N’DJAMENA, 10 juin (Xinhua) — Au Tchad, la loi contre le tabac n’est pas toujours appliquée quatre ans après sa promulgation et le produit nocif et omniprésent continue de gagner du gagner du terrain, surtout chez les jeunes.

“Cette loi en l’état actuel est applicable en principe, le seul problème est que certaines de ses dispositions nécessitent des textes d’application”, déclare Dionko Maoundé, doyen de la Faculté de Droit et sciences politiques de l’Université de N’Djaména, par ailleurs initiateur de la loi antitabac.

Il s’agit notamment des dispositions concernant l’importation et la vente du tabac qui nécessitent un arrêté conjoint des ministères en charge de la Santé publique et du Commerce. Cette situation est la même en ce qui concerne les dispositions sur les conditionnements externes et l’étiquetage des produits du tabac qui attendent un arrêté du ministre de la Santé publique pour leur application.

La loi antitabac, promulguée par le président Déby Itno le 10 juin 2010, s’est fixé trois objectifs: réglementer la consommation des cigarettes et autres produits du tabac, ainsi que toutes autres matières y afférentes; déterminer l’étendue de l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou recevant du public afin de protéger les populations tchadiennes, en particulier les jeunes, contre les effets nocifs liés à l’usage du tabac; et sensibiliser la population sur les dangers de l’usage du tabac et l’exposition à la fumée du tabac.

Après une période moratoire d’un an, la loi contre le tabac devrait entrer en vigueur dès juin 2011. Mais les textes réglementaires d’application de la loi ne sont pas toujours promulgués.

Seul un décret présidentiel du 10 juin 1994 instituant une surtaxe temporaire sur divers produits importés et un arrêté interministériel du 26 décembre 2000 portant mentions sanitaires obligatoires, ont été publiés, mais ne produisent pas toujours les effets attendus.

“L’absence de répression n’est pas faite pour encourager le respect de la loi, c’est ce qui fait que pratiquement la loi portant lutte antitabac est foulée au pied”, explique M. Dionko Maoundé. La loi portant code de l’hygiène avait recommandé la création d’un corps de police spéciale rattaché au ministère de la Santé publique, pour appréhender et réprimer les contrevenants à la loi antitabac. Si ce corps a vu le jour, ses membres n’ont pas encore pris service et n’ont pas les moyens pour assumer leur mission.

A défaut des forces répressives, quelques administrations essayent d’instaurer le respect de la loi antitabac. Dans une note circulaire de 2012, le Premier ministre avait demandé aux ministres d’instaurer des espaces non-fumeurs dans leurs administrations. L’unique exemple à encourager reste celui de l’actuel ministre de la Santé publique, Dr Ngariera Rimadjita, qui a classé tout son département comme espace non-fumeur.

“La société civile n’est plus réduite qu’à faire un travail de sensibilisation sur cette loi auprès des jeunes et des fumeurs, d’autant plus que les décrets d’application et les structures de répression qui doivent normalement les accompagner n’ont pas suivi “, déplore Bédingar Ngarossorang, coordonnateur du projet d’acquisition des compétences de vie courante et d’éducation par les pairs de la Croix-bleue tchadienne.

Véritable effet de mode, la cigarette a conquis le milieu de la jeunesse et fait des ravages dans l’ombre. “La plupart des gens qui fument le font par imitation des parents, amis ou frères. Les jeunes étant très sensibles à la publicité dont use les manufacturiers, se laissent vite attirer par les mirages de la cigarette”, explique Bédingar Ngarossorang.

Selon des études menées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, ceux qui commencent à fumer à l’adolescence représentent 70%, et qu’ils continuent à fumer pendant 20 ans et ont une espérance de vie réduite de 20 à 25% par rapport à ceux qui n’ont jamais touché une cigarette.

Des enquêtes menées par l’Association pour la défense des consommateurs (ADC) et l’Observatoire du tabac en Afrique francophone (OTAF) à N’Djaména en 2005 et 2006, révèlent que 33% des jeunes âgés de 16 à 30 ans fument la cigarette. Une autre enquête plus récente, menée par le ministère tchadien de la Santé publique sur les jeunes collégiens (13-15 ans), démontre que 14,2% ont déjà tiré une ou deux bouffées de tabac (dont 15,7% de garçons et 9,4% de filles).

Cette situation est en partie favorisée par une taxation faible et presque négligeable dont profite l’industrie du tabac au Tchad.

Alors que les droits d’assises sont plafonnés à 25%, le taux appliqué au tabac n’est que de 10%, en raison de la convention d’établissement dont bénéficie la Manufacture des cigarettes du Tchad (Mct).

Le Tchad ne bénéficie pas des droits de douanes (30%), car les matières brutes utilisées par la MCT proviennent du Gabon qui fait partie de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).

Enfin, le trésor public tchadien ne perçoit que 5 francs CFA par paquet de cigarettes à titre de taxe sur la protection de l’environnement.

“Lors de la dernière journée mondiale contre le tabac, nous avons, de concert avec la société civile, recommandé l’arrêt immédiat et définitif de la subvention à l’industrie du tabac, l’application de la directive de la CEMAC relative aux droits d’accises, c’est-à-dire appliquer le taux de 25%, rendre opérationnelle la police sanitaire et interdire à l’industrie du tabac de produire et de distribuer des calendriers”, conclut Ahmat Mahamat Hindi, coordonnateur national de la lutte contre le tabac.