On les croyait jetés dans la poubelle de la Françafrique, tous ces présidents mal élus, les corrompus, les ex-rebelles devenus autocrates, les “fils de…” arrivés au pouvoir par la grâce de systèmes quasi monarchiques. François Hollande avait même prononcé leur oraison funèbre, le 12 octobre 2012, à l’Assemblée nationale sénégalaise, puis le lendemain devant un parterre de chefs d’Etat francophones réunis à Kinshasa.

Le président français foulait alors le sol africain pour la première fois et promettait de rompre avec les pratiques de Nicolas Sarkozy, d’en finir avec les réseaux officieux, leurs émissaires occultes et leurs tam-tams bourrés de petites coupures livrés nuitamment. M. Hollande avait de plus pour atout un passé non africain, ses seuls contacts étant ceux de l’Internationale socialiste. L’heure était à la transparence, à la prime donnée aux bons démocrates. Les autres ne fouleraient plus le tapis rouge déroulé jusqu’au perron de l’Elysée.

Ali Bongo essuya les plâtres. Dans les couloirs du sommet de la francophonie de Kinshasa, le président gabonais avait promené sa mauvaise humeur face à la France qui le traitait comme un président normal. A Paris, quelque temps auparavant, il n’avait eu droit à aucun tête-à-tête avec François Hollande alors que son père, Omar Bongo, avait côtoyé – si ce n’est tutoyé – tous les présidents français de la Ve République.

Idriss Déby, l’ancien chef de guerre devenu le président du Tchad à la force d’une kalachnikov, avait préféré boycotter ce sommet plutôt que de subir les mêmes outrages que le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, ou le Camerounais Paul Biya.

Ces hommes – Déby, Sassou, Biya – cumulent à eux trois près de soixante-quinze ans de pouvoir sans partage à la tête de leur pays. Ils faisaient les frais de cette “sincérité” défendue par François Hollande à Dakar. “Cette sincérité, prédisait alors le président français, vaut en particulier pour le respect des valeurs fondamentales : la liberté des médias, l’indépendance de la justice, la protection des minorités.” Autant de domaines dans lesquels les présidents suscités affichent de tristes bilans. Cela leur fut rappelé.

Et il fut promis qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. “Le temps de la Françafrique est révolu. Il y a la France et il y a l’Afrique. Il y a le partenariat entre la France et l’Afrique, avec des relations fondées sur le respect, la clarté et la solidarité”, énonçait encore François Hollande à Dakar.

C’était il y a huit mois. Depuis, une forme de Realpolitik africaine est revenue s’imposer à la diplomatie française au sujet de ses anciennes colonies. Le 20 avril, Paul Biya était gratifié d’une “pensée particulière” par François Hollande, qui lui rendait un hommage appuyé pour son rôle joué dans la libération des sept otages français de la famille Moulin-Fournier enlevés en février dans le nord du Cameroun par des éléments de la secte nigériane Boko Haram.

Pour Idriss Déby, c’est la crise malienne qui est venue laver son honneur. On ne lui demande plus de comptes pour la disparition de ses opposants. Les hommes du président tchadien – les “hyènes du désert” comme les surnomment les militaires français – ont joué un rôle déterminant dans la traque et la neutralisation des groupes djihadistes camouflés dans les sables et les rochers de l’Adrar des Ifoghas dans le nord du Mali. La mission de maintien de la paix des Nations unies aura encore besoin de ces adeptes des charges de cavalerie motorisée sur les dunes du Sahel pour sécuriser ce vaste espace inhospitalier. On dit que les Français pousseraient à New York pour que le fils Déby, qui commandait le contingent tchadien au Mali, prenne la tête des casques bleus que l’ONU doit déployer dans ce pays.

Quand à Sassou Nguesso, il a lui aussi prouvé son utilité pour régler la énième crise en Centrafrique, conclue début avril par la chute de François Bozizé, président corrompu chassé du pouvoir par une rébellion soutenue par… le Tchad.

Paris, Déby, Biya, Sassou… La Françafrique bouge encore ? Quelle rente politique vont-ils tirer de l’aide sollicitée par la France ? Et l’insistance de la France à ce que le Mali organise des élections au mois de juillet – “nous serons intraitables “, a averti François Hollande – ne s’apparente-t-elle pas à de l’ingérence dans son ex-colonie où demeureront stationnés pour quelque temps encore plus d’un millier de soldats et d’officiers français ? N’eut-il pas été préférable, après avoir aidé le Mali à recouvrer sa souveraineté face à la menace djihadiste, de laisser ses dirigeants décider librement de la date des élections, sans pression ni précipitation ?

L’économie, véritable enjeu

Si les temps ont vraiment changé, c’est surtout parce que quand bien même la France aurait encore des visées “impérialistes” sur le continent noir, elle n’en aurait plus les moyens.

Plus de cinquante ans après la grande vague des indépendances africaines, la guerre d’influence se joue sur le terrain économique. Ce que veulent les Etats africains, ce sont des infrastructures, de la technologie, des universités, leur part dans un partage plus équitable du fruit de l’exploitation de leurs immenses richesses minérales.

Cette guerre-là est ouverte. L’époque des accès préférentiels accordés aux entreprises françaises par des dispositions secrètes annexées aux traités d’amitié est, elle, révolue. La Chine, bien sûr, mais aussi l’Inde ou le Brésil, ainsi que des compagnies africaines émergentes, sont entrés de plain-pied dans cette bataille où s’exposent les faiblesses compétitives de l’économie française.

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Source: lemonde.fr