Un jeune migrant passé par Lampedusa, puis scolarisé en France, 
a été emprisonné quatre mois. Enfin libre, il raconte son parcours.

Alkasim Mahamat vient de sortir de prison. Tchadien, il vit sans famille depuis 2011. En mars dernier, le conseil général du Rhône l’a accusé d’escroquerie. Il aurait menti sur son âge pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Et aurait été confondu par des tests sur ses os. «L’âge osseux ne permet pas de déterminer l’âge exact du jeune», estimait pourtant le Haut Conseil à la santé publique, dans son avis du 23 janvier dernier. Le 18 juillet, le tribunal d’appel avait confirmé la condamnation : quatre mois de prison,260 000 euros d’amende et cinq ans d’interdiction de territoire ! Son avocat s’est pourvu en cassation et la Cimade a déposé une demande d’asile. Bien qu’Alkasim n’ait pas fini de purger sa peine, le préfet lui a alors signifié précipitamment une obligation de quitter le territoire et l’a placé en centre de rétention. Le tribunal administratif a toutefois invalidé la décision préfectorale, le lundi suivant.

«C’était la guerre. 
Je voulais partir.»

Dans un appartement prêté par un professeur solidaire, Alkasim est attablé. Son éducatrice et deux militantes du Réseau Éducation sans frontières (RESF) l’accompagnent. Le jeune homme est réservé et visiblement fatigué. Il parle d’Am-Timan, sa ville natale, dans la région du Salamat, au Tchad. Là où il vécut jusqu’à onze ans. «Mon père, marchand, amenait des vaches au Nigeria et revenait avec des objets à vendre chez nous. J’étais bien. Nous étions en famille.» Mais en 2008, troisième année de la guerre civile, il fuit avec ses parents. Après une longue traversée du désert, ils s’installent en Libye. D’abord à Katrun, dans le Sud. Puis à Zaouïa, à proximité de Tripoli. En hiver 2011, des révoltes populaires y sont durement réprimées. Alkasim a quatorze ans et le pays s’embrase. Lors d’un mouvement de panique, il perd de vue sa famille. «Je ne les ai jamais retrouvés… C’était la guerre. Je voulais partir.» Il décrit son arrivée au port de Janzour, l’armée, les embarcations. Il erre deux jours sur les quais et trouve finalement de quoi partir en mer avec plusieurs centaines de personnes. Au bout d’une heure, le navire prend l’eau et rentre au port. Alkasim tente à nouveau sa chance. Le bateau dérive, s’échoue sur la côte tunisienne, mais repart pour l’Italie. Quarante-huit heures après, il arrive à Lampedusa. «Il y a beaucoup de racisme entre réfugiés. On a voulu me jeter à l’eau à cause de la couleur de ma peau.» De Lampedusa, Alkasim raconte la solitude et l’attente. Sur place, on lui conseille de dire qu’il est majeur pour bénéficier du statut de réfugié. Ça fonctionne. On le transfère dans un foyer pour demandeurs d’asile. Seul et bloqué par la barrière de la langue, il s’enfuit de nouveau. «J’ai pris un train sans savoir où il allait. Je suis arrivé à Rome. Je pensais à la Libye, à retrouver mes parents. Je suis allé à l’ambassade mais, sans papiers, impossible de rentrer.

Deux trains encore et je suis arrivé à Lyon.» Alkasim erre dans la gare. «Un monsieur parlait arabe. Il m’a accompagné au Forum réfugiés», une association pour demandeurs d’asile. Il présente son acte de naissance. Il a quinze ans et peut bénéficier de l’ASE. Dans un centre d’accueil d’urgence, il apprend le français et fait des stages professionnels. Un an passe. Il obtient une place dans un foyer pour mineurs isolés. Il débute un CAP de mécanicien et cherche à retrouver sa famille. «J’ai écrit à la Croix-Rouge pour rechercher mes parents.» Six mois après, la prison a stoppé net ses démarches. Alkasim baisse la tête. L’émotion le submerge. Son éducatrice le prend à part. «Normalement, je suis en vacances, explique-t-elle. Mais, éthiquement, je ne peux pas le laisser à la rue.» Alkasim revient. Il veut poursuivre. «La police m’a convoqué pour faire des tests osseux. Le médecin a dit que j’avais entre vingt-sept et trente-cinq ans.» Suivent la garde à vue et les interrogatoires. «Ils parlaient. Ils parlaient… Ils me demandaient pourquoi j’avais donné un autre âge en Italie. Ils m’ont dit que j’irai en prison. Que ma peine serait moins lourde si j’avouais. J’ai choisi une date au hasard. Je voulais que ça s’arrête.» Il est alors jugé en comparution immédiate et écroué à la prison de Corbas. Établissement pénitencier qui détenait, en 2012, le funeste record du plus grand nombre de suicides. «En prison, mon codétenu m’a aidé. À l’extérieur, il y avait beaucoup de solidarité. Quand on m’a mis les menottes, j’ai cru devenir un criminel. Tous ces soutiens me permettent de savoir que je n’en suis pas un.»

Dans dix jours, Alkasim fêtera ses dix-sept ans, libre et en France. Mais son avenir dépend de l’issue des procédures judiciaires et administratives. Majeur selon le tribunal correctionnel, il ne peut plus bénéficier des dispositifs de l’ASE. Enregistré comme mineur pour sa demande d’asile, il ne peut pas bénéficier d’un centre d’accueil et d’hébergement, réservés aux adultes. Pour l’instant, il compte sur les personnes solidaires qui continuent de se mobiliser. «La France est une terre d’immigration (…). Elle doit le demeurer», déclarait Bernard Cazeneuve, la semaine dernière, dans Libération. Mais, pour RESF, l’histoire d’Alkasim est révélatrice : «Le gouvernement mène la chasse à l’étranger et prépare des lois de plus en plus restrictives.» En matière d’immigration, comme sur d’autres sujets, les déclarations de bonnes intentions ne suffisent plus. Le peuple de gauche a besoin d’un gouvernement qui fasse preuve de courage politique.

Source : Humanite.fr