à son espace au niveau deux du bâtiment. Sans trébucher sur ses pas, il nous conduit dans la pièce qu’il occupait depuis 2018. Parmi les cinq bureaux dans l’immense salle, il se dirige vers le sien. Il tire la chaise et prend place avec délicatesse. Sur sa table de bureau, un ordinateur, un téléphone, un écouteur, et des paperasses font décor.

“Le handicap n’est pas une fatalité. Je vague normalement à mes occupations, j’utilise des outils de communication comme les réseaux sociaux”

Djimet Nangtour

Le licencié en droit privé a voulu être magistrat. Un rêve d’enfance qu’il a commencé par forger au centre spécialisé, chargé de la formation et la scolarisation des personnes handicapées visuelles. Un désir qu’il a porté en lui pendant tout son cursus scolaire. Du centre où il a appris à écrire en braille, à l’école catholique associée de Kabalaye en passant par le lycée Sacré-cœur jusqu’à l’université Hec Tchad, il avait ce souhait en lui.  Son ultime but était de défendre les personnes handicapées.

Ce souhait prenait forme quand il eut un stage académique au Palais de justice de N’Djamena. Là-bas, Il a assisté à des audiences, il a entendu des plaidoiries, et côtoyait des hommes en robe tout le temps. À la fin de son stage, le futur magistrat attend son intégration à la Fonction publique, mais en vain. La lassitude finit par prendre le dessus. Un matin, il décroche une embauche à l’organisation humanitaire inclusive.

” C’est pratiquement le même rêve, étant ici, je fais ce qu’on appelle plaidoyer pour des personnes handicapées que j’ai voulu faire à la magistrature”

Djimet Nangtour

Les regrets d’un rêve brisé ne sont pas perceptibles sur son visage innocent. Moins les préjugés autours des personnes handicapées ne semblent l’affecter profondément.  “Il faut que les gens enlèvent de leur tête qu’une personne handicapée est incapable de tout faire. Nous sommes capables de faire ce que les autres font“, martele-t-il avec un ton de colère.

“Des personnes handicapées font tellement d’efforts. Il faut que l’Etat les appuie. On ne demande pas des dons, il faut simplement chercher à nous insérer de manière durable, qu’on arrête de nous donner des riz, du sucre, une fois par année comme on ne vit que de ça“, s’emporte Djimet Nangtour. Sa rage s’atténue peu à peu dans sa voix.

Il sourit à nouveau. Le bel homme à la peau noire lâche à voix éclatée qu’il a envie maintenant de fonder sa petite famille à lui.  Et nous dit discrètement avec émoi qu’il cherche une personne qui va avec lui.