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Mme. Habré, arrêtez la victimisation de votre mari et de votre famille ! Vous savez ce que Hissène Habré a fait. Vous savez que les victimes ont le droit de le voir rendre des comptes !

Mon mari a été arrêté brutalement le 20 juin 1987 à Moundou dans le sud du Tchad par des agents de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Vous savez cette police politique, inféodée à votre mari qui nommait à sa tête que des gens de son entourage, cette police qui avait un droit de vie ou de mort sur des milliers de personnes, comme mon mari.

Cette police est venue dans notre foyer, a pris mon mari et je ne l’ai jamais revu. Le Tchad de votre mari n’est certainement pas le Sénégal. Votre cher mari est parti, mais vous l’avez revu. Qu’avez-vous fait le lendemain de l’arrestation de votre mari ? Vous êtes passée à la télévision sénégalaise. Le lendemain de l’arrestation de mon époux, moi, j’ai été tabassée. J’ai été frappée à coups de matraques par des agents de la DDS qui sont venus piller tous mes biens. Ils ont pris tout ce qui m’appartenait.

Mme Habré, votre mari a été privé de sa liberté parce qu’il est poursuivi par un tribunal au nom de la loi. Vous savez où il se trouve et vous savez pourquoi. Vous n’avez sans doute pas oublié les tortures infligées à des milliers d’innocents, les vagues d’épuration ethnique, les massacres odieux perpétrés contre des prisonniers de guerre. A moins que votre exil doré au Sénégal vous ait fait oublier la dureté du Tchad. Car moi, j’ai attendu plus de 3 ans pour constater, en 1990, quand les portes des prisons du régime se sont ouvertes, que mon mari avait disparu à jamais. Il n’était pas parmi les personnes libérées des locaux de la DDS. Alors, s’il vous plait, Mme Habré, demandez à votre mari de donner des nouvelles du mien.

Je tiens à féliciter votre fille qui vient d’avoir son brevet. Son avenir sera sans doute plus ensoleillé que celui de mes enfants. Ayez une petite prière pour ma fille ainée qui a fait une crise asthmatique quelques mois après l’arrestation de son père. Peu de temps après la disparition de mon mari, j’ai perdu une de mes filles.

Vous avez, depuis l’arrestation de votre mari, un million de choses à faire et un million de choses à régler. Vous êtes sollicitée pour des interviews, l’opinion publique veut vous entendre. Mme Habré, après l’arrestation de mon mari, j’ai dû emmener mes enfants à N’Djaména parce que les agents de la DDS avaient pris tout ce que nous avions à Moundou. En rentrant à N’Djaména, j’ai vu que la concession de ma famille avait aussi été pillée. J’ai dû trouver un autre toit pour ma famille et apprendre à tout faire moi-même. Apprendre à travailler, à m’occuper seule des enfants. Et au-delà de tout ça, j’ai dû apprendre comment expliquer à ma fille cadette, qui avait 1 an et demi le jour de l’arrestation, que son père avait disparu. Mais peut-être qu’aujourd’hui votre mari pourrait donner à ma fille des nouvelles de son père ?

Mme Habré, votre mari a été inculpé par un tribunal. Il connait les faits qui lui sont reprochés, il a droit à des avocats qui vont le défendre. Mon mari était secrétaire principal de la police à Moundou, il n’avait pas d’activités politiques et il n’était pas en contact avec les rebelles. Personne ne nous a jamais dit pourquoi il avait été arrêté. J’ai cherché, j’ai demandé, mais personne ne m’a parlé. Tout le monde avait peur. La seule information qui me reste aujourd’hui, c’est que mon mari, un Hadjeraï, a été arrêté avec 5 autres personnes Hadjeraï et que leur appartenance ethnique est peut-être la seule raison pour laquelle c’est arrivé. Le régime Habré avait, je vous le rappelle, engagé une vaste campagne de répression contre les Hadjerais en 1987. Aujourd’hui, j’estime avoir le droit de savoir ce qui lui est arrivé et pourquoi, pourquoi il a été arrêté. Alors, s’il vous plait, Mme Habré, demandez à votre mari de donner des nouvelles du mien.

Mme Habré, vous commencez à connaitre les nuits seules, sans celui avec lequel vous vous étiez engagée pour le meilleur et pour le pire. Cela fait 26 ans que je suis seule, que je suis veuve, que je suis délaissée. Je n’ai pas vraiment eu le temps de profiter de mon mariage. Je crois, Mme Habré, qu’à cause de votre mari, moi, je me suis engagée pour le pire. Vous laissez entendre que vous comptez écrire au président Macky Sall régulièrement. Mme Habré, n’oubliez pas que les victimes de votre mari persévèrent depuis 23 ans. Nous n’allons pas nous arrêter : pour chaque lettre que vous écrirez, une veuve parmi ces milliers de victimes tchadiennes vous répondra.

Vous vous retrouvez aujourd’hui sans votre mari parce qu’il a été arrêté et mis en prison. Vous savez où ils l’ont emmené. Mme Habré, non seulement je n’ai jamais revu mon mari, mais je n’ai pas eu de corps à enterrer, je n’ai pas su quand il est décédé pour faire mon deuil. Aucune tombe, aucune sépulture. Comme des milliers de veuves tchadiennes, je ne saurai jamais ce qui est arrivé à mon mari. Alors, s’il vous plait, Mme Habré, demandez à votre mari de donner des nouvelles du mien. Il s’appelle Issa Dardoki.

Mme Khaltouma Daba
N’Djaména, Tchad.
16 juillet 2013

Source: ferloo.com