Dans une interview exclusive accordée à Manassé Gotingar, reporter de Notre Temps, Idriss Déby Itno s’est livré à un laborieux exercice de transparence. Une première dans les colonnes d’un journal tchadien. Faut-il y voir un nouvel élan dans la gouvernance de la République, élan qui voudrait être marqué par la volonté de rendre compte dont l’exemple viendrait du PR lui-même ? Ou une simple manœuvre d’esbroufe à travers laquelle IDI voudrait se donner le beau rôle de celui qui, seul détient la carte du salut ? Celui que personne, ni les syndicalistes, ni les magistrats, ni les journalistes, ni l’opinion dans son ensemble, ne comprennent, mais qui, malgré tout, accepte et assume son sacerdoce. Quelques points saillants.

D’entrée, IDI attaque : «La Présidence est ouverte à tous les journalistes… il suffit d’en faire la demande» … Réponse à un reproche maintes fois formulé par la presse privée à une administration qui ne joue pas la carte de la transparence et dont les différents services, à tous les niveaux refusent de livrer l’information sous le prétexte de l’obligation de réserve. Au président de la République en personne, il a été reproché de n’accorder la parole qu’aux médias étrangers pour des pages d’articles de publi-reportages chèrement payés qui encensent les moindres faits du PR et passent sous silence les sujets qui fâchent. Peut-on espérer qu’avec cette interview, les portes de l’administration publique soient désormais, ouvertes aux journalistes et que les journalistes du secteur privé pourront enfin avoir leur accréditation pour couvrir les grands événements ? Si l’on en croit le PR, la brèche est ouverte et c’est aux différentes rédactions de prendre au mot les gouvernants.

De la situation sociale, Déby en a parlé pour souligner que ce n’est pas un fait nouveau. Certes, dans tous les pays du monde, la question sociale existe et au Tchad, plus qu’ailleurs où, justement la situation sociale n’a cessé de se dégrader depuis 2003, si IDI veut prendre cette date repère en référence avec l’exploitation du pétrole. Faut-il rappeler au président combien le panier de la ménagère s’est dégarni depuis 2003 ? Pour donner quelques exemples concrets, la ménagère pouvait, en 2003, avec 5000 F, alourdir son panier avec deux gros poulets, cinq grosses carpes, un kilo de sucre, un litre d’huile et deux kilos de riz. Aujourd’hui, il lui faut 15 à 20000 F CFA, pour réaliser la même prouesse. Dans un autre domaine, celui de l’habitat, les prix des matériaux de construction, terre, sable, remblai pourtant propriétés de l’Etat n’ont cessé de grimper malgré les promesses du PR de rendre les matériaux de construction accessibles. Et, exemple qui fait sourire, le sac de ciment… camerounais en 2003, coutait 6000 F. Aujourd’hui le ciment tchadien, de Baoré tant vanté est hors de portée de prix et introuvable et le Dangoté Nigérian à 12000 FCFA. En réalité, il n’y a aucune politique volontaire de l’habitat. Alimentation, habitat auxquels on peut ajouter les problèmes innombrables de santé, sont des questions purement biologiques liées au comment se nourrir, se soigner et comment s’abriter, trouver un logis digne. Des questions vitales aux-quelles l’on serait curieux de savoir quelles réponses elles ont trouvé dans l’action gouvernementale sinon à travers l’hyper dégradation du pouvoir d’achat, les déguerpissements massifs et intempestifs des populations et l’ attribution des espaces déguerpis sensés appartenir à l’Etat à des particuliers qui y font pousser comme des champignons des stations d’essence…

Le PR a pris le soin d’insister sur la situation des travailleurs du public, les fonctionnaires dont les salaires auraient augmenté de 300% en 10 ans. Un fonctionnaire de mes amis prétend que IDI voulait parler de la masse salariale globale. Si c’est le cas, l’on peut dire qu’il ne mérite d’être souligné que pour relever le fait que cette augmentation est liée à celle logique du nombre de fonctionnaires : plus d’enseignants pour encadrer une population scolaire en forte croissance régulière . De même qu’il faut plus de médecins et d’auxiliaires de santé pour soigner un plus grand nombre de malades pour des raisons de croissance démographiques et de dégradation des conditions d’hygiène causée par l’insalubrité généralisée. Que la masse salariale augmente de 300% s’explique aussi par le fait d’une armée pléthorique avec une pyramide inversée d’officiers et de responsables des services de sécurité tentaculaires, grassement payés. Si l’on ajoute à cette liste la pléthore des ministres anciens et nouveaux, celle des parlementaires et de la nébuleuse de conseillers en tous genres qui alourdissent une machine administrative déjà inefficace pour des revenus de complaisance politique, alors globalement, la masse salariale aura été effectivement augmentée de 300%. Mais s’il s’agit d’une augmentation per capita, mon voisin infirmier ne s’y reconnait pas quant à l’enseignant bac +3, il dit que tout au plus il est passé de 80 000 F à 240 000 FCFA, ce qui est loin de faire une augmentation de 300% et que cela, rapporté à la dégradation de son pouvoir d’achat rend cette augmentation dérisoire.

Du pétrole, IDI en minimise l’importance du rôle dans l’économie tchadienne. Arguant du fait que le Tchad ne perçoit que sa part de dividende de 12,5%. Se livrant à un exercice de démonstration très compliqué, il affirme que le Tchad n’est pas un pays pétrolier et que même s’il le parait, les coûts de production rogneraient les bénéfices. A cela faut-il répondre par quelques interrogations ? Le pétrole tchadien était évalué bénéfique pour une exploitation sur une trentaine d’années à un prix du baril, alors estimé à un plafond de25 à 30 dollars sur une première période de 30 ans. Comment peut-on valablement soutenir que ce même baril de pétrole à des prix oscillant depuis 10 ans entre 70 et 150 dollars, ne rapporte pas grand-chose ? Comment expliquer le grand train que mènent tous ceux, parents, amis, relations, apparatchiks, qui gravitent autour du PR ? Déby, lui-même ne reconnait-il pas que la corruption gangrène son administration ? Et quelles réponses apporte-t-il à cette situation ? Lorsqu’on fait de la nomination aux postes de responsabilités un instrument de corruption clientéliste, lorsque le mérite, cède à la médiocrité à travers la carte de la promotion népotiste, clanique, familiale ou partisane comment peut-on lutter contre la corruption, un système de gouvernance ? Et que les fonctionnaires ne travaillent pas ne doit pas surprendre Deby ! Quand une administration est instable du fait de la valse régulière de ses responsables, quand les départements ministériels changent de tête sans cesse et que d’un remaniement à l’autre des services sont supprimés, fondus ou réaffectés à d’autres ministères, bref quand l’instabilité est la règle de l’administration la productivité ne peut qu’en prendre un coup. Et quand des fonctionnaires régulièrement rétribués n’ont ni attribution, ni bureau, ni chef, il est normal qu’ils ne foutent rien.

De la corruption : Les journalistes ne dénonceraient pas les gens qui vivent au dessus de leurs moyens. IDI dit connaitre ces gens que les journalistes connaitraient également. Sauf à s’interroger de manière générale sur des situations évidentes d’enrichissements injustifiés d’une certaine catégorie de personnes, les journalistes ne peuvent, sans risque d’être poursuivis pour diffamation, indexés des individus dont l’enrichissement parait insolite. Par contre l’exécutif dont il est le chef a des instruments comme les enquêtes parlementaires pour lutter contre la corruption. Ceci dit, le sentiment partagé de l’opinion est que le poisson est pourri par la tête et qu’aucune enquête menée contre la corruption ne peut aboutir si le cercle étroit du pouvoir n’est pris en compte comme objet de l’enquête. La preuve, que reconnait indirectement le PR, c’est que tous les gros bonnets interpellés avec fracas pour des cas avérés de malversations financières et de détournements de deniers publics sont revenus aux affaires, pour certains, à la tête des plus hautes instances de la République après une promenade de santé à la maison d’arrêt. Pour IDI, les institutions qu’il gouverne seraient-ils impuissants face à la corruption ? Et les magistrats ? Le PR confirme un fait : l’omnipotence des magistrats dont les décisions ne dépendent pas de l’intime conviction commandée par mes textes de lois appliqués aux faits mais du poids des relations et ce que celles-ci sous entendent… Si l’on suit la logique du PR, les procès et toutes les procédures ne seraient que parodie face à une réalité toute subjective du juge. Le constat d’échec et d’impuissance de IDI : «Sommes nous, les Tchadiens (de cette génération) sont-ils capables de sursaut pour juguler le phénomène de la corruption ? Faut-il compter sur la génération future pour régler ce problème (quel serait alors le rôle de l’état ?). Un constat d’impuissance et d’échec de celui qui veut être l’homme de la renaissance.

Nadjikimo Benoudjita

Notre Temps #524 disponible en pdf sur boutique.tchadinfos.com