YAOUNDE, 10 juin (Xinhua) — Après 200 milliards de francs CFA d’emprunt obligataire en 2010, puis 100 milliards et 50 milliards de bons du trésor en 2011 et 2012, le gouvernement camerounais a levé 16 milliards de francs lors d’une émission aussi inédite d’obligations du trésor entre le 31 mai et le 5 juin, témoignage d’une stratégie visant à diversifier les sources de financement de l’investissement public.

Port en eau profonde de Kribi (Sud), barrages hydroélectriques de Lom Pangar (Est), de Memve’ele (Sud) et de Mekin (Sud), autoroute Douala-Yaoundé, etc. : le pouvoir de Yaoundé s’emploie aujourd’hui à donner corps à une longue liste de grands projets d’infrastructures à lourds financements avec pour but de permettre de hisser le Cameroun au rang des économies émergentes à un horizon fixé à 2035.

C’est une mouvance générale observée sur l’ensemble du continent où un nombre de pays important affirment leur ambition de s’inspirer des expériences des tigres et dragons asiatiques avec en ligne de mire surtout l’expansion fulgurante de la Chine, pour relever leurs assez faibles niveaux de développement et s’inscrire à leur tour comme des espaces d’expression de puissance économique et partant stratégique.

Première économie pour, à en croire les estimations, environ 40% de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), le Cameroun est poussé à la concurrence malgré eux par ses voisins du Gabon, de la Guinée équatoriale et du Tchad qui dévoilent quant à eux des échéances d’émergence plus rapprochées : 2020 pour Malabo et 2025 pour Libreville et N’Djamena respectivement.

Bâties pour notamment impulser le progrès social en vue du renforcement du capital humain, premier facteur de production des richesses d’un système économique, ces différentes stratégies politiques et institutionnelles charrient de légitimes attentes et espoirs d’amélioration des conditions de vie de la part de leurs populations qui pour une grande masse d’entre elles ploie sous la misère et la pauvreté.

Ce qui est sûr, à quelques exceptions près, les pays d’Afrique centrale et plus largement d’Afrique subsaharienne sont devenus de véritables chantiers où la construction de ports, aéroports, routes, ouvrages énergétiques et autres tient en haleine. Cap fixé par les Nations Unies, la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2015 en impose une pression supplémentaire.

Treize ans après son adoption en 2000 à New York, les rapports d’évaluation ne s’embrassent pas de fioritures pour mentionner sur un cri d’alarme les retards accumulés dans ce processus, un constat d’amertume qui vient conforter les doutes que soulèvent les programmes d’émergence économique quant à leur conduite à échéances pompeusement proclamées.

Dans les cercles de réflexion intellectuelle, le sujet fait débat sur le continent. Lors d’une conférence récemment à Yaoundé su le thème “L’Afrique et l’émergence : quels cadres, institutions et mécanismes sont-ils nécessaires ?”, l’ex-président de l’Assemblée nationale ivoirienne Mamadou Koulibaly a posé un diagnostic dans lequel il estimait qu’au stade actuel les pays africains ne réunissent pas encore les conditions du décollage escompté.

Professeur agrégé des sciences économiques ayant par ailleurs exercé les fonctions de ministre de l’Economie et des Finances sous les régimes de feu le général Robert Gueï et de Laurent Gbagbo, cet ex-ténor du Front populaire ivoirien (FPI) aujourd’hui à la tête de Liberté et démocratie pour la République (Lider), sa propre formation, se faisait l’écho du défaut dans ces pays de réformes structurelles audacieuses, pourtant cruciales pour la mise en place d’économies de marché émergentes.

Selon lui, les critères d’éligibilité au statut d’émergent imposent pour un pays candidat de disposer d’appareils statistiques fiables, un leadership régional, des politiques macroéconomiques ouvertes et responsables, une rupture avec les structures traditionnelles inefficaces, une reconnaissance au plan international, un marché des capitaux qui attire les investissements étrangers, soit une mutation vers une économie de marché.

Concernant les pays d’Afrique, Mamadou Koulibaly a dressé une liste de défis consistant à rompre avec l’aide publique au développement qualifiée de “très politisée”, maîtriser l’action de l’Etat, adapter la législation à l’environnement nouveau, faire le cadastrage des terres (pour l’heure propriété de l’Etat), contrôler l’enrichissement personnel des dirigeants, désenclaver les zones les plus pauvres, puis rompre avec le franc CFA pour ce qui est des pays francophones.

A l’instar de nombreux autres Africains qui en ont fait leur cheval de bataille, l’ex-compagnon de Laurent Gbagbo a toujours soutenu qu'” il est difficile d’envisager l’émergence avec le franc CFA, une monnaie qui a plutôt le gabarit de l’économie européenne”, alors que l’Afrique a besoin de créer son propre marché des capitaux.

“Dans nos pays, assénait-il encore, la croissance vient de l’aide internationale. En outre, c’est une croissance financée pour une bonne partie par les ménages. Ce qui veut dire que c’est une croissance appauvrissante”.

Dans un entretien à Xinhua en marge d’une visite de travail début mai au Cameroun, la directrice du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), Antoinette Sayeh, faisait aussi remarquer, à propos du Cameroun, que “l’appareil productif camerounais est relativement diversifié, mais la croissance économique du Cameroun est restée faible au cours des dernières années (3,2% en moyenne sur la période 2005-2012). La croissance a été entravée par des faiblesses structurelles, des infrastructures inadéquates et un environnement peu favorable aux entreprises privées”.

“Répondre aux besoins infrastructurels, recommandait alors Mme Sayeh, est une priorité pour les autorités camerounaises ; elles ont lancé un plan ambitieux de grands travaux pour relever les défis dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures. Il convient néanmoins d’aller plus loin et de s’attaquer aux problèmes structurels, tels les retards dans la mise en œuvre des grands projets et la qualité des dépenses d’investissement”.

L’amélioration du climat des affaires, poursuivait-elle, est également essentielle afin de faciliter le développement d’un secteur privé fort, qui, à son tour, stimulera la croissance et générera des emplois stables.