PORTRAIT – La journée de l’enfant africain a été célébrée le 17 juin. Dans ce cadre nous vous proposons l’histoire de Zakaria*, un soldat de l’armée tchadienne. Il fut enfant soldat.

Il n’avait que 17 ans à l’époque. Son unité tombe dans l’embuscade tendue par un groupe armé au Tibesti, dans le nord du Tchad. L’accroche est macabre. L’on compte beaucoup de morts dans les deux camps. « C’était terrifiant », soupire Zakaria* qui a frôlé ce jour-là la mort. plus de dix ans plus tard, cette scène est restée vive dans son esprit.

Pantalon de l’armée et t-shirt civil, le jeune homme s’est engagé alors qu’il était mineur.

“Nous sommes en formation militaire”

Zakaria

Visage serré, il nous confie qu’il n’avait pas le choix. Pourquoi ? Silence. Il prend une taffe de sa cigarette (il a commencé à fumer dans l’armée), il hésite. Puis, il accepte finalement de raconter les péripéties et aléas de son histoire. « Pouvons-nous nous retirer ? » suggère-t-il, un peu gêné par la présence de ses amis assis avec lui au pied d’un neem. À l’abri de regards, Zakaria se lance : « J’avais dix ans quand mon père est mort. Après les obsèques, mes six frères et moi sommes partis vivre chez notre oncle. »

C’est le début d’une nouvelle vie. Comme la plupart des enfants du quartier, il va à l’école. Un jour, de retour de classe, Zakaria dépose son sac à la maison et disparait dans la nature. Ses frères et son oncle se mettent à sa recherche. Le quartier est passé au peigne fin, mais le garçon est introuvable. « Il finira bien par revenir un jour, mort ou vif », lâche alors son tuteur, sans remords. Il faut dire que les rapports avec ce dernier n’étaient jamais au beau fixe. « Mon oncle était sévère voire foncièrement méchant envers moi. Il privilégiait toujours ses enfants bien plus que ceux de son frère décédé. Je ne pouvais plus supporter cela », confie aujourd’hui Zakaria.

“Il m’arrive de regretter mon choix d’être militaire”

Zakaria

Où était-il passé ? À Chagoua, dans ce quartier sud de N’Djamena, où il habitait, chacun va de son commentaire. Des rumeurs circulent alors selon lesquelles le mineur se serait engagé dans l’armée. Ce que lui-même confirmera par un coup de fil à une de ses sœurs deux mois après la fugue. « Nous sommes en formation militaire », lui avoue-t-il alors en guise de signe de vie à la famille. En fait, il a réussi à modifier ses dates de naissance pour être enrôlé.

À l’issue de la formation, il est sorti soldat de première classe, officiellement âgé de 20 ans. Mais, en réalité, il n’en avait que 17 et quelques mois.

En ce temps, le bruit des bottes se fait entendre dans le nord du pays. À N’Djamena, des militaires seraient en préparation pour renforcer l’effectif sur place. Cela se répétait sans cessez dans des casernes. Il se disait « qu’après la mission, chaque soldat gagnera en galon ». La troupe serait prête. Zakaria n’en fait pas partie. Il joue ses cartes. Pour lui, il n’est pas question de laisser cette opportunité d’avoir un grade de plus l’échapper. Finalement, le jeune soldat est repêché. Comment ? il ne dit rien. Pour taire ce qu’il ne va jamais révéler, il réplique « je suis aujourd’hui, caporal » tout en prononçant son titre avec autant de fierté.

Un mérite que l’ex enfant soldat a arraché suite à plusieurs missions.  D’abord au Lac Tchad, leur mission était de sécuriser la zone contre la secte Boko Haram. Sur place, Zakaria a frôlé la mort. La peur d’être tué par un ennemi kamikaze est quotidien et l’obsédait pendant six mois. « Il m’arrive de regretter mon choix d’être militaire. La seule chose qui me remontait le moral, c’est mes frères d’arme, ils me disent que nous agissons pour la patrie. »

“Quand je serai général, notre condition de vie va changer”

Zakaria

Ensuite à la frontière centrafricaine, au sud du pays, il passa six mois.  De retour, le caporal tente de se la couler douce. Son quotidien se résume au repos qui lui faisait défaut lors de ses missions. Ses heures lui sont précieuses. Il en profite pour ôter sa tunique militaire, être proche de sa femme, son enfant et ses frères et sœurs. Parfois, il prend quelques verres avec les amis.

Autrement, Zakaria mène une vie modeste, contraire à celle qu’il s’est imaginée étant enfant : être architecte, construire une ville, posséder des voitures. À l’opposé de ce rêve d’enfance écourté par un choix prématuré, il a des bouches à nourrir. Tout repose sur ce qu’il gagne dans l’armée. Une paie qui ne couvre pas totalement ses obligations familiales. « Quand je serai général, notre condition de vie va changer. Ma famille aura ce qu’elle veut.  Moi, j’aurai des hommes à mes ordres », souhaite-t-il avec conviction. Une phrase qui fait sourire enfin le bel homme au teint sombre. 

*Pour des raisons de confidentialité, nous avons préféré changer le prénom.