N’DJAMENA, 6 mars (Xinhua) — La Semaine nationale de la femme tchadienne (Senafet) 2015, qui s’achève dimanche avec la Journée internationale de la femme, est célébrée autour du thème “l’ autonomisation de la femme”. Un thème devenu récurrent ces dernières années, mais les inégalités de genre restent toujours criardes dans la réalité.

“Le thème de la Senafet 2013, qui “l’autonomisation de la femme “, continue de dominer l’actualité”, déclare Mme Dangar Martine Yankal, directrice générale de la Femme et de l’Equité de genre au ministère tchadien de la Femme, de l’Action sociale et de la Solidarité nationale. Cette année-là, à l’occasion de leur journée internationale, les femmes tchadiennes avaient réclamé au gouvernement “la parité aux postes de responsabilité”. Si la Première dame du Tchad, Hinda Déby Itno, avait soutenu ses soeurs dans leurs revendications, le chef du gouvernement de l’époque, Joseph Djimrangar Dadnadji, leur avait conseillé la patience.

“Depuis 2013, la société civile et les pouvoirs publics font de leur mieux pour que la femme soit autonome. Malheureusement, jusqu’ à ce jour, il n’y a pas un projet national portant sur l’ autonomisation de la femme”, déplore Mme Dangar Martine Yankal.

Au Tchad, les femmes représentent plus de 52% de la population estimée à 12 millions d’habitants. Mais elles restent sous- représentées à tous les niveaux de l’appareil d’Etat. Même le quota de 30% promis par le président Idriss Déby Itno il y a quelques années, n’est pas respecté. Au gouvernement, si 8 des 28 ministres et secrétaires d’Etat sont des femmes, elles ne sont que 25 à siéger à l’Assemblée nationale, aux côtés de 163 hommes.

Même au sein des partis politiques, les femmes sont malmenées. Leurs noms ne sont jamais inscrits en tête de liste lorsqu’elles se présentent à une élection. Elles sont soit classées en plein milieu, soit en queue de liste. Ainsi, sur les 42 maires qui ont été élus en 2012 à la tête des principales villes du pays, il y a une seule femme. L’autonomisation de la femme passe nécessairement par la reconnaissance de son statut. Or, depuis plusieurs années, le Tchad tarde à se doter d’un Code des personnes et de la famille. Ancienne colonie française comme la plupart des Etats de l’Afrique centrale, il continue à utiliser le Code civil français, vieux de plusieurs siècles et inadapté à ses réalités socioculturelles actuelles.

Au début des années 2000, un projet de Code des personnes et de la famille typiquement tchadien a été initié. Malheureusement, depuis 2006, les entraves religieuses et politiques empêchent son aboutissement. L’Union des cadres musulmans du Tchad et certains leaders chrétiens ont rejeté plusieurs dispositions du projet de Code qu’ils estiment contraires à la Charia et à la Bible.

En 2013, les femmes avaient exigé à l’Assemblée nationale l’ adoption “dans un bref délai” du Code de la famille, ainsi que la ratification de deux protocoles additionnels à la Charte africaine relatif aux droits de la femme en Afrique et l’autre à la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations faites aux femmes. Deux ans plus tard, rien n’a bougé.

Même le projet de la Politique nationale du genre (PNG), élaboré par le gouvernement avec l’appui technique et financier des partenaires Oxfam et l’Organisation des Nations-Unies pour la population (UNFPA) et transmis au gouvernement depuis octobre 2011, n’a pas encore été adopté en conseil des ministres.

“Avec cette Politique nationale du genre, si elle venait à voir le jour, la question d’inégalité sera réglée. Nous nous demandons pourquoi le gouvernement traîne à l’adopter”, déclare Mme Dionadji Topinanty Brigitte, coordonnatrice du Programme des droits de la femme. Elle voit “derrière ce silence”, ” la phobie des hommes qui pensent à tort qu’avec la PNG, la femme changerait l’ordre des choses”.

Le document démontre l’impact des inégalités du genre sur le développement socioculturel, économique et politique. Il met également en exergue les défis majeurs à relever en matière de genre et de promotion de la femme au Tchad: le développement d’un cadre juridique et institutionnel propice à la réalisation de l’égalité et de l’équité de genre et à la promotion des droits humains; l’élimination des écarts dans le domaine de l’éducation, de la formation et de l’emploi; l’accès égal aux opportunités, y compris au foncier et aux sphères de prises de décisions; le développement des mesures concrètes en vue de réduire la pauvreté des femmes et autres groupes marginalisés, etc.

C’est dans le milieu rural que les écarts entre les femmes et les hommes sont significatifs, selon un livret de plaidoyer conjoint publié par quatre organisations de la société civile tchadienne et Oxfam et intitulé “6 réalités sur les inégalités entre les hommes et les femmes en milieu rural au Tchad”. Même si les femmes rurales tchadiennes représentent environ 40% de la population du pays et sont des piliers de la production agricole et de la sécurité alimentaire, elles subissent encore de nombreuses inégalités au quotidien, notamment en termes de revenus, de charge de travail, de vulnérabilité liée aux crises alimentaires, d’accès au crédit et au matériel et à la formation agricole.

“La voix des femmes rurale n’est que trop rarement entendue. Cela est due à la persistance des pratiques culturelles et traditionnelles néfastes, mais aussi à l’insuffisance de politiques publiques et de législation efficaces en matière de promotion du genre”, explique Marie Larlem, coordinatrice de l’ Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad (APLFT).

Pour les défenseurs de la cause féministe, l’adoption de la Politique nationale du genre, suivie de sa mise en oeuvre, permettra au Tchad à l’horizon 2063 de se débarrasser de toutes les formes d’inégalités et d’iniquités de genre et de toutes les formes de violences. “Ainsi, le Tchad sera un pays où les hommes et les femmes auront la même chance d’accès et de contrôle des ressources. De ce fait, ils participeront de façon équitable dans les instances de prise de décisions en vue d’un développement durable”, conclut Mme Dionadji Topinanty Brigitte.