N’DJAMENA, 21 novembre (Xinhua) — Depuis plusieurs mois, les Chambres africaines extraordinaires, siégeant à Dakar (Sénégal) et chargées de juger l’ancien dictateur tchadien Hissein Habré, ne cessent de réclamer le transfèrement de deux dignitaires de l’ ancien régime: Saleh Younous et Mahamat Djibrine dit “El Djonto”, alors que le Tchad refuse de les livrer, invoquant une procédure judiciaire interne en cours.

Une session criminelle spéciale de la cour d’appel de N’Djaména a été ouverte le week-end dernier pour statuer sur la responsabilité d’une vingtaine de responsables de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), l’ancienne police politique de Habré. Saleh Younous et Mahamat Djibrine font partie de ces personnalités accusées de tortures, barbaries, coups et blessures volontaires mortels, crimes, homicides involontaires, assassinats, vols ou escroqueries.

Saleh Younous, cadre de la Poste, a été directeur de la DDS à sa création en 1983 jusqu’en 1987. A ce titre, il a été chargé d’exécuter ou de faire exécuter toutes les activités de la DDS.

Mahamat Djibrine, lui, a dirigé le service contre-espionnage et la documentation. Il a été aussi membre de la commission d’investigation, puis chef du service dit “mission terroriste”. Il a été cité par toutes les sources comme l’un des bourreaux les plus redoutés.

Le 3 juillet 2013, Habré a été inculpé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture à Dakar où il vit depuis près de 24 ans. Cinq de ses anciens collaborateurs sont cités dans les faits à lui reprocher, y compris Saleh Younouss et Mahamat Djibrine. Trois autres dirigeants de la DDS restent en fuite.

Les Chambres Africaines Extraordinaires (CAE) près le tribunal hors classe de Dakar accusent le Tchad de ne pas vouloir coopérer dans la procédure du jugement de Habré.

Fin octobre 2014, le collectif des avocats des victimes de Habré se adjoint à cette dénonciation et qualifie même de mépris à l’égard de cette juridiction africaine le refus d’une nouvelle commission rogatoire en vue de procéder à l’inculpation et à l’interrogatoire de Saleh Younouss et Mahamat Djibrine.

Du côté de l’Etat tchadien, l’on soutient que les personnes visées par la commission rogatoire font déjà l’objet d’une procédure interne.

N’Djaména affirme pourtant avoir hâte de voir le procès de Habré se tenir le plus rapidement possible. Le 11 novembre, Me Robert Dossou, représentant spécial de la présidente de l’Union africaine (UA) pour l’affaire Habré, était venu à N’Djaména faire part au président Déby de la préoccupation de l’organisation africaine de voir les choses se dérouler “avec célérité”.

Au sein des associations des victimes du régime Habré, les avis divergent également sur le sujet. Pour le secrétaire général du Réseau des Associations des Droits de l’Homme du Tchad (RADHT), M. Djidda Oumar, “ce n’est qu’un respect de procédure, lorsque les personnes qui sont poursuivies localement doivent être jugées localement”.

“Avec ou sans extradition, Habré sera jugé et cela n’aura aucun impact sur les plaintes que les victimes ont portées au niveau des CAE”, estime-t-il.

Mais pour Me Lambi Soulgan, membre du collectif des avocats des victimes, le transfèrement de Saleh Younouss, qui aurait des ” choses à dire là-bas”, et de Mahamat Djibrine, poursuivi par plusieurs plaintes pour plusieurs arrestations, permettra d’avoir un complément d’informations.

“Dans le cadre de l’accord de coopération judiciaire avec le Sénégal, l’Etat tchadien doit exécuter ses obligations de faire partir Saleh Younous et Mahamat Djibrine pour les inculper et compléter ainsi l’instruction”, explique Me Soulgan.

L’accord de coopération judiciaire auquel il fait allusion, est soumis à l’approbation de l’Assemblée nationale du Tchad qui devra l’entériner ou non dans les prochains jours.

Même si N’Djaména refuse de livrer à Dakar les deux présumés complices de Habré, il reste une solution qui pourrait satisfaire tout le monde, selon M. Soulgan.

“Les CAE ont dit que, s’il y a un blocus pour que les deux hommes recherchés ou sollicités à Dakar puissent y aller, il y a cette possibilité de faire venir, sur place à N’Djaména, une équipe légère pour faire l’instruction, les inculper, rien que les deux, et repartir compléter l’information”, conclut-il.