N’DJAMENA, 15 juin (Xinhua) — Une double attaque perpétrée lundi matin dans la capitale tchadienne, N’Djamena, qui a fait 28 morts et 100 blessés, a plongé la population dans l’émoi et la peur.

Attribuant les deux attentats à la secte terroriste nigériane Boko Haram, le gouvernement tchadien a appelé les N’Djaménois au calme et a promis d’y répondre avec fermeté et détermination.

Les deux attaques qui se sont produites aux environs de 09h00 (08h00 GMT) ont touché l’Ecole nationale de police et les abords du commissariat central de police de N’Djaména. Bilan provisoire fourni par le gouvernement tchadien à la mi-journée: 27 morts dont 4 terroristes et 101 blessés. Un des blessés a succombé en fin de journée, portant le bilan à 28 morts.

Pour ces attaques simultanées contre le Tchad, l’un des pays de la région impliqués dans la guerre contre Boko Haram, les terroristes ont choisi de frapper en plein coeur de la capitale.

L’Ecole nationale de police est située dans le quartier administratif de Diguel, dans le VIIIème arrondissement, à quelques encablures du siège du Conseil constitutionnel et de l’ hôpital de l’Amitié Tchad-Chine.

Le second cible, le commissariat central de police, fait face à la Direction de la surveillance du territoire (DST, les services de renseignements), mais est surtout à quelques mètres du Palais rose, le palais présidentiel, et tout près des ambassades de France et de Chine.

Au moment de l’explosion, le président Déby Itno se trouvait à Johannesburg, en Afrique du sud, pour le 25ème sommet de l’Union africaine (UA).

“Toutes les mesures sécuritaires idoines et appropriées sont prises par les forces de défense et de sécurité et ces mesures, fortes et énergiques, sont déjà mises en oeuvre. Par ailleurs, une cellule de crise a été mise en place par le Premier ministre”, a déclaré Hassan Sylla Bakari, ministre de la Communication et porte- parole du gouvernement tchadien, dans un communiqué publié quelques heures après les attaques, qu’il a attribuées à Boko Haram, même s’il n’y a encore aucune revendication.

Autre mesure prise par le gouvernement: l’interdiction formelle de circuler avec véhicules à vitres fumés. Selon des sources policières, les kamikazes qui ont frappé à l’Ecole nationale de police, y étaient venus à bord d’un véhicule à vitres fumés. Celui qui s’est fait exploser devant le commissariat de police, était à moto.

Mais la psychose est palpable au sein des N’Djaménois, bien que le gouvernement ait rassuré la population, l’invitant à garder tout son calme et sa sérénité légendaire “car la situation est entièrement sous contrôle totale”. Les écoles ont été immédiatement fermées. Des sociétés ont dû renvoyer leurs employés avant la fin de l’heure.

“Depuis l’engagement de nos troupes contre la secte islamiste, les autorités ne cessent de nous répéter que nous n’avons rien à craindre de Boko Haram, mais il n’en est rien”, a indiqué Mahamat Adoum Ibrahim, un riverain de l’Ecole nationale de police.

Avant même d’envoyer des contingents au Cameroun à la mi- janvier 2015, puis au Nigeria, et plus tard au Niger, pour contrer les avancées meurtrières des islamistes, le gouvernement tchadien avait pris des dispositions: redoublement de la vigilance sur le pont de Nguéli qui relie N’Djaména à Kousseri, la vile camerounaise voisine; multiplication des barrières aux entrées nord et sud de la capitale tchadienne et à l’intérieur du pays; renforcement “de manière discrète” de la sécurité dans les lieux publics, tels les écoles, marchés ou maisons de culte; fouilles et interpellations régulières dans certains quartiers de N’Djaména et alentours.

“Mais toutes ces mesures sécuritaires n’ont pas empêché les attaques de ce matin, ni celle de Ngouboua d’il y a quatre mois”, note Mahamat Adoum Ibrahim.

Le 13 février dernier, des éléments de Boko Haram ont traversé le Lac Tchad, qui sert de frontière naturelle entre le Nigeria et le Tchad, et ont attaqué la presqu’île tchadienne de Ngouboua. Cette première attaque de la secte terroriste nigériane sur le sol tchadien avait fait deux morts du côté tchadien (un militaire et un chef local “tué par une balle perdue”) et autant de victimes dans les rangs de Boko Haram.

“Pendant de longs mois, notre pays avait été épargné des attaques de Boko Haram. Mais la donne a changé depuis que nous avons décidé d’envoyer des contingents au Cameroun, au Nigéria et au Niger pour lutter les terroristes”, reconnaît un officier de l’ armée tchadienne sous couvert d’anonymat.

Après l’attaque de Ngouboua, le gouvernement tchadien était passé à la vitesse supérieure dans la lutte contre la secte nigériane Boko Haram. Des dizaines de véhicules blindés, des chars à chenilles sur des porte-chars, des camionnettes bourrées de militaires étaient partis renforcer les positions de l’Armée nationale tchadienne (ANT) aux abords du Lac Tchad.

Aujourd’hui, plus de 3.000 soldats sont déployés partout sur les 52 îles du lac sous contrôle tchadien, selon le général Bayanan Kossingar, gouverneur de la région du Lac. “Que ce soit sur la terre ferme ou sur les îles, ils veillent jour et nuit. La sécurité est assurée à 100% au Lac”, a-t-il déclaré la semaine à Xinhua.

Si le général Kossingar et les autorités tchadiennes ont toujours estimé que l’attaque de Ngouboua était un “coup d’éclat” et que Boko Haram avait été ramenée à ses terres nigérianes, la double attaque de lundi est venue rappeler que N’Djaména n’est jamais à l’abri des attaques de la secte islamiste. La capitale tchadienne n’est en effet séparée de l’Etat nigérian du Borno, fief historique de Boko Haram, que par l’Extrême-Nord du Cameroun, une étroite bande de terre d’une cinquantaine de kilomètres.

“Ces attaques, qui visent à créer une psychose au sein de la population, ne sauraient émousser la détermination et l’engagement du Tchad à combattre le terrorisme. Rien, rien ne pourra ébranler le calme légendaire des Tchadiens qui ne céderont jamais à la terreur”, a affirmé M. Sylla Bakari. Il a déclaré que le gouvernement tchadien poursuivra sans relâche la lutte contre les criminels qui ont dessein de semer la mort et la désolation dans les familles tchadiennes.

“Boko Haram se trompe de cible. Ces terroristes sans foi ni loi seront débusqués et mis hors d’état de nuire où qu’ils soient” a-t- il promis.

Aussitôt après la double attaque terroriste, N’Djaména a été quadrillée. Des éléments de la célèbre DGSSIE (Direction générale de sécurité des services et institutions de l’Etat) ont pris d’ assaut les rues et carrefours de la ville et passent au peigne fin les véhicules à deux ou quatre roues. Les propriétaires des véhicules à vitres fumés ont été contraints d’enlever eux-mêmes sur le champ ces vitres à problème. La nuit tombée, N’Djaména sombre dans un état d’urgence officieux, accentuée par l’obscurité qui y règne généralement.

“Rien ne saura ébranler notre détermination”, a déclaré le Premier ministre tchadien, Payimi Kalzeubé Deubet, sur la télévision publique.

L’Assemblée nationale du Tchad avait voté, le 20 mai, une résolution approuvant le maintien au Nigeria des forces armées tchadiennes “jusqu’à l’éradication de la menace représentée par la secte islamiste Boko Haram”.

Cinq jours plus tard, la force mixte de la Commission du bassin du Lac Tchad (CBLT) pour lutter contre la secte islamiste nigériane Boko Haram, était officiellement lancée dans la capitale tchadienne. C’est au sein du Groupement des écoles militaires inter-armées du Tchad qu’est installé son quartier général, en attendant des locaux propres. Cette force, qui sera composée de 8. 700 hommes fournis par le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, tous pays membres de la CBLT, ainsi que le Bénin, sera placée sous les ordres haut-gradé nigérian. Le 4 juin, le président tchadien Idriss Déby Itno et le nouveau chef d’Etat nigérian Muhammadu Buhari ont clairement exprimé, à N’Djamena, leur volonté et engagement de collaborer à tous les niveaux pour rendre plus efficace le combat commun qu’ils mènent contre la secte Boko Haram et de ramener ainsi la paix et la sécurité indispensables au développement de la région.

C’est là dans cette citadelle qui paraissait intouchable hier encore, et dans deux de ses endroits symboliques, que Boko Haram a choisi de frapper.