Dans les rues invisibles du web tchadien, une nouvelle forme de prostitution prolifère à une vitesse inquiétante. Facebook, WhatsApp, TikTok ou encore Instagram sont devenus des marchés virtuels où le sexe se vend sans honte, souvent à peine voilé sous les filtres et les statuts séduisants. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, utilisent ces plateformes pour appâter, séduire, négocier ou vendre leur corps. Si certains y trouvent un moyen de survie, d’autres s’inquiètent de la déchéance morale grandissante et de l’effritement des valeurs culturelles et religieuses du pays.

A N’Djaména comme de nombreuses grandes villes du pays, les réseaux sociaux ne servent plus uniquement à partager des souvenirs ou à échanger des nouvelles. Ils sont devenus des lieux de transactions sexuelles, parfois même en plein jour, à travers des publications suggestives, des commentaires flatteurs, des messages privés (“inbox“) et des rendez-vous discrets. Le phénomène touche aussi bien les adolescentes que les jeunes hommes, sans oublier les personnes plus âgées, souvent motivées par la précarité, la solitude ou l’illusion d’un confort financier rapide. “Je ne me prostitue pas, je rends service à ceux qui ont besoin de moi”, affirme une étudiante de 23 ans, accro aux réseaux sociaux. “Je poste mes photos sur Facebook, ceux qui sont intéressés m’écrivent. J’ai mes tarifs. Certains me donnent même plus que prévu”, poursuit la jeune dame.

Comme elle, ils sont nombreux à avoir transformé leur profil en vitrine. Certains affichent ouvertement leurs préférences, leur disponibilité ou leurs tarifs sous forme de codes (Ndlr, parles bien, tu dis quoi, propose, j’accepte et mon cœur reste ouvert). D’autres utilisent des groupes de discussion WhatsApp comme des salons privés où se négocient des rencontres.

Un silence collectif troublant

Pour le sociologue Madjirebaye Adolphe, le phénomène prend racine dans une réalité sociale préoccupante : le chômage, la pauvreté, la solitude, l’obsession du paraître. “La prostitution au Tchad n’est pas nouvelle, mais à l’ère numérique, elle change de visage. Plus besoin de racoler dans la rue; il suffit d’un téléphone, d’une connexion internet et de quelques photos bien pensées“. Il poursuit : “Pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement de plaisir, mais de survie. Certaines jeunes filles troquent leur corps contre un iPhone, une sortie au restaurant ou un transfert mobile. D’autres cherchent un “sponsor” pour financer leurs apparitions dans les soirées de gala“.

Comme les filles, dans plusieurs quartiers de N’Djaména, notamment dans les fameux “QG” – coins de rencontres prisés par la jeunesse –, des jeunes garçons partagent eux aussi leurs témoignages. “Moi, j’ai commencé dans un groupe WhatsApp. Une femme plus âgée m’a écrit après avoir vu ma vidéo de danse. On a parlé, elle m’a envoyé 50 000 francs. Depuis, je suis devenu son ‘baby’. Elle a ses besoins, moi aussi”, confie un jeune danseur. Cependant, la transaction n’est pas toujours monétaire. Certains échangent leur compagnie ou leur corps contre des vêtements de classe, un repas, ou un téléphone de dernière génération. Les termes “sugar daddy” et “sugar mummy” font désormais partie du langage courant chez cette jeunesse connectée.

Le phénomène de prostitution via les réseaux sociaux est une réalité amère au Tchad. Il illustre non seulement la détresse d’une jeunesse en perte de repères, mais aussi le silence d’une société qui peine à s’adapter aux mutations technologiques et culturelles. Il est encore temps d’agir. Mais pour cela, il faudra briser les tabous, reconstruire les liens sociaux, et surtout, donner aux jeunes une autre vision de leur avenir que celle du “sexe comme solution.”