De plus en plus de Tchadiens manifestent un sentiment anti-français. A la marche de samedi, des drapeaux français ont été brulés et des intérêts français vandalisés à N’Djaména et Abéché. Le politologue, Evariste Ngarlem Toldé, analyse cette situation et estime que la France doit peser de son poids pour améliorer la bonne gouvernance au Tchad.

Comment expliquer le sentiment anti-français qui se manifeste au sein de la population ?  

S’il y a une explication à donner, c’est la longévité de la présence française et tout son corollaire de conséquences que le peuple tchadien a connu depuis le début des indépendances jusqu’aujourd’hui. Chacun a une idée de tout ce qu’a fait la France. Et le mot d’ordre invitant les Tchadiens à marcher contre la présence française semble avoir reçu un écho très favorable auprès de la grande majorité des Tchadiens du Nord au Sud.

Comment cela peut s’expliquer ? Simplement parce qu’on est arrivé à un moment où la France semble être à l’origine de presque tous les maux que vivent les Tchadiens. Les Tchadiens pensent que c’est la France qui continue à soutenir les régimes autoritaires que le Tchad a connu. Depuis Tombalbaye jusqu’aujourd’hui.

Que la France ne pipe mot sur les nominations claniques, sur les promotions tribales.  Qu’en dépit de l’argent du pétrole engrangé, le pays ne se développe pas. Les gens estiment que tout cela est fait en complicité avec la France. Le maréchal Deby avait dit en son temps qu’il voulait quitter le pouvoir mais c’est la France qui l’a maintenu. Les Tchadiens ont comme une certaine haine à l’égard de la France.

Les Tchadiens ont-ils tort ou raison d’accuser la France d’être à l’origine de leurs maux ?

On ne saurait dire s’ils ont tort ou raison. Mais, on ne peut tenir la France comme seule responsable de ce qui nous arrive. Où est la place du citoyen, la place du peuple dans tout cela ? Toujours est-il qu’ayant été une colonie française, on voit dans tout ce qui se passe, la main de la France.

Du fait que la manifestation de samedi puisse mobiliser un nombre aussi important de Tchadiens des quatre coins du pays montre à suffisance le point de convergence de ces revendications.

Quel est l’impact de ces manifestations sur l’image ou les intérêts français ?

Les manifestants se sont pris aux intérêts français notamment à Total. Même si cela est déplorable et regrettable pour notre image, c’est justement le début de la détérioration du bon-vivre entre les Tchadiens et les troupes françaises.

Si les manifestations ont eu lieu le samedi à N’Djamena et Abéché, elles se sont poursuivies à Ati, à Am-Timan, à Oum-Hadjer, etc. Ce n’est plus le mot d’ordre de Wakit Tamma qui a poussé les gens à réagir. On a même parlé d’un mort à Ati.

Plus rien ne sera comme avant. Les Tchadiens s’estiment être en droit de demander le départ des troupes françaises parce que si d’autres pays l’ont fait, pourquoi l’on ne pourrait pas aussi le faire. Plus de 60 ans de présence militaire au Tchad, les gens pensent que c’est trop !

Que peut faire la France pour redorer son image ?

Aujourd’hui, il ne faudrait pas qu’on aille au-delà des 18 mois de transition. Parce que les politico-militaires, la diaspora, Wakit Tamma sont tous d’accord pour que les 18 mois ne soient pas renouvelés. Que la France puisse agir dans ce sens. Parce qu’elle s’est dite prête à aider pour qu’il y ait une solution entre les parties.

Il faut faire en sorte que ceux qui sont au pouvoir puissent revoir leurs ambitions à la baisse. Malheureusement, les gens n’écoutent pas de cette oreille. Si on doit aller vers un dialogue national et souverain, il est tout à fait normal qu’on ait une Charte consensuelle. Si cela n’est pas le cas, le Conseil militaire de transition (CMT) sera au début et à la fin de ce dialogue et on aura toujours les mêmes personnes au sortir de cette rencontre. La France a intérêt à faire que le dialogue soit vraiment inclusif et souverain.

Avec l’arrestation et certainement la condamnation des leaders de Wakit Tamma, ce qui est sùr la colère ne fera que gronder et nous craignons fort que le Tchad ne bascule dans la violence.