«Ibni Oumar Mahamat Saleh, Ngarlejy
Yorongar et Lol Mahamat Choua auraient été
arrêtés» !
Quand RFI donna la nouvelle pour la première
fois, je n’en mesurai pas encore la portée.
Comme beaucoup, j’étais persuadé que
l’histoire du Tchad allait retenir ces dates des 2 et
3 février, principalement comme celles du second
assaut spectaculaire de l’opposition politicomilitaire sur N’Djamena.
Resté à Khartoum, pour causes de problèmes
internes, alors que mes compagnons allaient à
l’assaut du pouvoir, le plus important sur le
moment, c’était de rester accroché au téléphone
pour suivre l’évolution des opérations.
Ce n’est que plus tard, au fil des semaines,
quand les indications s’accumulèrent progressivement pour nous infliger la tragique,
l’inacceptable vérité : Ibni Oumar avait été enlevé à son domicile par les forces
gouvernementales, sauvagement battu devant ses proches, jeté comme un sac, sur la
plate-forme d’un véhicule militaire, puis assassiné; ce n’est que plus tard donc, que je
réalisai que ce crime d’État allait s’imposer comme l’événement historique marquant
de ce début février 2008, plus que l’épisode guerrier.
«Ibni »,c’était un ami de jeunesse, un compagnon de lutte, un collègue de travail ;
mais pour beaucoup de camarades de notre génération, celle qui fut au collège au
lendemain de l’indépendance, et trouva -politiquement- son «Chemin de Damas» dans
le mouvement étudiant des années 70, sous les régimes Tombalbaye et Malloum, Ibni
c’était tout cela, mais bien plus que tout cela : une part de nous même ; la part la plus
fraîche, la plus authentique et la plus précieuse de nous-mêmes.
Une bonne tranche de ma vie personnelle et militante, les étapes les plus
significatives de ma prise de conscience, ma formation politique, mes engagements
pour toute une existence, sont intimement imbriqués à ceux d’Ibni, avec, il faut le dire
des phases de fusion mais aussi de partition.
Sa disparition aussi brutale, aussi lâche (et encore inexpliquée par maints aspects),
il y a cinq ans maintenant est, pour nous tous, ses amis de jeunesse, ses vieux
compagnons de lutte, un traumatisme personnel, avant d’être l’événement politique
de portée nationale et internationale qu’il est pour le public. C’est un point de bascule
dans nos vies particulières, comme une transgression incestueuse, dont nous devons
porter les effets ravageurs pour le restant de nos jours.
Notre première rencontre.
C’était durant l’année 1969. J’étais en terminale au lycée Félix Éboué de
N’Djamena. Il y avait le championnat annuel d’athlétisme du Tchad. Les concurrents
étaient essentiellement des collégiens et lycéens de toutes les régions. Cet événement
était une occasion pour les jeunes des différents établissements de découvrir la
capitale et de faire connaissance avec leurs collègues des autres parties du pays. DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 2 sur 8
L’école jouait encore son rôle de creuset national et de lieu de brassage
transrégional et trans-ethnique. Tous ceux qui étaient au collège, jusqu’au début des
années 70 vous le diront : on ne connaissait à l’époque ni Nord, ni Sud, ni ethnies,
régions, ni religions.
Ibni était dans le groupe d’Abéché. Il concourrait pour l’épreuve du saut en
hauteur, ainsi que son grand frère Mahamat. Il finit dans les tous premiers. C’était un
grand sportif. Quand il vint à Orléans pour ses études universitaires, il eut à participer
aux championnats régionaux, mais malheureusement, Il arrêta très rapidement un
parcours de sportif amateur qui l’aurait mené assez loin.
Nous nous sommes rencontrés chez un notable de sa région d’origine (Biltine), à
l’occasion d’un rassemblement familial dont je ne me rappelle plus l’objet (baptême
probablement).
Au cours des présentations un ami plaisanta : « Attention, vous avez, à ma gauche
Ibn Oumar le matheux, à ne pas confondre avec à ma droite, Ibni-i-i Oumar le
matheux ». Cette ressemblance de noms et la similitude des parcours, jusqu’à la
participation dans le même gouvernement, fut la source de beaucoup de plaisanteries
et aussi de confusions moins drôles. (« Je vous présente notre ami tchadien Acheikh
Ibn-Oumar », « Ah bon, c’est lui ? Il a été libéré finalement ? »).
Plus d’une fois j’ai eu à expliquer qu’Ibni et moi avons été baptisés d’après le
même personnage : le Cheikh Ibn Oumar al-Tidjani (petit-fils du Cheikh Ahmad alTidjani, le fondateur de la confrérie). Sur son chemin vers le pèlerinage à la Mecque, il
avait fait deux passages retentissants au Tchad et au Soudan, et beaucoup d’enfants
nés entre 1949 et 1953 avaient été baptisés de son nom, en son honneur ; comme
par exemple le parlementaire et hommes d’affaires soudanais Sheikh Ibn Umar Yusuf
Idriss, assassiné à N’Djamena, en 2003.
Le père d’Ibni, Alhadj Mahamat Saleh Yakoub, était un fervent tidjaniste et la
famille était réputée descendre du Cheikh Abdalkarim Djameh, qui renversa la
dynastie toundjour et fonda la dynastie royale « abbassiyé » du Ouaddaï, au début du
17è siècle.
Pour revenir à cette première rencontre avec Ibni, ce qui m’avait frappé d’emblée,
c’était son silence. Il parlait très peu, et quand il le faisait, n’élevait jamais la voix. En
même temps, il se dégageait de son silence, de sa voix très douce, presque
chuchotante, de ses gestes lents, une espèce de force, de sérénité même, qui vous
contaminait tout de suite.
Au fil de sa maturation sociale et politique, ce caractère devait s’affirmer
progressivement, comme le secret de son charisme atypique : une intelligence et une
intégrité exceptionnelles, enveloppées dans un « minimalisme » langagier, gestuel et
même vestimentaire.
Économie des moyens, sobriété, discrétion, c’était les traits essentiels de sa
personnalité dans tous les aspects de sa vie : en famille, au travail, dans les débats
politiques, dans les loisirs…
C’était comme si le mathématicien qu’il était, se concentrait sur les données
essentielles et écartait tous les artifices et décors.
Ils étaient quatre à m’avoir particulièrement marqué par ce type de personnalité
dense et modeste à la fois : Ibni lui-même, et les défunts Dr Noukouri Goukouni, Nadji
Bassiguet, et Ousman Gam.DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 3 sur 8
Le mouvement étudiant en France
Mais nous ne nous sommes vraiment connus qu’en France, à partir de 1970.
A l’époque, nous étions moins de deux cents étudiants tchadiens sur tout le
territoire français, et formions une colonie compacte.
L’association estudiantine
i
(voir note en fin de doc.) regroupait la grande majorité
des compatriotes, et les réunions, congrès, conférences-débats, meetings de soutien
aux mouvements de libération en Afrique (colonies portugaises, Afrique du sud) et
ailleurs (Viêt-Nam, Palestine, Amérique Latine etc.), étaient organisés régulièrement
avec d’autres groupes africains ou français.
Dans ces années 70, les milieux universitaires, dans le monde entier, étaient
largement sous l’influence des idées révolutionnaires, dans la foulée des révoltes
étudiantes de mai 1968; et l’idéologie marxiste, dans ses différentes variantes, était le
cadre intellectuel de la réflexion et de l’engagement, même chez ceux qui ne s’en
réclamaient pas ouvertement.
Le Frolinat qui était encore un ensemble quasi homogène présentant toutes les
apparences d’un mouvement de guérilla révolutionnaire tiers-mondiste, s’imposa
rapidement comme notre référence, en termes d’engagement. Après le congrès de
décembre 1971, l’ASETF, sous la présidence du défunt Pierre Modingaral, adopta une
résolution solennelle de reconnaissance du Frolinat ; en tant qu « ’incarnation des
aspirations populaires ». Ironie du sort, notre camarade Modingaral fut tué par les FAN
pendant les événements de février 1979.
Toutefois entre la prise de conscience et l’engagement pratique il y avait une
certaine gradation.
A l’association estudiantine, en tant qu'”organisation de masse”, incombait la tâche
de la sensibilisation et de la formation politique.
Le travail de popularisation des luttes révolutionnaires au sein de l’opinion et de
solidarité avec les peuples opprimés, était plutôt la mission des groupes de
sympathisants français tiers-mondistes, appuyés par nous. Dans la multitude des
comités de soutien, centres d’études, etc. à vocation tiers-mondiste, il faut
mentionner, une association spécifiquement dédiée au soutien à la lutte du Frolinat, le
GIT (Groupe Information Tchad), créé à l’initiative du Dr Jacques Guidée. Ce dernier
habitait à Orléans comme Ibni et animait au départ un réseau de soutien au front
POLISARIO. Notre ami Guy Labertit était parmi les principaux animateurs du GIT.
Les conférences, meetings, etc. étaient tenus régulièrement, en particulier pour
commémorer la création du Frolinat ( du 22 juin 1966) et la mort du fondateur
Ibrahim Abatcha (18 février 1968) dont les posters ornaient les murs de toutes les
chambres .
Quant à l’engagement organique, l’adhésion au mouvement révolutionnaire
proprement dite, cela vint un peu plus tard, de façon clandestine, à travers des
réseaux cloisonnés, constitués sur la base de la proximité géographique et des
affinités personnelles.
Alors que les « débats idéologiques» enflammaient toutes les retrouvailles, Ibni se
distinguait par un engouement très limité pour les joutes orales. Ses interventions
étaient rares, calmes, simples, sans recherche d’effet oratoire, mais faisaient
immanquablement mouche. De fait, il ne se « lâchait » réellement que dans les tâches
pratiques : préparer et coller des affiches, organiser les collectes, les projections de DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 4 sur 8
documentaires sur les mouvements révolutionnaires, rédaction et distribution de
brochures, etc.
Parmi les ténors du révolutionnarisme estudiantin, émergeaient déjà les futurs
chefs d’État Alpha Condé et Laurent Gbagbo, et avec ce dernier surtout, Ibni, avait
tissé de solides liens.
La brève expérience du “terrain” Frolinat
En rentrant au Tchad, à la fin de leurs études, les camarades devaient rejoindre les
cellules clandestines du Frolinat, d’autres avaient essayé de créer des groupes ex
nihilo. Ceux qui étaient « grillés » et qui craignaient pour leur sécurité avaient décidé
de ne pas renter au pays et/ou de rejoindre les maquis.
Les frères Adoum Yacoub, puis feu Mahamat Ali Younousmi (dit « Jackson ») puis
moi-même (1977), furent les premiers à aller sur le terrain, via la Libye, qui servait
déjà de base arrière.
Ici, je dois ouvrir une parenthèse, c’est celle de la constitution d’un groupe
autonome clandestin au sein du Frolinat, sous l’appellation de GMC (Groupe Mahamat
Camara). Dans le noyau initial de concertation où fut élaborée l’idée de la création du
GMC, le choix d’Ibni comme premier coordinateur, s’imposa spontanément et
unanimement comme une chose évidente. Le GMC se ramifia dans les autres pays,
surtout en URSS et au Congo-Brazza, par des cellules clandestines, très cloisonnées,
dont les membres ne se connaissaient pas. Nous avions préféré ce groupe autonome
au sein du Frolinat, par ce que nous avions des réserves par rapport à la direction
centrale du mouvement incarné par le Dr Abba Siddick. Notre camarade Adoum
Yacoub qui était parti, en 1973, se mettre à la disposition de la direction à Alger où
était le principal bureau extérieur, dut démissionner, en protestation contre des
incidents graves survenus au sein de combattants dans l’Ennedi, et revenir
précipitamment en France.
Par une espèce d’omerta qui ne se justifie plus aujourd’hui, les membres du GMC
n’ont jamais voulu parler de cette expérience, prolongeant l’esprit de clandestinité
révolutionnaire originel. La seule mention publique fut celle d’un article paru en 2009,
sur le site “bololo.net”(certainement rédigé par le Dr Mamouth Nahor) sous le titre:
“Ibni Oumar Mahamat Saleh et le Groupe Mahamat Camara ou GMC”. Le site
Bololo.net a fermé depuis, mais l’article est encore consultable sur :
http://www.tchadenligne.com/article-34861741.html
Ibni et d’autres camarades (feu Nadji Bassiguet et Manassé Guealbaye) nous
rejoignirent en 1978. Entretemps le Frolinat avait pris la ville de Faya-Largeau et Fada,
« libérant » d’un coup tout le territoire du BET (mars 1978).
Malheureusement au moment où ces derniers devaient franchir la frontière tchadolibyenne, les affrontements extrêmement violents éclatèrent au sein du Frolinat, sur
fond d’antagonisme tribal gorane/arabe.
Les camarades Ibni, Nadi et Manassé ont failli tomber dans une embuscade dans la
région d’Ounianga et ont dû rebrousser chemin vers Koufra. Puis finalement
retournèrent en France, assez déstabilisés par ces déchirements.
A partir de là, nos chemins divergèrent quelque peu.
Ibni et les autres camarades choisirent l’exile, nous autres décidâmes de continuer
à rester au maquis malgré les fissures dans le mouvement, et le cours assez décevant
que commençait à prendre la lutte du Frolinat qui atteignit son paroxysme avec le
fractionnement du Tchad en “tendances politico-militaires”.DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 5 sur 8
Leur récit jeta un certain froid sur l’enthousiasme révolutionnaire pro-Frolinat dans
le mouvement étudiant, lequel était déjà assez ébranlé par la fracture antérieure, celle
entre les mouvances Goukouni et Habré (fin 1977), par la réunification précipitée et
confuse au congrès de Faya qui écarta définitivement le Dr Abba Siddick au profit du
Goukouni Weddeye, et surtout par la prééminence croissante de la Libye de Kadhafi.
Ainsi, l’ASETF décida de retirer son soutien au Frolinat, malgré la résistance du bureau
présidé par le Dr Fidel Moungar qui fut en minorité et remplacé par celui de Bedoumra
Kordjé .
A partir de cette période (1978), nos rapports politiques s’étaient distendus, mais
nos liens personnels étaient maintenus par le courrier et les rencontres au cours de
voyages. Nous nous concertions sur tous les aspects de l’évolution politique, moimême et les autres collègues qui étions restés dans “les Frolinats”, et lui en tant
qu’observateur plus que concerné ; concertation naturelle, dans la mesure où, malgré
les positionnements conjoncturels divergents, nous partagions toujours l’idéologie
révolutionnaire, le même cadre d’analyse et la même vision pour le futur : un régime
progressiste et populaire au Tchad.
L’exile, puis le retour pays, sous le régime Habré
Pendant la période trouble qui marqua le Tchad à partir de la guerre civile de
février 1979, puis la prise de pouvoir par Hissène Habré, Ibni ne pouvant renter au
s’installa en Algérie (1979-1980) puis au Niger (1980-1985), comme prof de maths à
l’université Abdou Moumouni de Niamey avant de répondre à l’appel à l’appel du
président autoproclamé Hissène Habré. Il rentra au Tchad en 1985.
Moi-même, après avoir guerroyé contre le pouvoir de Habré dans le cadre du
GUNT, du néo-GUNT et du CDR, fit le même chemin, après l’Accord de Bagdad du 29
novembre 1988, signé, pour le gouvernement tchadien, par feu Brahim Mahamat Itno.
Donc, ce fut une autre phase de notre compagnonnage, en tant que ministres dans
le même gouvernement (mars 1989 – décembre 1990).
Quand je le rejoignis dans le gouvernement, en tant que ministre des Affaires
étrangères, il était ministre de l’enseignement supérieur. Et, après la disparition
tragique de notre collègue Mahamat Soumaïla, dans l’explosion de l’avion DC10 d’UTA,
au dessus du Niger, en septembre 1989, il remplaça ce dernier à la tête du ministère
du Plan.
Notre complicité d’antan, qui avait très bien résisté au temps et aux différences des
parcours, ainsi que l’imbrication des dossiers entre nos deux départements
ministériels, nous avaient amenés tout naturellement à développer des rapports de
travail denses et harmonieux. La mission principale du ministre du Plan, n’étant pas
tant la planification proprement dite que la mobilisation des organismes et pays
partenaires en développement, beaucoup de dossiers et de missions, liés à la
Coopération internationale, sollicitaient une « cogestion », souvent problématique,
entre les deux ministères.
La période MPS
L’arrivée du MPS en décembre 1990, modifia un peu la configuration. L’instauration
du multipartisme, l’amena à fonder le parti PLD, alors que de mon côté, je ne voyais
pas l’opportunité de m’engager dans cette phase de multipartisme. Cependant, j’ai
suivi de près les différentes phases de l’évolution initiale du PLD, et tout en
n’appartenant à aucun parti, je me considérais comme sympathisant, et j’étais associé DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 6 sur 8
à la concertation et aux discussions très vives à l’époque sur les différentes questions
liées à l’organisation interne du parti naissant et son positionnement tactique.
En fait, j’étais directement impliqué dans la phase de gestation. Quand les partis
commencèrent à essaimer, à partir de 1991, beaucoup de cadres, dont Ibni et moimême, pensaient qu’il fallait éviter de se précipiter dans cette voie politicienne, mais
commencer par former un groupe de réflexion pour canaliser le maximum d’énergies
intellectuelles sur une base élargie.
C’est ainsi que fut mis sur pied le « Forum pour le Développement ».
Après des réunions préparatoires qui regroupèrent quelque trois cent cadres, je fus
nommé ambassadeur aux USA (1992). Au cours d’une mission d’Ibni auprès de la
Banque mondiale et du FMI à Washington, il m’informa que beaucoup de membres du
« Forum » s’étaient démobilisés, et que le noyau restant avait décidé d’abandonner la
voie du groupe de réflexion que nous avions choisie au départ, pour se muer en parti
politique. Quand je revins au Tchad, pour assister à la Conférence nationale (CNS), en
janvier 1993, le PLD avait déjà été formé.
La suite de son parcours politique en tant que chef de parti, candidat aux
présidentielles, ses entrées et sorties du gouvernement, son rôle de coordinateur de la
CPDC, jusqu’à cette fatidique soirée du 03 février 2008, est assez connue, et je n’ai
pas à m’y étaler dans le cadre de ce témoignage à tonalité personnelle.
Il est indéniable que le bilan critique de l’action politique de notre génération reste
à faire.
Pour ma part, ayant été sur le devant de la scène à l’époque de la guerre inter
tendances, puis sous le gouvernement Habré et enfin celui de Déby Itno, je suis tenu à
un devoir d’explication, d’autocritique, voire de contrition.
Mutis mutandis, cela concerne aussi Ibni : l’hommage légitime qui lui est dû, la
« sanctification » politique de son personnage, ne doit empêcher un jugement de ses
choix tactiques et ses éventuelles erreurs, particulièrement en tant que chef de parti.
Refuser la seconde mort d’IBNI
La mort physique est la conclusion normale de chaque existence. Cependant, elle
nous paraît toujours injuste et prématurée, même quand elle intervient de façon
naturelle, à un âge très avancé.
Dans le cas d’Ibni, la mort l’a grandi. Ses qualités humaines, scientifiques et
politiques ont été comme révélées par le vide qu’il a laissé. Son martyre est devenu
l’emblème de tous les assassinats politiques au Tchad. La date de sa disparition (03
février) est en train de devenir une référence pour rendre hommage, au-delà de sa
personne, à toutes les victimes des assassinats politiques au Tchad : Me Joseph
Behidi, Bichara Digui, Mamadou Bisso, Moïse Ketté, Abbas Koty, pour ne citer que
ceux-là.
Aussi, son image est en train de s’installer dans le panthéon tchadien comme le
modèle même de l’intellectuel compétent et consciencieux, et du leader politique
intègre, patriote ; une référence, un modèle pour la génération montante.
C’est là que le régime réalise qu’en le tuant, il l’a rendu encore plus grand, plus
mobilisateur, qu’en le tuant il l’a rendu plus vivant !
Au lieu que cela les amène à se rendre compte de la gravité de leur faute, et
d’essayer de réparer ce qui peut l’être, les tenants du pouvoir, sont obsédés par la
désir de tuer le symbole, après avoir tué la personne physique.DISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 7 sur 8
A cette occasion, je ne m’empêcher de penser à un autre grand martyr de la cause
tchadienne, le Dr Outel Bono, assassiné en Paris, en août 1973, par un ex-agent
français très probablement pour le compte du régime Tombalbaye; le parcours et la
personnalité de ces deux grands fils du Tchad présentent beaucoup de similitude.
Les deux principaux moyens pour tenter de tuer le symbole Ibni, c’est d’abord
d’enterrer l’enquête, en espérant qu’avec le temps, l’oubli va s’installer, et ensuite de
tenter de brouiller la nature humaniste, pacifique et laïque de son message, afin de
discréditer son héritage politique.
Nous ne devons pas nous rendre complice de cette seconde tentative
d’assassinat.
Et pour ce faire, nous devons:
*Lutter contre l’oubli.
*Militer pour que le pouvoir
– Reconnaisse sa responsabilité, établie par la commission d’enquête dans
son rapport depuis juillet 2008,
– Remette sa dépouille pour que sa famille fasse son travail de deuil, et
– Prenne des mesures symboliques de reconnaissance et d’hommage.
*Faire vivre son héritage politique, en popularisant ses principes et ses
idéaux.
*Lutter jour et nuit pour réaliser son rêve d’un Tchad débarrassé du
tribalisme, du confessionnalisme, de l’enrichissement illicite et de la
confiscation du pouvoir.

C’était l’ASETF (Association des Stagiaires Étudiants Tchadiens en France) qui était une section de l’UGEST (Union Générale des
Étudiants et Stagiaires Tchadiens – regroupant les associations à travers le monde) et aussi une section de la FEANF
(Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France).
L’ASETF et la FEANF étaient repartie en section, suivant les académies. Et la section d’Orléans, dans laquelle militait Ibni, bienDISPARITION D’IBNI, TÉMOIGNAGE PERSONNEL, par Acheikh Ibn-Oumar Page 8 sur 8

Le blog personnel d’Acheikh Ibn-Oumar