À cause de la guerre en Ukraine, le spectre d’une famine aiguë planerait sur les pays africains, malgré d’énormes potentialités agricoles. Mais avec un peu de recul, il semble que la crise alimentaire annoncée n’est pas nouvelle et que c’est l’oligarchie africaine, très consommatrice des produits étrangers, qui est plus concernée. 

« Aucun homme ne peut être qualifié d’homme d’État, s’il est totalement ignorant des problèmes du blé », disait Socrate. La citation du philosophe de la Grèce antique est reprise par presque tous les médias du monde depuis que la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine, le 24 février 2022, dont l’une des conséquences serait d’avoir entrainé le monde dans une crise alimentaire. Grâce à une alchimie géopoliticienne pro ukrainienne très active, le sujet est même devenu le nouveau coronavirus. Touchés, très peu touchés ou pas touchés par la crise, les pays africains sont appelés à s’aligner…

Prenant donc la mesure de l’importance du blé et surtout du problème qu’il est devenu pour les pays d’Afrique, dans une déclaration relayée par l’AgenceEcofin sur sa page Facebook, le 14 juin, Paul Kagame a déclaré qu’ “il est inacceptable que l’Ukraine, un pays de 44 millions d’habitants, nourrisse l’Afrique, un continent de 1,4 milliards d’habitants“.

Venant du très charismatique président rwandais, l’un des rares dirigeants clairvoyants de l’Afrique, connu pour avoir tiré son pays de l’abîme après la meurtrière guerre civile de 1994, cette déclaration doit inciter les Africains à réfléchir et à agir rapidement et autrement pour sortir l’Afrique, qui a mieux que n’importe quel continent, une population d’un âge médian de 18,7 ans (selon World population prospects, 2019), de sa dépendance alimentaire fâcheusement humiliante et rédhibitoire.

Selon un article publié par La Tribune  sur son site le 10 mars 2022, Ukraine, ce pays d’Europe orientale, « a exporté pour 2,9 milliards de dollars de produits agricoles vers le continent africain en 2020. Environ 48 % de ces produits étaient du blé, 31 % du maïs, le reste étant constitué d’huile de tournesol, d’orge et de soja ».

A titre de comparaison, « les pays africains ont importé des produits agricoles d’une valeur de 4 milliards USD en 2020, provenant de la Russie », rapporte le même média, qui précise que « 90 % de ces produits étaient du blé, et 6 % de l’huile de Tournesol. Les principaux pays importateurs étaient l’Egypte, qui représentait près de la moitié des importations, suivie du Soudan, du Nigeria, de la Tanzanie, de l’Algérie, du Kenya et de l’Afrique du Sud ». L’indice FAO des prix des produits alimentaire de renchérir en annonçant une hausse de 2,2% des prix des céréales en mai par rapport à avril 2022.

FAO FOOD INDEXE

Ces chiffres, censés établir la dépendance alimentaire de l’Afrique vis-à-vis de l’Ukraine, montrent qu’elle (l’Afrique) l’est encore plus à la Russie de Vladimir Poutine. Même si l’on ne le dit que trop peu…

Que l’Afrique, qui dispose des plus grandes ressources naturelles, se retrouve à sous-exploiter ses potentialités agricoles pour « aller crier famine » [même pas chez le voisin] à la porte d’un lointain pays européen, il y a là plutôt un problème de gouvernance qu’une simple conjoncture.

Mais, avec beaucoup de recul, il semble que la dépendance de l’Afrique des produits agricoles russes et ukrainiens est à relativiser. A voir (plus haut) la liste des pays africains importateurs du blé et du maïs de ces pays, sous réserve des données contraires fiables, qui n’existent peu pour le moment, on est tenté de dire que l’Afrique centrale, par exemple, en est très plus ou moins dépendante.

Le Tchad, par exemple, a déclaré, par décret pris le 1er juin dernier, « l’état d’urgence alimentaire et nutritionnelle ». Parce que la guerre empêcherait l’Ukraine de convoyer ses céréales vers nos marchés selon les médias occidentaux, cela a entrainé « la dégradation de la situation alimentaire et nutritionnelle » susceptible, selon les autorités tchadiennes, d’exposer les populations à un risque de famine si « aucune assistance humanitaire comprenant une aide alimentaire…. » n’est apportée. Tout est dit : le Tchad, qui dispose de 39 millions d’hectares de terres arables (dont 5,6 millions de terre irrigables), de 84 millions d’hectares de terres boisées…. » selon Le Hub Rural, reprenant les informations relayées par Afriquinfos.com, est incapable de se prendre en charge alimentairement. Au point de tendre la sébile.

La vérité est que la population tchadienne est à 80 % rurale. Et les paysans ne se nourrissent pas de produits céréaliers russes ou ukrainiens. Les repas journaliers de la majorité des Tchadiens sont faits à base du maïs, du mil, du sorgho, du riz, de l’arachide…produits localement. Par contre, dans les villes, oui ; le pain, par exemple, est fait de farine de blé ukrainien, russe, etc. Mais toujours est-il que le pain demeure l’aliment des ménages urbains ayant des ressources moyennes. 

D’ailleurs, la famine est endémique au Tchad. Comme le témoigne la présence permanente, depuis des décennies, des organismes humanitaires étrangers dans certaines provinces, avec pour mission première d’assister alimentairement les populations. Qui ne connaît pas le Plumpy nut, l’aliment thérapeutique très répandu dans nos villages et villes, destiné à la réhabilitation nutritionnelle des enfants dès la naissance ? En conclusion, ce sont des pays d’Afrique quelque peu riches et l’oligarchie africaine qui sont très consommateurs du blé russe et ukrainien. Pour l’heure, l’urgence consiste pour les dirigeants africains à sensibiliser leurs populations et à leur donner les moyens pour produire davantage afin d’éviter que nos pays ne dépendent éternellement des productions étrangères.