Par ce matin légèrement pluvieux du 21 juin 2013, les habitants de N’Guéli sont jetés dans la rue. Des vieillards et des enfants laissés à la merci de la nature. Un spectacle triste et désolant. Reportage.

Vendredi noir à N’Guéli. Tôt ce matin, les habitants de ce quartier du IX ème arrondissement de N’Djaména, se réveillent complètement ahuris. Quadrillés par des véhicules bourrés de gendarmes et de gardes nomades armés jusqu’aux dents, appuyés par des citernes à eau chaude dissuasives pour mater toute éventuelle manif, ils ne savent plus à quel saint se vouer. La veille, les forces de l’ordre ont donné une alerte: “sauvez ce qui peut l’être de vos maisons, il y aura casse!’’ . Ni plus ni moins. Séance tenante, un comité de crise est mis sur pied. Ses membres se décident de rencontrer les hautes autorités, notamment le Premier ministre, joseph Dadnadji Djimrangar, caressant ainsi la fibre du bon voisinage pour qu’il les situe sur leur sort. Le Pm habite en effet le même arrondissement. Mais la rencontre du 20 juin qui devait avoir lieu à la résidence officielle du chef du gouvernement est un véritable canular. Alors que le comité de crise attend d’être reçu au lieu indiqué, Dadnadji regagne son domicile privé à Digangali dans le IX ème . Le comité de crise rentre bredouille, n’ayant que ses yeux pour pleurer. “Jusqu’au jour du 20 juin 13, date de la menace de casser nos maisons et de nous déguerpir, personne ne nous a approchés, ne serait-ce que pour nous donner un délai de quitter les lieux’’, reprennent en chœur les membres du comité de crise. En outre, “il y a quelques mois, les agents du service des cadastres sont descendus à N’Guéli pour viabiliser le quartier. Certaines personnes en ont profité pour lotir leurs lopins moyennant du sou, je connais un voisin qui a payé son titre foncier’’, explique un cadre d’une entreprise privée, habitant le quartier. S’agissant de la viabilisation de N’Guéli, les maisons marquées en croix blanche attestent bien un travail des cadastres effectué d’avance sur les lieux. “Ils nous ont fait croire au passage des rues. Ceux qui ont eu des maisons touchées par les tracés des cadastres ont déjà eu le cœur net. Ils ont été déjà fixés et on ne comprend plus ce revirement de situation’’, explique un père de famille, en colère.

Calvaire

“Nous vivons le calvaire. Jamais de la vie, on ne peut s’imaginer une chose pareille. Le régime de Déby est simplement inhumain. Sinon, comment expliquer que de pauvres citoyens soient ainsi jetés en pleine saison des pluies dans la rue, sans aucun remord’’, se plaint un septuagénaire qui habite N’Guéli depuis des lustres. “Ici, c’est une mini forêt. Nous cohabitions avec les animaux sauvages. Pour des raisons de pêche, nous avons trouvé sur place Moussa, le tout premier habitant de N’Guéli qui sera rejoint par Kawadji dans les années 40-50. C’est ici où nous nous sommes mariés, avons donné naissance à nos enfants qui ont fait aujourd’hui nos petits-fils et arrière-petits-fils. Où irons-nous maintenant, nous qui avons toute notre vie en ces lieux?’’, ajoute le vieillard d’un ton qui fait pitié. Pitié. Ce mot n’est pas connu des forces de l’ordre qui exécutent un ordre reçu d’en haut. Dans une famille non loin du vieil homme qui marche maintenant aidé d’un bâton, l’ambiance qui y prévaut émeut le moins sensible des hommes. Sur leur maman, une vieille femme malade et grabataire, des filles s’activent à sortir les marmites, tasses et autres meubles de la maison. Son mari, très âgé également, médite avec son voisin sur des bancs. En bons croyants, ils remettent leur sort dans les mains du Seigneur.

Délégué du quartier déboussolé

Chez le délégué du quartier N’Guéli, Félix Ngarndiguim, les pleurs des femmes se mêlent aux coups des marteaux qui ôtent les tôles sur les toits. Petit-fils de Nguinbé, ancien chef de village et fondateur de N’Guéli, le jeune délégué qui vient de remplacer à peine six mois son père décédé, ne sait plus où donner de la tête. Son village est en train d’être rayé de la carte de N’Djaména. C’est à ce moment précis que les bulldozers entrent en matière. Ils cassent tout sur leur passage, à partir du lycée Sans frontières (de l’ancien maire Mme Marie T h é r è s e Mbaïlemdana) jusqu’au bas du pont qui relie N’Guéli à la ville voisine camerounaise de kousséri. Selon certaines confidences, même les églises, mosquées, écoles et collèges privés qui se trouvent dans le lot n’échapperont pas à la hargne des bulldozers, gardés par des forces de l’ordre. Pourquoi a-t-on décidé de rayer N’Guéli de la capitale? Personne ne sait trop. Ni les autorités communales, ni le député de la circonscription n’en savent plus que les habitants.

Djéndoroum Mbaïninga

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