N’DJAMENA, 24 février (Xinhua) — L’Etat tchadien est régulièrement condamné par des tribunaux locaux, à des réparations civiles pour les agissements néfastes de ses agents ou services. L’ardoise salée de toutes ces condamnations que les hautes autorités judiciaires du pays qualifient de fantaisistes, est au coeur d’une grève des avocats, notaires et huissiers.

En lançant la rentrée judiciaire 2014-2015, il y a deux semaines, le président de la Cour suprême du Tchad, Samir Adam Annour, a jeté un pavé dans la mare en fustigeant une tendance systématique des magistrats à accorder des indemnisations faramineuses, sans commune mesure, avec les dommages invoqués ou ressenties, surtout quand il s’agit de déclarer l’Etat civilement responsable.

“Il est à croire que l’Etat, coupable du délit de prospérité et de solvabilité, est devenu l’ennemi de certains magistrats”, a déploré le plus haut magistrat du Tchad.

Dans une tribune publiée la semaine dernière dans la presse locale, les professions judiciaires libérales (avocats, notaires et huissiers de justice) rejettent cette accusation, se basant sur la loi sur le contentieux administratif selon laquelle “lorsqu’une autorité publique est condamnée au paiement d’une somme d’argent déterminée, elle est tenue de procéder au mandatement de cette somme dans les quatre mois qui suivent la date à laquelle la décision juridictionnelle prononçant cette condamnation est devenue définitive. En cas d’inexécution dans le délai mentionné à l’alinéa précédent, le comptable public concerné, au vu d’une copie de la décision juridictionnelle certifiée conforme par le greffier de la juridiction administrative ayant rendu la décision, en assure l’exécution d’office”.

En cas de refus, précise la même loi, d’une autorité publique d’exécuter une décision juridictionnelle dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle cette décision est devenue définitive, le président de la chambre administrative concernée en informe par écrit le président de la Cour suprême, qui adresse un rapport au ministre intéressé avec ampliation au président de la République.

“Aussi curieux que cela puisse paraître, le même président de la Cour suprême, alors ministre Secrétaire général du gouvernement, a reçu différents commandements de payer et les a transmis au ministère des Finances et du Budget sans pour autant relever leurs caractères fantaisistes”,  notent en choeur avocats, notaires et huissiers de justice.

Selon ces professionnels libéraux de droit, toutes les condamnations pécuniaires auxquelles l’Etat tchadien est condamné (pour des faits d’accidents impliquant des véhicules ou autres biens de l’Etat, fournitures des biens et services non payés par l’Etat, et évictions forcées opérées par l’Etat) s’élèvent à ce jour à 40 milliards F CFA (80 millions USD). Des sommes que les trois corps réunis ne cessent d’en réclamer le paiement depuis plusieurs semaines, par un arrêt de leurs activités qui paralyse totalement le fonctionnement de l’appareil judiciaire tchadien, notamment la suspension du procès d’une vingtaine de lieutenants de l’ancien dictateur Hissène Habré.

“Il est normal que lorsque l’Etat, qui doit donner l’exemple de la légalité, est suspecté de manquer de respect à la loi, soit poursuivi en justice par des citoyens”, admet Abdoulaye Sabre Fadoul, ministre Secrétaire général du gouvernement (SGG) tchadien. Mais il s’indigne que sur toute la chaîne administrative et judiciaire actuelle, il y ait soit des manquements graves et un acharnement contre l’Etat.

“Une décision de justice, pour produire tous ses effets, doit être crédible. Pour qu’une décision soit crédible et exécutoire, il faut qu’elle soit fondée en droit et qu’elle tienne aussi compte de la réalité des faits. Si ces éléments manquent, la décision est contestée ou bien difficilement appliquée. C’est dans ce sens que l’Etat est obligé de suspendre le paiement des condamnations”, explique M. Sabre Fadoul, ancien ministre de la Justice, Garde des sceaux.

Selon le ministre SGG, la responsabilité de ces résultats est partagée entre plusieurs centres de décisions, y compris des justiciables qui s’arrangent avec tous les moyens qu’ils ont, à obtenir le maximum de condamnations et dédommagements.

Avec une facilité déconcertante, ajoute-t-il, certains magistrats qui condamnent lourdement l’Etat sans tenir compte du préjudice réellement subi par le plaignant, pendant que d’autres services prennent des dé cisions et les exécutent sans tenir compte du droit.

“Des services du Secrétariat général du gouvernement sont aussi dé faillants dans le suivi des dossiers au niveau de la justice, et des avocats défendant l’Etat ne font aucun suivi des dossiers qui leur sont confiés”, déplore M. Sabre Fadoul.

Conséquence de ces défaillances, 70% à 80% des condamnations de l’Etat le sont par défaut; l’Etat n’interjette pas appel dans la plupart des cas, si non elle le fait après le délai légal prévu, alors que la décision est devenue définitive.

Pour permettre désormais un bon suivi de l’ensemble des dossiers judiciaires dans lesquels l’Etat est impliqué, le gouvernement tchadien vient d’entreprendre une réforme ayant abouti à la création, au sein du ministère SGG, d’une direction générale avec trois directions techniques et plusieurs services.

“Les conventions avec les avocats de l’Etat sont renégociées pour les responsabiliser davantage dans le rôle de défense de l’Etat. Dans les nouvelles conventions, leurs obligations sont reprécisées. Tout cela pourrait éviter les condamnations par défaut”, conclut M. Sabre Fadoul. Fin