Au Tchad, la malnutrition aigüe sévère prévaut dans une dizaine de régions. Face à cette sous-nutrition qui a de graves conséquences socio-économiques, les agences humanitaires plaident pour une réponse multisectorielle.

Selon les résultats préliminaires de l’évaluation nationale nutritionnelle basée sur la méthodologie SMART (Standardized Monitoring and Assessment of Relief and Transition) menée en août-septembre et publiée en octobre, la prévalence de la malnutrition aigüe sévère (MAS) est estimée à 2,6% en 2016 contre 2,8% en 2015. La malnutrition aigüe modérée (MAM) est en augmentation (9,3% comparée à 8,9% l’année dernière). Cette relative amélioration de la MAS peut s’expliquer par l’augmentation du nombre de relais communautaires formés et par un élargissement des zones de couverture d’intervention humanitaire qui a permis de toucher un plus grand nombre de personnes.

La prévalence de la MAG dépasse le seuil d’urgence de 15% (fixé par l’OMS) dans six régions sur vingt-trois. Quant à la MAS, dix régions dépassent le seuil d’urgence de 2%. Ainsi, les régions d’Ennedi Ouest, Borkou, Ouaddaï, Batha, Barh El Ghazel, Salamat, Kanem, Chari Baguirmi, Guéra, Lac et Mayo Kebbi Est sont en situation d’urgence nutritionnelle.

Les enfants de 6 à 23 mois présentent une forte prévalence de malnutrition aigüe comparée à leurs ainés de 24 à 59 mois. En effet, la prévalence de MAG est de 15,8% (supérieur au seuil d’urgence de 15%) chez les enfants de 6 à 23 mois contre 9,8% pour ceux de la tranche d’âge 24 à 59 mois. La même tendance s’observe dans la plupart des régions. La désagrégation selon le sexe montre que les garçons (13,6%) sont plus affectés par la MAG que les filles (10,0%). Globalement, au niveau national, l’état nutritionnel des enfants ne montrent aucune amélioration comparativement à l’année dernière.

La malnutrition chronique a un lien étroit avec la sous-nutrition qui a des conséquences importantes sur le développement du pays. Le Tchad perd ainsi chaque année plus de 578 milliards F CFA (1,2 milliard USD), soit 9,5% de son produit intérieur brut, à cause de la malnutrition infantile. C’est le résultat d’une étude sur le coût de la faim en Afrique: incidence sociale et économique de la sous-nutrition chez l’enfant au Tchad, réalisée par l’Union Africaine, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), avec l’appui du Programme alimentaire mondial (PAM) et de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique.

En ce qui concerne la santé, en 2012, près de 1,5 million de cas cliniques associés à la sous-nutrition ont été enregistrés parmi les enfants de moins de cinq ans. Cela a généré à l’Etat et aux familles, un coût de plus de 168,4 milliards F CFA.

Pour ce qui est de l’éducation, les enfants souffrant de sous-nutrition ont un taux de redoublement de 29%, contre 22% pour ceux n’ayant pas souffert d’un retard de croissance. En outre les enfants souffrant d’un retard de croissance achèvent en moyenne 2 années en moins en scolarité. Ceci induit un coût de plus de 9 milliards F CFA.

Sur la productivité, 56,4% de la population tchadienne en âge de travailler a souffert d’un retard de croissance pendant l’enfance (soit 3,4 millions d’adultes âgés de 15 à 64 ans empêchés d’atteindre leur plein potentiel). Les pertes économiques annuelles sont estimées à 334,5 milliards F CFA (5,5% du PIB en 2012).

Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est parmi les plus élevés au monde (en 2014, il était de 133 pour 1 000). L’Index sur la Faim dans le monde (GHI) classe le pays en situation alarmante à l’avant dernière place en 2015 et montre que 43% de la mortalité infantile est lié à la sous-nutrition.

Le sous-développement et la pauvreté sont parmi les causes profondes de la malnutrition avec un impact considérable sur le niveau et la qualité de la consommation alimentaire des ménages, favorisant l’adoption de stratégies de survie néfastes et aggravant le taux de morbidité et la mortalité tout particulièrement dans la bande sahélienne. Dans cette zone, la situation alimentaire et nutritionnelle est fragile en raison notamment de la rudesse du climat, amplifiée par le changement climatique qui provoque des évènements de plus en plus fréquents de sécheresse, d’attaques d’ennemis des cultures et d’inondations localisées. Les faibles accès et qualité des services de santé ainsi que le manque d’accès à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement (qui exposent les enfants aux maladies d’origine hydrique) sont d’autres causes de la malnutrition. Certaines pratiques socioculturelles comme le mariage précoce et la fréquence des naissances augmentent le risque de malnutrition pour les jeunes mères et leurs enfants.

La malnutrition entraîne des retards de croissance (malnutrition chronique), des troubles du développement cognitif, ainsi qu’une vulnérabilité accrue aux maladies et une mortalité importante chez les enfants de moins de cinq ans et est une des causes principales d’échec scolaire et de déscolarisation.

“Compte tenu de la forte corrélation entre insécurité alimentaire et malnutrition, une combinaison de l’assistance alimentaire au traitement et à la prévention de la malnutrition chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes et allaitante est essentielle”, plaide le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) au Tchad dans son dernier bulletin publié jeudi. La lutte contre la malnutrition doit s’effectuer à travers un ensemble d’interventions portant sur la nutrition, la santé, l’éducation, l’eau, l’hygiène et l’assainissement, la protection sociale et le statut économique de la femme.

Un renforcement et une harmonisation des programmes de prise en charge de la malnutrition aigüe dans les régions à forte prévalence à travers la prise en charge communautaire intégrée de la malnutrition aigüe (PCIMA), qui consiste à identifier et prendre en charge la sous-nutrition aigüe mais également d’autres maladies directement au sein de la communauté, renforcera la prévention et la prise en charge des cas. Tout en développant une approche communautaire de prévention de la malnutrition infantile, il est important de lutter contre la malnutrition chronique des enfants de moins de 5 ans en garantissant l’accès à l’eau potable et à l’hygiène et s’assurant que chaque structure sanitaire ait un paquet minimum d’activités WASH, ou en menant des campagnes de promotion de bonnes pratiques familiales (allaitement maternel exclusif, alimentation du nourrisson et du jeune enfant, hygiène, utilisation de moustiquaires, etc.).

“Le renforcement dans la mise en œuvre des cantines scolaires avec la participation communautaire pourra contribuer à atténuer la malnutrition des enfants en âge scolaire tout en fournissant une forte motivation aux parents d’envoyer les enfants à l’école”, conclut OCHA.