Votre rubrique part ce dimanche à la rencontre de Nanadoumngar Labe Ricardo, animateur culturel et de radio, mais surtout militant du parti d’opposition Les Transformateur qui, pourtant est en deuil depuis l’annonce de la mort du président Idriss Déby Itno le 20 avril 2021.

En noir de la tête aux pieds. Rencontré le vendredi à l’Institut français où il travaille, Ricardo portrait un chèche, des habits, un cache-nez et des sandales tous noirs. Et c’est ainsi qu’il s’habille depuis l’annonce de la mort du président Idriss Déby Itno, le 20 avril 2021. Ce deuil, il entend le poursuivre jusqu’au premier anniversaire du décès du maréchal du Tchad.

Comment expliquer que celui qui milite depuis octobre 2021 dans le parti Les Transformateurs continue à porter le deuil de celui que son désormais parti a farouchement combattu ?

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Nanadoumngar Labe Ricardo considérait Déby comme son « père ». Ricardo nait, jumeau, le 28 septembre 1975, quelques mois après la mort, lors d’un coup d’Etat du premier président du Tchad, Ngarta Tombalbaye. Mais son jumeau va décéder quelques jours après leur naissance. Et ses parents vont rapidement se séparer. Avec la guerre de 1979, il se replie à Sarh avec sa maman Suzanne Kono Mbelmadal.

Sa maman revient à N’Djamena pour le concours des agents techniques d’élevage (il relève pour se féliciter que sa mère fut la première femme vétérinaire tchadienne).  Le petit Ricardo, qui est resté à Sarh avec le grand frère de sa mère, fait ses premiers pas à l’école catholique à Sarh avant de regagner N’Djamena. Sa mère qui était étudiante l’a confié à son père. Mais s’étant remarié, celui-ci confie à son tour l’enfant à sa grand-mère. Cette dernière, commerçante, faisait des va-et-vient entre la capitale et la province.

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Pendant cette période un peu instable de sa vie, Nanadoumngar Labe Ricardo se retrouve dans la rue. Après plusieurs tentatives, sa mère réussit à le récupérer au bout de deux ans. Entretemps, confie-t-il, son père qui avait maille à partir avec Hissène Habré s’est exilé à la prise de pouvoir de celui-ci en 1982.  Ricardo continue donc à grandir auprès de sa maman et de ses « frères en Christ » de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC). Il confie d’ailleurs que le rêve de sa mère et de son tuteur, l’aumônier des lycéens ainsi que de la JEC, le père François Degastines, était qu’il devienne prêtre. Ce qui n’était pas son rêve à lui. Après le bac, à la dernière rencontre où ils devaient s’engager pour aller au séminaire, Nanadoumngar Labe Ricardo démissionne. « Parce que je ne voulais pas être prêtre », confie-t-il.

Mais Ricardo dit avoir appris au sein de la JEC des valeurs qui l’amènent à dénoncer l’injustice et les inégalités dans la société. Une autre chose qu’il a acquise dans ce mouvement est le goût de l’animation. Grand animateur culturel et radio, il dit en effet avoir pris goût à la JEC. Déjà en 1996, il est allé à la recherche de son père à Cotonou et a profité de son séjour de trois mois pour passer un stage en animation dans une radio de la capitale économique du Bénin.

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Le virus de l’animation s’est emparé de Ricardo à telle enseigne qu’après son bac G1 en 1998, il n’ira pas au-delà d’un DEUG (diplôme d’études universitaires générales) en Droit. Il abandonne la fac pour animer régulièrement à la FM 92.5, la FM de la radio nationale qui vient d’être créée.

Depuis 2003, ce père de 8 enfants est animateur culturel, chargé de relations avec la presse et le public au Centre culturel français (CCF), devenu Institut français au Tchad (IFT). Le milieu culturel, Ricardo y nage comme un poisson dans l’eau. Il a été chanteur et compositeur dans les années 90 dans le groupe Ridicule. Il est producteur et manager. Il est aussi correspondant musical et artistique de la RFI au Tchad depuis 2002. En outre, il anime et présente de grands événements, aussi bien des concerts d’artistes de renom que diverses cérémonies, au Tchad et à l’étranger. Ricardo a également été directeur de la radio culturelle Harmonie qui a fermé ses portes depuis quelques années.

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Ricardo, qui a suivi plusieurs formations en France sous financement de l’ambassade de ce pays au Tchad, est syndiqué à la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Il est également militant du parti socialiste (PS) français.

Mais celui qui n’avait jamais milité dans un parti politique au Tchad décide en octobre 2021 d’adhérer au parti politique Les Transformateurs. Il dit avoir beaucoup d’amis du Mouvement patriotique du salut (MPS) mais n’y a pas adhéré parce qu’ils ont « pourri ce mouvement ». Il n’a pas non plus adhéré à l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) de son ami Saleh Kebzabo (dont il a donné le nom à un de ses enfants) car « le parti n’était pas vivant, alors que moi, je suis quelqu’un de vivant ».

Pourtant, le destin de Nanadoumngar Labe Ricardo n’était pas de faire partie des Transformateurs. Car, il avoue les avoir même combattus. Mais un événement lui fera changer radicalement de décision. Celui qui habite Farcha dans le 1er arrondissement se retrouve un matin chez un de ses amis non loin du siège du parti de Masra Succès dans le 7ème arrondissement de la capitale. Ce jour, se tenait une manifestation, réprimée par les forces de l’ordre. Comme ceux qui habitent aux alentours des locaux des Transformateurs, Ricardo aspire le gaz lacrymogène tiré par les policiers. Choqué, il est entré dans la manifestation et a décidé à partir de ce jour de militer dans ce parti.

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En dépit de sa désormais couleur politique, le fils de Nanadoumngar Ndouba fait le deuil de son « père » Idriss Déby comme il l’appelle. Pour lui, pendant les 33 ans d’exil de son père, il a vécu sous le règne d’Idriss Déby Itno, quelqu’un « d’humainement extraordinaire », une figure « mythique » pour lui. « C’est un père que j’ai perdu, c’est un patriarche que j’ai perdu. C’est sous son règne démocratique ou dictatorial (c’est selon), Déby est un papa pour moi. J’ai décidé de faire le deuil de ce monsieur, décédé 16 mois après le décès de ma mère. Après le décès de ma mère, je me disais que j’ai encore quelqu’un sur qui compter. Parce que, même si mon père était rentré, après 33 ans, je n’étais pas encore très lié à mon père et Déby est parti. Déby, c’est un père qui ne quittera jamais mon esprit », se désole-t-il.

Nanadoumngar Labe Ricardo indique enfin avoir demandé une prière à la mosquée et une messe à l’église pour son « père ».

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