Le contrôle sur les véhicules, déclenché le 24 août par l’administration des douanes et la gendarmerie, est un nouvel acharnement contre les usagers, en violation de la législation douanière en vigueur en Afrique centrale.

Depuis le début de la semaine, les principaux ronds-points de N’Djaména, (rond-point double voie, rond-point Goudji, rond-point Palais du 15 janvier, rond-point Adoum Tchéré, rond-point Travaux publics), ainsi que le poste de péage à la sortie Nord et tous les parcs automobiles sont pris d’assaut par des 70 gendarmes et 70 douaniers, membres d’une commission mixte créée le 10 août 2020 par une décision du directeur général des douanes et des droits indirects, Abdelkerim Charfadine Mahamat, laquelle décision prise en application d’un arrêté conjoint des ministres des Finances et de la Défense. Leur mission : contrôler tous les véhicules automobiles en circulation ou en stationnement dans les parcs et/ou domiciles sur toute l’étendue du territoire national sur une durée de trois mois renouvelables. Tout véhicule saisi à l’occasion de ce contrôle n’est libéré que sur la base d’une mainlevée délivrée des seules mains du président du comité de pilotage, Abdelkerim Charfadine Mahamat en personne.

Pour les véhicules mis en circulation en 2016, il est exigé de justifier les documents de dédouanement. Pour les véhicules automobiles mis en circulation en 2017, 2018, 2019 et 2020, le contrôle porte sur tous les éléments de détermination de la valeur imposable et les quotités applicables.

Normalement, le contrôle porte sur tous les véhicules automobiles de type V8, Prado, Lexus, Hilux 4 portes, Land-Cruiser mis en circulation ces cinq dernières années, mais dans la réalité, il est étendu à tous les véhicules automobiles, même ceux portant des immatriculations militaires, administratives et temporaires.

Les juges des infractions douanières

Ce contrôle rappelle celui déjà effectué en 2016. Si l’arrêté conjoint qui l’a créé, place sa mission sous les dispositions des articles 75 et 76 du code des douanes Cémac, ce contrôle est contestable à plein d’égards. Les articles 75 et 76 précités sont relatifs aux visites domiciliaires et au droit de communication particulier à l’administration des douanes.

Cependant, le code des douanes de la Cémac définit clairement les compétences et les règles de procédure en matière de contentieux douanier, selon la matière (compétence « ratione materiae ») et le lieu de la commission de l’infraction (compétence «ratione loci»). Les tribunaux de police connaissent des contraventions douanières et de toutes les questions douanières soulevées par voie d’exception (article 334). Les tribunaux correctionnels connaissent de tous les délits de douane et de toutes les questions douanières soulevées par voie d’exception ; ils connaissent pareillement des contraventions de douane connexes accessoires ou se rattachant à un délit de douane et de droit commun (article 335). Les tribunaux de première instance connaissent des contestations concernant le paiement ou le remboursement des droits, des oppositions à contrainte et des autres affaires de douane n’entrant pas dans la compétence des juridictions répressives.

Aussi, selon l’article 337, les instances résultant d’infractions douanières constatées par procès-verbal de saisie sont portées devant le tribunal du ressort duquel est situé le bureau de douane le plus proche du lieu de constatation de l’infraction. Les oppositions à contrainte sont formées devant le tribunal d’instance, dans le ressort duquel est situé le bureau de douane où la contrainte a été décernée.

Si les propriétaires de véhicules dédouanés de manière frauduleuse devraient être poursuivis, c’est devant le tribunal de première instance de N’Djaména et les autres siégeant dans les villes de province. Mais quand l’administration douanière viole le principe de la séparation des pouvoirs, s’érige en juge, traque des usagers des services publics dans la ville et les contraint à payer des amendes, ceci n’a qu’un seul nom : arbitraire !

Pis, alors que les catégories des véhicules à contrôler sont bien listées, n’importe quel véhicule est arrêté, son propriétaire soumis à toutes les tracasseries pendant 24 voire 48 heures et il sort de là après avoir déboursé 15.000 francs CFA pour une vignette à apposer sur son engin. Voilà une arnaque, faite en toute illégalité !

Délai de prescription

Par ailleurs, selon le code des douanes de la Cémac, « l’administration des douanes est non recevable à former aucune demande en paiement des droits, trois ans après que lesdits droits auraient dû être payés » (article 332). Cependant, l’article 333 tempère et précise que cette prescription de courte durée n’a pas lieu et devient trentenaire quand il y avant les termes prévus, contrainte décernée et signifiée, demande formée en justice, condamnation, promesse, convention ou obligation particulière et spéciale relative à l’objet qui est répété. Il en est de même lorsque c’est par un acte frauduleux du redevable que l’administration a ignoré l’existence du fait générateur de son droit et n’a pas pu exercer l’action qui lui comptait pour en poursuivre l’exécution.

Or, en l’espèce, les propriétaires des véhicules dédouanés il y a plus de trois ans, c’est-à-dire depuis août 2017, ne devraient pas être inquiétés si aucune poursuite n’a été engagée contre eux avant l’expiration du délai de prescription de trois ans, s’ils ne sont sous l’effet d’aucune condamnation et si rien ne prouve que le dédouanement frauduleux de leur faute. Un propriétaire d’un véhicule disposant d’une carte grise et de tous les documents afférents, peu importe la valeur du dédouanement, devrait contester les amendes de cette commission devant un tribunal.

La faute aux agents véreux

Le 25 janvier 2020, à l’occasion de la journée internationale de la douane, le directeur général des douanes et droits indirects avait critiqué les agents véreux qui « constituent un frein à tout changement ». « La plupart des agents de douanes n’ont toujours pas permis de mettre efficacement en œuvre les actions de réforme et de modernisation de la douane. En effet, l’hostilité d’une catégorie d’opérateurs économiques est la résultante d’agents véreux », avait déclaré Abdelkérim Charfadine Mahamat. « La douane tchadienne doit prendre conscience de la dimension profonde de ses missions », notamment en « renonçant à des pratiques déviantes et peu orthodoxes », « cela permettra d’apporter des réponses appropriées aux préoccupations des Tchadiens en les aidant à bâtir une société qui leur assure une santé prospère, une sureté et une sécurité ».

Dans son sillage, le directeur général du ministère des Finances et du Budget, Bidjere Bendjaki, avait aussi déclaré que les douaniers doivent « comprendre que les temps ont changé et que les défis du moment exigent qu’ils aient une autre vision de la douane et qu’ils opèrent très vite des changements dans leurs modes opératoires ». Conscient que « les moyens matériels et financiers ne suffisent pas à eux seuls pour impulser des changements », «il faut ainsi et surtout des hommes et des femmes honnêtes, compétents, déterminés et avec un sens de patriotisme à toute épreuve réaffirmé ». « Nous savons que de tels hommes et femmes, même s’ils existent, n’ont pas pignon sur rue à la douane tchadienne », avait-il reconnu.

Nettoyer ces écuries d’Augias

Aujourd’hui, les douanes n’offrent aucune sureté ni sécurité aux Tchadiens. Elles les traquent partout dans la ville pour des turpitudes commises sciemment par leurs agents. Si les minorations de valeurs, les glissements tarifaires, les fausses déclarations sont jugées recevables alors qu’elles ne sont accompagnées d’aucun document obligatoire, ce n’est pas de la faute des usagers. C’est de la faute de ces agents véreux qui pullulent au sein de ces régies financières. Le ministère des Finances et la direction générale des douanes doivent nettoyer ces écuries d’Augias au lieu de se rabattre à chaque fois sur les pauvres usagers. Ceux-ci ne peuvent payer pour les incuries et les défaillances des agents des agents des services publics : douanes, domaine, transports, police, etc. S’il y a des sanctions et amendes, ce sont ces agents qui doivent les endosser et non les usagers. Il faut arrêter cette arnaque organisée au nom de l’État !