«L’appareil de l’Etat est mis au service des individus dans tous les domaines pour traquer de façon personnelle et les opposants au régime », Saleh Kebzabo, chef de file de l’opposition, se prononce sur les mobiles de la demande de la levée de son immunité parlementaire.

Qu’est ce qu’on vous reproche exactement pour pouvoir demander à l’Assemblée Nationale de lever votre immunité parlementaire afin d’engager des poursuites judiciaires contre votre personne?

A la lecture du dossier envoyé à l’Assemblée nationale par le ministre de la Justice, il m’est reproché dans une interview accordée à une télévision étrangère d’avoir porté atteinte à l’autorité de la Justice, d’avoir diffamé et outragé les magistrats. Tous ces termes n’ont pas leur place, parce qu’il n y a pas eu un jugement qui a été rendu. C’est quand un jugement est rendu qu’on peut attenter à la justice ou diffamer. En l’occurrence, il n’y a pas eu de procès et je n’ai pas troublé un procès, je n’ai pas rencontré un magistrat, je n’ai fait aucune déclaration sur un magistrat. Ma déclaration est là, Je souhaiterai que vous publiez ces deux ou trois phrases pour que vos lecteurs soient édifiés. Moi, je pense que c’est vraiment de l’acharnement contre ma personne. Il faut croire que j’empêche à beaucoup de gens du pouvoir de dormir et il faut croire que chaque matin quand ils se rasent devant leur miroir, c’est moi qu’il voit. Ils veulent exorciser ce mal en imaginant tous les complots possibles depuis l’affaire de Matta Léré, j’ai failli être arrêté en mai dernier, et maintenant encore. Il faut absolument régler le compte à Kebzabo, c’est ça l’objectif N° 1. En utilisant tous les moyens légaux et illégaux possibles, parce que, en l’espèce je ne vois pas où est le droit. Ce qui se passe est contre le droit. Le moment venu, s’il faut y aller, on en fera la démonstration. Je crois qu’il faut avoir une deuxième lecture, à travers ma modeste personne, c’est l’opposition tout entière qu’on veut décapiter, il y a un plan qui est mis en place pour faire en sorte que l’opposition soit complètement déstabilisée. Vous avez vu avec l’affaire de Matta, l’affaire de Gali, puis cette affaire de 1er mai, pour autant des choses qui ne sont pas fondées, la Justice tchadienne instrumentalisée a été jusqu’ à se denier en arrêtant des députés qui ont leur immunité parlementaire. Gali, puis Gali encore en mai avec Saleh Maki et les deux autres de la majorité. Tous ces faits n’honorent pas notre pays. Ce qu’on veut faire avec moi, en levant mon immunité parlementaire, c’est me fragiliser afin de pouvoir me condamner. Une fois de plus ça n’honore pas notre pays, tout ça, c’est contre productif pour notre pays. Depuis que le Tchad a commencé par déraper, tous les acquis du Mali que le Président a engrangés sont partis en fumée. Je ne pense pas que tous ceux qui entourent le président Deby l’aident vraiment à faire une bonne politique. C’est bien le contraire. Ce sont des échansons. Ils n’aident pas le Président de la République à gérer le pays convenablement, dans le Droit, dans la Bonne Gouvernance, dans le respect des libertés. L’appareil de l’Etat est mis au service des individus dans tous les domaines pour traquer de façon personnelle leurs opposants et les opposants au régime. Je crois que le Tchad a vraiment d’autres priorités en ce moment, elles sont nombreuses. Pendant ce mois de ramadan, qui est un mois de piété, de repentance et de réconciliation, le Président Deby devait tenir un autre discours, et vous avez malheureusement vu que pendant ce mois de Ramadan, les prix des denrées alimentaires sont emballés, les musulmans et les autres Tchadiens n’arrivent plus à manger à leur faim. C’est Pendant cette période de Ramadan et de saison de pluie qu’on a décidé de chasser les gens de leurs maisons, de casser leurs maisons à N’Guéli, à Walia et bientôt ailleurs. Le gouvernement pose des actes qui ne sont pas vraiment responsables, c’est pendant cette période également que des actes de braquage, de banditisme et autres ont augmenté pour l’assassinat du citoyen. La mauvaise gouvernance est caractérisée et l’impunité persiste. La gestion patrimoniale du pays, elle s’amplifie. Je crois qu’il y a d’autres priorités, celles là que je cite dont le moindre n’est pas l’éducation, avec le mauvais résultat du BAC qui devrait faire réfléchir un gouvernement responsable. Tous ceux-ci sont des défis qui nous attendent, attendent le gouvernement. Il doit le relever plutôt que de permettre à des individus de régler leurs comptes personnels au travers de l’appareil de l’Etat.

Quel commentaire faites-vous sur l’attitude et les agissements du gouvernement face aux journalistes et à l’opposition politique, ces derniers temps?

Je crois qu’il doit avoir un schéma. Je ne crois pas que le gouvernement agit à l’aveuglette. Un schéma qui consiste à préparer les élections à venir et en préparant les élections, il faut donc bâillonner la presse. Vous avez vu avec quel bâton on a frappé sur la presse, les procès se multiplient, les journalistes sont en prison, on va encore interdire des journaux, après avoir interdit N’Djaména Bi-hebdo pendant trois mois, je pense que l’Union n’y échappera pas. Tout ce qu’on est entrain de faire, c’est une manière de vous bâillonner, vous journalistes, pour que le combat que vous menez à nos côtés, nous politiques, pour les libertés et pour la démocratie s’affaiblisse. Dés que vous allez baisser le bras, nous aussi, on n’aura pas grand-chose à faire. Les médias publics sont bâillonnés, ils sont confisqués, ils sont utilisés exclusivement pour le Président Deby et le MPS. C’est un gros scandale parce que ce sont des médias qui sont financés par les citoyens. On ne peut pas les utiliser contre ces citoyens, ça, c’est le premier aspect. Le deuxième aspect, dans le même schéma, c’est de décapiter l’opposition, de déstructurer l’opposition. C’est de faire en sorte qu’on soit intimidé en permanence et qu’on ait peur de parler. Parce qu’aujourd’hui, même le chef de l’opposition n’a pas droit à la parole, s’il parle on va l’enlever de l’Assemblée pour le mettre en prison. Comment voulez vous que d’autres chefs de partis puissent émettre quelques critiques que ça soit. Alors que la critique c’est la base même de la démocratie. Il ne peut y avoir une démocratie sans liberté de penser, de parole, de manifester, et d’agir. Or, cela on nous le refuse. Donc, on passe par la presse, on la bâillonne, on l’embrigade. Vous vous taisez, on continue avec les hommes de parti qui sont des chefs de parti, des députés, on les frappe. Ils vont se taire aussi. Ainsi, il n y aura plus de démocratie dans notre pays. C’est ce que j’ai toujours dit, on est entrain d’édifier un état de non droit. Un état qui ne répond pas aux normes et aux caractéristiques internationales d’un Etat démocratique. Un état informel dans lequel les intellectuels, ceux qui réfléchissent, ceux qui ont un idéal, un schéma pour leurs pays n’ont pas droit à la parole. On est entrain de revenir à un système qu’on a condamné, celui de Hissein Habré. C’est le même système qu’on est en train de vouloir installer, c’est le système du parti état hérité de l’UNIR. Parce que tous ces pontes la qui nous entourent sont des émules de l’UNIR. On veut nous ramener ce système. Fondamentalement c’est ça qui nous oppose, d’un côté les démocrates qui ont une vision d’avenir pour ce pays qui veulent qu’il n’y ait pas d’impunité, un état de droit, et de l’autre côté, on a des gens qui veulent confisquer le pays pour continuer par le piller, qu’ils peuvent détourner sans qu’on ne les critique. Dès que vous les critiquez, ils vous envoient en prison, donc il faut vous taire. Voilà l’enjeu qui nous oppose.

Quel message laissez-vous à vos militants et autres tchadiens qui sont impatients de voir le bout de cette affaire?

Je voudrais d’abord rassurer l’opinion nationale sur le fait que dans l’opposition, il n y a pas que Kebzabo seul. Il n’y a jamais eu d’homme seul dans la lutte. Quelle que soit l’envergure de cette personne, elle ne peut pas réussir si elle est seule. Dans l’opposition, vous avez même des gens qui ont plus de mérite que moi et qu’on ne voit pas. C’est grâce à eux que je peux aujourd’hui parler haut et fort. Les opposants dans ce pays, on est nombreux. C’est cela qui devrait rassurer notre opinion. Hier, on a assassiné IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH, est-ce que pour autant l’opposition a disparu, ce n’est pas vrai. Elle a peut être baissé la garde un moment donné, mais elle est en train de se restructurer. Je puis vous rassurer de la capacité de notre opposition à renverser cette situation. Nous demandons à vos lecteurs et aux tchadiens, un peu de patience et l’opposition va réagir dans les semaines à venir. L’opposition tchadienne existe, elle n’est pas unique, elle n’est pas uni- forme mais elle est forte.

Propos recueillis par Alatara Fortunat

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