Depuis quelques années, le Tchad peine à se relier aux pays voisins via des routes bitumées, par manque de moyen, de vision ou pour des raisons politiques, la réponse n’est pas claire. Aller dans un pays frontalier par voie terrestre demeure un parcours de combattant. Sur les six pays limitrophes, seul le Cameroun est relié en asphalte et c’est grâce au projet pipeline Tchad-Cameroun, et à sa proximité géographique avec la capitale N’Djamena. L’immense superficie du pays ne facilite pas la tâche non plus. Beaucoup d’effort ont été consentis ces 20 dernières années en mettant en place des projets financés par le budget de l’Etat ou des emprunts contractés auprès d’organismes multilatéraux, mais tout cela ne s’avère pas assez vis-à-vis du besoin et de la superficie du pays.

Le développement du réseau routier tchadien pour désenclaver le pays fait large consensus au sein de toutes les classes politiques et acteurs du développement du pays, mais la divergence se situe au niveau des routes prioritaires.

La décision d’entreprendre une route réside sur son apport, son rendement et le développement socio-économique que cette route peut générer. Une étude de faisabilité et des projections peuvent répondre à tout cela, mais au Tchad la décision est visiblement motivée par des raisons politiques. Prenons l’exemple de la route Abéché-Adré, un axe principal malgré son très mauvais état notamment en saison pluvieuse, reste le chemin d’approvisionnement et d’échange commercial d’une grande partie des villes de l’Est et du centre tchadien. La fréquentation de cette route est incontestablement la plus forte de cette zone, mais le gouvernement tergiverse et pour des raisons non avouées semble être incapable de concrétiser le projet de bitumage.

Cette même route  relie le Tchad à la ville soudanaise  d’Eldjinenah, qui par la suite traverse l’ouest soudanais via le corridor appelé la route du salut Ouest  jusqu’ à la ville portuaire de Port-Soudan en passant par les grandes villes de l’Ouest et du centre soudanais. Il est de bon sens et logiquement le bitumage de la partie tchadienne devrait  être une priorité et tous les efforts doivent être dirigés dans ce sens, pour créer une alternative et mettre en concurrence le port de Douala, et celui de Cotonou actuellement prisé par beaucoup de commerçant tchadiens pour faire transiter leurs marchandises, mais en vain, que des beaux discours, des promesses non tenus et des éléments de langage.

Un autre drame sur le désenclavement c’est le tronçon qui relie le Tchad au Niger, actuellement en travaux mais à pas de caméléon, personne ne pourra éclairer nos lanternes et nous dire quand est-ce que les travaux se termineront. Pas de planning de fin de travaux à l’horizon, mais tout cela n’empêche pas les commerçants de continuer désespérément leur afflux, malgré la difficulté géographique et l’insécurité qui règne dans la zone. Si ce tronçon était proprement aménagé, imaginons donc un instant les échanges commerciaux par là, ça sera certainement un levier de développement de toute la zone du Lac et du Bahr el Gazel. Ce même raisonnement s’applique aussi pour le tronçon qui relie le Sud tchadien à la Centrafrique, et le nord tchadien à la Libye dont tout l’extrême nord en dépend.

Pour pallier ces manquements qui ralentissent l’intégration et la croissance, et pour booster le développement et les échanges commerciaux, il faut vite réfléchir autrement, et prendre des nouvelles mesures. Ces nouvelles mesures que nous citerons après, ont fait leurs preuves dans beaucoup de pays africains et d’Amérique latine.

Le premier motif de l’Etat sur son incapacité de désenclaver le pays c’est l’aspect financier, la mobilisation des fonds propres et l’apport des bailleurs internationaux constituent l’obstacle principal pour lancer ces projets. Donc nous proposons de libéraliser et d’inclure des entités privées expérimentées dans ce genre de domaine, puis laisser à l’Etat le contrôle de la qualité des ouvrages et le niveau de prestation. En d’autres termes, il faut envisager un contrat de concession sur la construction et la gestion de nos routes nationales.

L’état actuel des routes, peu entretenues malgré la collecte des frais du péage laisse planer le doute sur la capacité de l’Etat de gérer notre patrimoine routier efficacement, moins encore de construire des nouvelles routes. Un contrat de conception-réalisation-entretien-maintenance des routes règlementaires à péage, payé par les usagers, pendant une quinzaine d’années en trouvant le juste équilibre entre le recouvrement des coûts et une tarification raisonnable et abordable semble être la solution. Un tel processus du montage jusqu’à la réalisation peut prendre 3 à 4 années, le point fort que cela peut être lancé en même temps dans les quatre coins du pays, donc un Tchad désenclavé et toutes les grandes villes desservies à l’horizon 2026. L’idée n’est pas de brader nos routes nationales aux firmes étrangères, l’Etat peut être actionnaire comme des entreprises privées tchadiennes et des particuliers peuvent entrer dans le capital.

Le but de ce genre de montage est de gagner en efficience en termes de réseau routier national en un temps record, d’alléger les dépenses de l’Etat pour optimiser les dépenses publiques afin de financer d’autres infrastructures et services de base, tout cela en bénéficiant de l’expertise du secteur privé et le partage de connaissance dans la gestion durable des infrastructures routières.

Ce genre de projet appelé communément PPP (Partenariat public-privé), à l’instar du projet pipeline Tchad-Cameroun qui a permis au Tchad d’exploiter son pétrole, peut-être la solution au grand défi de désenclavement du Tchad. Récemment lors de son interpellation par les membres du CNT, le ministre des Infrastructures avait plaidé que « le Tchad a besoin d’un minimum de 3000 km de route bitumée pour être aligné derrière les pays émergents ». En d’autre termes, il faut environ 3000 milliards de FCFA.  Ceci coûte excessivement cher au budget de l’Etat, et il est quasi impossible sur les dix prochaines années que le gouvernement puisse débloquer ce montant colossal, donc il faut sortir des sentiers battus et penser aux alternatives nouvelles.

Ahmat Adam

Ahmat Adam est un jeune ingénieur tchadien, fort de plusieurs années d’expériences dans la construction et montage des projets. Il à effectué son cursus universitaire entre la France et la Chine. Diplômé d’un Bachelor en Génie Civil en République populaire de Chine et d’un Master à l’école d’ingénieurs Polytech de Lille en France, il fait carrière chez le géant mondial du BTP Bouygues construction en tant qu’ingénieur Principal. Depuis quelques années il intervient régulièrement sur les thématiques liées aux infrastructures des pays en développement, et le Tchad en particulier avec des approches nouvelles. Il livre ses analyses et solutions sur les entraves qui minent le développement de ce secteur au Tchad.