Deux, trois quatre à cinq jours, voire une semaine ! Voilà le temps qu’il faut attendre pour obtenir la carte d’identité nationale. Une pièce maîtresse pour l’existence civile du citoyen. Un papier incontournable pour celui qui veut circuler librement sur le territoire national de ce pays aux mille fouilles, sans subir les frustrations infligées par les forces de l’ordre, sans connaître les désagréments dus aux insultes, à l’escroquerie des gendarmes et policiers. Un document indispensable à toute personne, jeune ou moins jeune, désireuse de faire une démarche administrative, une opération bancaire…

D Depuis près de cinq mois, l’octroi des cartes d’identité nationale, dont les services sont privatisés, un an plus tôt, dans la même période que les services de délivrance des passeports tchadiens, sont logés au sein du commissariat central, au service d’identification judiciaire. La SOGET est la société chargée de délivrer aux Tchadiens ce précieux document. Depuis cinq mois, l’octroi des cartes d’identité nationale aux Tchadiens des quatre coins de N’Djamena, une agglomération de deux millions d’habitants, et à ceux de l’ensemble d’un territoire national de 1284 000 km2 est centralisé à N’Djamena, dans un centre unique, celui du commissariat central. Que vous habitiez Diguel, Walia, Mandjafa, Farcha, Am Toukougne, Am Riguebé, vous devez, si vous voulez vous faire établir une carte d’identité nationale, vous rendre au commissariat central, sis à Djambal Barh, pour espérer vous la faire délivrer. Quelle que soit l’urgence de votre situation, que vous soyez de Fada, de Binder, de Tissi, de Boum Kébir, de Yanbodo, de Adré, de Torok ou de Mbaïbokoum, des coins les plus reculés de ce pays enclavé aux routes dangereuses, vous devez vous rendre à N’Djamena dans l’espoir de vous faire établir, une carte d’identité nationale. Une carte maîtresse dans la vie civile du Tchadien majeur. Un service unique, des prestations hors normes et contre productives Depuis cinq mois, chaque jour que Dieu fait, des citoyens tchadiens, jeunes et moins jeunes, venus des quatre coins du pays, bravent l’insécurité larvée de cette ville parmi les plus dangereuses au monde, pour se pointer dès 4h du matin et constituer une longue queue de près de cent personnes, candidates à l’octroi de la carte d’identité nationale. Face à eux, un peloton de flics insolents, agressifs, méprisants qui leur en font voir de toutes les couleurs, à travers des insultes, injures et bousculades. Et lorsque, enfin, ils arrivent devant le fonctionnaire de police chargé de vérifier l’unique document, l’acte de naissance, sur la base duquel est délivrée cette précieuse pièce d’identité, c’est à l’offense et à l’humiliation qu’ils sont confrontés. L’acte de naissance, selon l’humeur du flic de service peut être jugé faux ou non conforme, soit parce qu’il n’est pas barré à l’angle des couleurs nationales de la bande tricolore bleu, or, rouge, soit parce que c’est un jugement supplétif d’acte de naissance établi à une date récente. L’intéressé, au mieux, est sommé de repartir au lieu de sa naissance se faire établir un «document conforme» à l’humeur du flic. Dans un cas moins désespéré, il lui est griffonné un faux sur son document, si celui-ci n’est pas tout bonnement déchiré. Et au pire, l’individu se fait coffrer. Ces scènes d’humiliations au quotidien sont infligées depuis cinq mois à des citoyens tchadiens, par des Tchadiens ( ?), sur le territoire national, à quelques dizaines de mètres de la Présidence de la République et de la Place de la Nation, sensées symboliser la renaissance nationale. Des contraintes temps et exigences financières lourdes et inacceptables Est-il besoin de rappeler l’effort et le sacrifice que cela exige à chacun de ces femmes, hommes enfants, jeunes et moins jeunes, vivant loin de la capitale pour réunir, non seulement les 4000 f CFA, mais aussi, les frais de transport et de séjour, une moyenne allant de 20 000 à 100 000 F, selon la localité d’où ils viennent du Tchad profond, afin de se faire établir leur carte d’identité nationale? Combien sont-ils, ces jeunes en quête de travail, fraîchement nantis de leurs diplômes ou non, qui ont besoin en urgence de cette pièce pour prétendre à un emploi, se présenter à un concours ? Combien sont-ils, ces adultes, confrontés à moult situations, les unes comme les autres exigeant de brandir sa pièce d’identité nationale et qui doivent se faire insulter, humilier et jeter à la porte comme des malpropres par des garnements eux-mêmes d’origine et de compétence douteuses ? Chaque année, il y a une cohorte de 200 à 300 000 jeunes tchadiens qui accèdent à la majorité. Ils doivent obtenir une carte d’identité nationale. Chaque année, près de 100 000 jeunes tchadiens se présentent à différents examens et concours nationaux. Ils ont besoin de cartes d’identité nationale. Chaque jour, des dizaines de milliers de tchadiens se déplacent à l’intérieur du Tchad, pour toutes sorte de raisons liées aux activités d’êtres humains vivant dans une société organisée et policée. Ils ont besoin de cartes d’identité nationale. A l’ère d’une décentralisation tant vantée par les dirigeants de ce pays, centraliser l’octroi de la CIN, dans la seule capitale est de la plus grande aberration administrative et un non sens économique et social si l’on en juge par le temps que perdent les demandeurs de la CIN, la contre productivité économique que cela implique sans compter les inévitables sentiments de frustrations, de révolte et de haine que les attitudes et comportements des agents préposés à ces services suscitent contre eux. Mais le plus grave c’est que cette centralisation cache des intentions, faciles à déceler à travers les comportements de ceux qui doivent délivrer les CIN : l’escroquerie, la discrimination et l’exclusion. Corruptions, escroquerie et discriminations dans l’octroi des CIN Le fait de l’escroquerie est immédiat. Selon des témoignages concordants, les personnes dont les affaires sont pendantes et urgentes n’hésitent pas à débourser des sommes allant largement au dessus des 4000 F que coûte la CIN pour se la faire délivrer. Si environ cinquante personnes, une estimation à minima, déboursent 5000 F de plus par jour pour obtenir leur CIN, cela fait la rondelette somme de 250 000 F/j soit un minimum de 5 000000 de F/mois qui vont dans la poche de ceux qui délivrent la CIN. Un bizness. Mais, il s’agit d’une pièce d’identité dont on a souligné l’importance. Si elle est confiée à des individus peu scrupuleux, il ne fait pas de doute qu’ils pourraient en négocier l’octroi à des non Tchadiens, une hypothèse qu’il ne faut pas écarter dans un pays où pullulent des ressortissants de pays voisins en crise. Des milliers de sans papiers prêts à payer un bon prix pour obtenir une CIN, sésame pour vivre et travailler en paix au Tchad. Quant à la discrimination et à l’exclusion, elles se font au quotidien, à la tête du client pour ne pas dire à son faciès. Ceux sur lesquels on crie ; ceux dont on déchire les actes de naissance ; ceux qu’on renvoie au village ont pour la plupart commis le péché de venir des régions différentes de ceux chargés d’octroyer les CIN. Manœuvres politiciennes ? Les Tchadiens doivent réagir… Et si toutes ces vexations, ces escroqueries, cette volonté de contrôler l’octroi des CIN, doublées de manœuvres évidentes d’exclusion, cachaient des manœuvres politiciennes ? Par exemple, contrôler, orienter, l’octroi des cartes d’électeurs conditionnées par la présentation des cartes d’identité nationale lors des prochaines échéances électorales afin de prévenir le choix des électeurs ? Une autre hypothèse à ne pas écarter ?… Mais le Tchad est un pays de droit, et l’on suppose que dans pareille situation, il doit y avoir des mécanismes relevant de la compétence d’institutions et d’individus au service du citoyen au sein de ces institutions qui ont le devoir et le pouvoir de réagir. Pour remettre de l’ordre. Les comportements des flics de la SOGET sont une insulte à la citoyenneté des Tchadiens, une violation du droit de ceux-ci à revendiquer leur nationalité et une entrave à leur droit à pouvoir exister en tant que citoyen, circuler et vaquer librement à leurs occupations. Les Tchadiens doivent refuser de se faire traiter de la sorte. Les députés Tchadiens, tous bords confondus, représentants du peuple doivent refuser que leurs concitoyens soient humiliés de la sorte. Les p
artis politiques devraient vigoureusement contester de telles pratiques. Et le gouvernement devrait mettre un terme à ces pratiques contre productives dans un Etat de droit.

Nadjikimo Benoudjita

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