N’DJAMENA, 31 octobre (Xinhua) — “Fin juillet dernier, mon père avait donné Mariam, la troisième de mes sœurs cadettes, en mariage à un de ses amis. J’en étais très choqué car Mariam n’a que 14 ans, et son soi-disant mari a le même âge que notre père”, déclare Abakar Hassan, 22 ans, étudiant en 2ème année de Droit à l’Université de N’Djaména.

“Je voulais saisir le juge de paix pour faire annuler cette union honteuse, ajoute le jeune homme. Mais à quoi bon? Je ne pourrais pas prouver devant le juge que Mariam est mineure car elle n’a pas d’acte de naissance. C’aurait été ma parole contre celle de mon père qui affirmait mordicus que Mariam avait 20 ans. Et je ne voudrais pas être le fils qui a envoyé son père en prison même s’il a mal agi.”

Les propos de Abakar Hassan montrent à quel point le mariage des enfants reste aujourd’hui profondément ancré dans les traditions et les mœurs de nombreuses familles et communautés, tant à N’Djaména, la capitale tchadienne, que dans les provinces.

Au Tchad, la question du mariage des enfants mineurs est un véritable problème de société. Pour en finir avec, les initiatives sont multipliées: campagnes de sensibilisation, adoption d’une loi, etc. Mais le combat reste difficile, tant le phénomène est ancré dans les us et coutumes.

Selon une étude réalisée par l’Unicef en 2013, le taux du mariage d’enfants est de 68% au Tchad et concerne essentiellement les filles. C’est l’un des dix pays d’Afrique les plus touchés par le problème; il est deuxième derrière le Niger et ses 76%. Les prévisions montrent que si rien n’est fait, le taux de mariage d’enfants sur le continent, dont la moyenne est de 40%, doublera d’ici 2050.

Comme dans le cas de Mariam, beaucoup de naissances ne sont pas déclarées au Tchad. Et généralement, les filles vont en mariage sur simple déclaration de leurs parents. La “fatiha” (l’union religieuse musulmane) prime sur le civil et des jeunes filles n’ont pas d’autres choix que d’épouser des hommes plus vieux. Pourtant, “le mariage des enfants n’est pas approuvé par l’islam”, déclare cheikh Hissein Abakar. “Toutefois, dans nos traditions, une jeune fille doit être vertueuse et chaste avant le mariage. C’est pourquoi on la marie très tôt, de peur qu’elle n’ait des relations sexuelles ou un enfant hors-mariage, ce qui est inadmissible, une honte pour la famille”, explique l’imam.

Fruit d’une certaine tradition, le mariage des enfants est aussi perpétué par la pauvreté. La fille, c’est une dot qui peut aider en ces temps durs et la donner en mariage à un âge précoce réduit également le fardeau économique de la famille.

“Le mariage des enfants prive les filles de leurs droits à l’éducation, à la santé, à l’égalité, à la non-discrimination et à un bon avenir”, s’indigne Mme Nehoudamadji Naïlar Clarisse, présidente nationale de la Cellule de liaison des associations féminines (Celiaf).

La première conséquence de ce fléau est donc la déscolarisation. Les faits constatés montrent en effet que les filles qui sont mariées précocement, interrompent leurs études à l’âge de 12 ans ou 13 ans.

Le mariage des enfants, surtout des filles, a également de terribles conséquences sur leur santé: la mortalité maternelle et la mortalité infantile sont bien plus élevées quand la maman est très jeune. Les adolescentes sont également sujettes à des maladies sexuellement transmissibles, à des fistules obstétricales ou à un asservissement domestique et sexuel.

“Le mariage des enfants mérite d’être combattu avec notre dernière énergie car il entrave le processus de développement du monde”, indique Mme Nehoudamadji Naïlar Clarisse.

CAMPAGNE DU COUPLE PRESIDENTIEL

Le 14 mars 2015, le couple présidentiel s’était engagé à mettre fin à cette “pratique moyenâgeuse” en lançant une campagne nationale dénommée “Tous ensemble mettons fin au mariage des enfants”.

“Nous devons mettre fin au mariage des enfants (…) Les filles doivent jouir du même statut d’égalité que les garçons en vue de réaliser pleinement leur potentiel”, avait martelé Mme Hinda Déby Itno, marraine de la campagne.

La Première dame du Tchad avait appelé à la mobilisation des parents à différents niveaux pour une remise en cause du mariage des enfants, à une campagne soutenue d’information et de sensibilisation à l’endroit des filles elles-mêmes sur leurs droits, à la mise en place des services à la disposition des filles et à l’application des lois et des politiques adéquates en faveur des filles.

Le président Déby Itno avait, séance tenante, signé une ordonnance interdisant le mariage des enfants au Tchad. “L’âge minimum du mariage est fixé à 18 ans révolus. Le consentement des époux mineurs ne peut être invoqué pour justifier le mariage d’enfants”, précisent les articles 2 et 3 de la nouvelle loi. Elle punit d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 500.000 à 5.000.000 F CFA toute personne qui contraint, par quelque moyen que ce soit, une personne mineure au mariage, ainsi que l’autorité civile, religieuse ou traditionnelle qui célèbrerait un tel mariage.

Bien avant l’ordonnance du 14 mars 2015, beaucoup de textes internationaux et nationaux avaient été ratifiés ou adoptés par le Tchad pour protéger les femmes et les filles. Mais les effets de cet arsenal juridique ne sont pas très palpables. “L’exemple le plus éloquent est la loi n°006/PR/2002 portant promotion de la santé de reproduction. S’il y avait eu son décret d’application, les questions de mariages précoces, de mutilations génitales et bien d’autres seraient déjà résolues dans notre pays”, conclut la présidente de la Céliaf.