De l’Afrique Equatoriale Française (AEF) au Tchad actuel, le processus d’identification des personnes a subi de multiples transformations. Nicodème Manatouma Kelma, enseignant à l’université de Rouen et doctorant à l’université de Paris Nanterre, a consacré sa thèse, soutenue le 17 juin, à cette question. Avec lui, nous abordons les différentes étapes ayant conduit à la pratique de l’identification actuelle au Tchad.

Quand est-ce que la pratique et la politique de l’identité a-t-elle commencé au Tchad ? 

Après la création du poste administratif de Fort-Lamy, l’administration coloniale a mis en place un centre pour l’état civil permettant l’enregistrement des actes d’état civil pour les administrateurs coloniaux et leurs collaborateurs. L’administration de l’état civil a fonctionné sur la base de cet arrêté sur tout le territoire du Tchad. L’établissement des actes d’état civil fut sous la responsabilité du commandement militaire de Fort-Lamy.

Le gouverneur général a pris un arrêté, le 26 février 1937, pour instituer une déclaration ou un certificat de sortie pour les indigènes.  L’instauration de cette déclaration de sortie ou du certificat de déplacement temporaire marque, à mon avis, le début de l’institutionnalisation de la bureaucratie des identités au Tchad.

En lien direct avec le changement intervenu en 1946, l’administration coloniale rend l’usage obligatoire de la carte d’identité, à la différence de celle de 1944 qui n’était qu’un livret d’identité

Dr Kelma, politologue et enseignant à l’Université de Rouen

Selon votre thèse, on est allé du contrôle de la mobilité des indigènes au livret d’identité obligatoire en passant par une carte d’identité facultative. Comment s’est opérée la transition ? 

Les réformes politiques entreprises par le gouvernement français après la seconde guerre mondiale ont conduit à une transformation de la vie politique et du statut civil des populations de l’AEF, du Tchad en particulier. En lien direct avec le changement intervenu en 1946, l’administration coloniale rend l’usage obligatoire de la carte d’identité, à la différence de celle de 1944 qui n’était qu’un livret d’identité.

La dernière mesure très importante prise par l’administration coloniale est celle des libertés de circulation et des déplacements à l’intérieur des territoires de l’AEF. C’est suite à cette décision que le Haut-commissaire Cornut-Gentille, nommé en 1948, a pris un nouvel arrêté en 1949 pour instituer une carte d’identité unique sur tous les territoires de l’Afrique équatoriale française. Ce nouvel arrêté a abrogé tous les autres arrêtés de 1937, 1940 et 1944.

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Cette carte est obligatoire à partir de 16 ans. Les autorités ont repris le format de la carte d’identité de 1940, en introduisant, la coutume, les informations fiscales et sanitaires. Il faut aussi noter que grâce à l’abolition du système de l’indigénat, deux mesures importantes ont été supprimées : les sanctions de la police administrative et les peines exceptionnelles de l’indigénat, c’est-à-dire l’internement, l’assignation à résidence et les amendes collectives prévues dans le décret de 1924. Désormais, en tant que citoyen de l’AEF, tout individu pouvait obtenir une carte d’identité de la fédération et participer à la vie politique et civique de son territoire.

Vous dites dans votre thèse que la politique et le mécanisme d’identification ont changé. Qu’est ce qui a changé exactement ? 

Après l’attentat terroriste de 2015 à N’Djamena, le ministère de l’Intérieur a proposé une loi de lutte contre le terrorisme dans laquelle la sécurisation des papiers d’identité a été centrale notamment avec l’introduction de la technique d’identification biométrique. Ce qui a soulevé un tollé dans la classe politique et les organisations de la société civile. Une commission de « contrôle et vérification des identités » avait été créée en 2011. A cette époque, elle n’avait pas un enjeu important. Certains responsables de la police ne voyaient pas l’importance d’une telle structure dans le service de l’identité civile. Il fallait attendre 2015, après l’attentat terroriste de Boko Haram, pour qu’elle soit vraiment effective.

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Le contexte de la crise centrafricaine, et des troubles au nord du Nigeria ont redonné un nouvel élan aux activités de cette commission. Depuis ces attentats terroristes, qui ont engendré plusieurs morts dans la ville de N’Djamena et dans la région frontalière avec le Nigeria, le lac Tchad, les autorités politiques ont mis en place des dispositifs d’authentification des extraits d’actes de naissance dans les différents centres d’identification.

Quelles sont les politiques et les pratiques administratives d’identification des individus au Tchad ? Quelle différence avec la ville frontalière de Goré ?

L’Etat tchadien a choisi depuis 2002 l’option de la biometrisation des titres d’identité. Le service d’identification au Tchad a fait l’objet de nombreuses réformes par lesquelles les autorités politiques ont délégué les activités de production de la carte nationale d’identité à l’entreprise belge SEMLEX, par le contrat B.O.T (Building, Operate and Transfert).  

Mais depuis 2016, après la création de l’Agence Nationale des Titres Sécurisés, le contrat de l’identification et de la délivrance des extraits d’acte de naissance et de la carte nationale d’identité est attribué à l’entreprise française IDEMIA, l’ancien groupe Morpho.

Le ministre de la communication et porte-parole du gouvernement indique, dans le compte rendu du conseil des ministres du 18 avril 2019, que « le nouveau système introduit des données personnelles biométriques dans le processus d’identification des personnes en tenant compte du besoin crucial de la sécurisation des documents d’identité pour lutter efficacement contre la fraude par usurpation d’identité, les trafics illicites, les crimes transfrontaliers et le terrorisme international… ».  Pour la ville de Goré, il s’agit d’un dispositif d’identification des retournés de la crise centrafricaine à Goré.