La cour criminelle spéciale de N’Djamena a condamné mercredi à la réclusion à perpétuité, pour « assassinats » et « tortures », sept responsables de la sinistre police politique de l’ex-président tchadien Hissène Habré, renversé en 1990 et dans l’attente de son procès pour crime contre l’humanité à Dakar.

Au total 28 accusés – pour la plupart anciens agents de la redoutée Direction de la documentation et de la sécurité (DDS, police politique) – étaient jugés depuis le 14 novembre pour assassinats, tortures, séquestrations, détention arbitraire, coups et blessures et actes de barbarie.

Parmi les sept condamnés à la réclusion à perpétuité figurent le principal accusé du procès, l’ancien patron de la DDS, Saleh Younous, ainsi que Mahamat Djibrine, présenté par la Commission nationale d’enquête tchadienne comme l’un des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad lors de ces années noires.

La terreur

Cinq des accusés ont été jugés par contumace, dont deux ont écopé de la perpétuité. Les autres peines s’échelonnent de 7 à 20 ans de prison. Quatre accusés ont été relaxés. Signe de la terreur qu’inspirait la DDS dans les années 1980, certains habitants de N’Djamena baissent toujours la voix en passant devant les anciens bâtiments de l’institution, pourtant dissoute.

La Cour a d’ailleurs ordonné à l’Etat de transformer en musée les anciens locaux de la DDS pour conserver la mémoire de cette époque. Les condamnés doivent également payer 75 milliards de francs CFA (114 millions d’euros) de dommages et intérêts aux quelque 7 000 victimes recensées, l’Etat tchadien devant prendre en charge la moitié de cette somme.

En 2000, des dizaines de victimes avaient porté plainte à N’Djamena contre une cinquantaine d’ex-responsables de l’appareil répressif du régime Habré. Peu d’entre eux avaient été inquiétés jusqu’en 2013, année où la justice tchadienne a relancé ces poursuites, arrêté et inculpé plusieurs anciens tortionnaires présumés.

« Un procès vicié »

« Les survivants, les veuves et les orphelins du régime d’Hissène Habré luttent depuis 24 ans pour que (lui) et ses complices soient traduits en justice, selon Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch (HRW). Le procès des supposés sbires d’Habré pourrait être un événement majeur de l’histoire du Tchad, mais un procès vicié serait une insulte aux victimes. »

Des archives de la DDS dont HRW a pris connaissance « ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention, et de 12 321 victimes de violations des droits humains », pendant ces années marquées par des atrocités à grande échelle.

Hissène Habré, né en 1942, au pouvoir de 1982 jusqu’à son renversement en 1990 par l’actuel chef de l’État, Idriss Déby Itno, s’était ensuite réfugié au Sénégal, où il bénéficia pendant plus de 20 ans de la bienveillance des autorités sénégalaises avant d’être finalement arrêté.

Le tribunal spécial, créé par le Sénégal et l’Union africaine (UA) pour juger M. Habré, a rendu le 13 février une ordonnance le renvoyant devant une cour d’assises spéciale « pour y être jugé pour crime contre l’humanité, crimes de guerre et crime de torture ».

La date du procès, prévu mi-2015, n’a pas été précisée. Le tribunal spécial avait suivi le réquisitoire du parquet spécial qui avait demandé début février le renvoi de M. Habré devant une cour d’assises, pour qu’il y soit jugé des mêmes chefs d’accusation.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/25/tchad-perpetuite-pour-des-agents-de-la-police-politique-de-l-ex-president-habre_4601071_3212.html#pdA3EC8DGkgtjQQS.99