Je profite de cette Nuit sacrée, la nuit du Destin, “Laïlatoul Khadr”, la nuit qui est meilleure que mille mois, pour vous adresser ma lettre.

Monsieur le Président, croyez- vous au Destin ?
Est-ce la farouche détermination des services secrets français qui explique la chute du régime HABRE, ou bien, était-il déjà écrit, quelque part, entre les étoiles, qu’une partie importante, de notre vie, se déroulerait parmi vous ?

Qu’est-ce qui est plus fort, M. le Président ?
Le fait que ma mère repose en terre sénégalaise depuis plus de 15 ans, que j’ai donné la vie à plusieurs de mes enfants au Sénégal, ou les pratiques maffieuses de la Françafrique ? Qu’est-ce qui est plus fort ?

M. le Président, qui peut lutter contre la Vie et la Mort ?
On dit souvent que ceux qui sont au pouvoir, ont droit de vie et de mort sur les autres.
Alors, M. le Président, pouvez-vous nous dire, quel sera notre destin ?
Assurément non.

Le destin vous a propulsé au sommet du pouvoir, ce fut une ivresse démocratique. Mais viendra le jour du départ, ce sera alors une amertume politique.
Ce jour là, M. le Président, nos destins se croiseront sur la voie lactée, entre les étoiles. Comme nous, vous prendrez le chemin de l’exil.
Comme nous, comme Senghor, comme Diouf, comme Wade, vous quitterez votre pays et vous connaîtrez, M. le Président, la douleur de l’exil.
Vous partirez seul avec votre famille, vers une terre étrangère et comme nous, M. le Président, vous connaitrez les vicissitudes de l’exil.
Comme nous, comme vos prédécesseurs, vous quitterez votre pays, vos amis, vos parents, vos habitudes, vers une terre d’accueil; c’est la dure loi des pouvoirs africains.
Et le Sénégal, malgré son climat de paix et de stabilité, n’a pas dérogé à la règle, que dire alors du Tchad ?

M. le Président, le jour du départ pour le grand voyage, vous partirez seul, sans vos ministres, sans vos conseillers, sans vos militants : gouverner ensemble, régner ensemble mais s’exiler seul, c’est cela aussi la froide réalité du pouvoir en Afrique.
Est-ce pour cela que, dit-on, l’homme de pouvoir doit pouvoir s’extraire des influences de ses collaborateurs ? Et voir toujours où sont ses intérêts à lui.

M. le Président, croyez-vous au Destin ?
Vos services sont en train de construire une prison, avant enquête et jugement, pour y enfermer le Président Hissein Habré.
Qui peut dire, avec certitude, si c’est lui, qui y séjournera ou quelqu’un d’autre ?

M. le Président, j’ai connu beaucoup d’épreuves douloureuses dans ma vie.
J’ai connu la guerre, une chose effroyable que je ne souhaite à personne de connaître.
La guerre, c’est un champ de ruines, une dévastation de nos existences.
La guerre, M. le Président, c’est la disparition de parents enlevés, exécutés et balancés dans des fosses communes. Cette angoisse, cette boule au ventre qui ne disparaîtra jamais, je l’ai toujours en moi, comme des milliers et de milliers de Tchadiens.

M. le Président, si nous étions convoqués devant le Tribunal de l’histoire de mon pays, nous nous lèverons et nous nous défendrons et jamais au grand jamais, nos yeux se baisseront, même si notre éducation à nous, les femmes tchadiennes, identique à celle de mes sœurs sénégalaises, nous recommande d’être des femmes de Soutoura et de garder parfois les yeux baissés.

M. le Président, bien avant nos accusateurs et à cause d’eux, nous avons vécu l’arbitraire. Mon frère, jeune élève en classe de troisième au Lycée Adoum Dallah de Moundou, fut enlevé par les hommes de Kamougué, en même temps, que 166 élèves. Ils disparurent à jamais, on leur reprochait d’être des musulmans, tout simplement. Mon oncle partit à sa recherche et ne revint jamais. Victime, lui aussi, de la folie des hommes. Ils sont, paraît-il, dans une fosse commune aux abords de l’aéroport de Moundou.

Mon histoire, celle de ma famille, n’est pas une histoire unique, elle est celle de tant de familles tchadiennes massacrées par des hommes aveuglés par le pouvoir et qui n’ont pas hésité à basculer leur pays dans le cycle infernal des violences ethniques et religieuses.

Puis-je oublier toutes les atrocités que nous ont fait subir les troupes de Khaddafi et leurs mercenaires venus des quatre coins du monde ?
M. le Président, du haut de leur arrogance, des hommes forts ont décidé que la souffrance vécue par une partie des Tchadiens était un détail de l’histoire du Tchad. Comment pourrions-nous l’accepter ?

M. le Président, vous avez parlé, au sujet de la Casamance, que vous étiez prêts à annuler les mandats d’arrêt émis contre certains responsables pour favoriser la paix, et, je puis vous dire, en toute modestie; vous avez bien raison !

Pour avoir connu les affres d’une guerre civile, chaque camp déroule toujours son histoire unique. C’est pourquoi, avant vous, quand il gagna la guerre, le Président HABRE préconisa la réconciliation entre les Tchadiens. Pas de poursuites, pas de règlements de comptes. Il fallait sauver le Tchad.

Aujourd’hui, ceux qui nous font face, ce sont les vaincus d’hier, nos tortionnaires, ceux que le régime HABRE a laissé tranquilles, et même promus pour sauver le pays.

M. le Président, la revanche des vaincus s’exprime toujours avec lâcheté, parce que guidés par la peur d’être, à nouveau, terrassés.

M. le Président, le Tchad n’est pas le Sénégal, d’un pays enclavé à un pays ouvert sur la mer, nos destins se sont joués. D’un pays en guerre perpétuelle à un îlot de stabilité, nos vies ont basculé. Que d’expériences avions-nous vécu et tant de choses apprises, dans ces deux pays, désormais en nous.

M. le Président, comme nous, vous guidez les pas de vos enfants dans la vie.
Aussi, avions-nous parlé de la guerre à nos enfants, malgré le fait, qu’ils vivent et grandissent, parmi vous, dans un pays en paix.
Nous leur avons expliqué la relativité des choses de la vie.

M. le Président, nous leur avons aussi parlé de la difficulté de connaître les hommes. Que des circonstances peuvent totalement transformer un individu qui peut, alors, faire des choses incroyables.
Nos coutumes tchadiennes nous enseignent que le mensonge avilit l’homme et que la trahison est une malédiction.
Nous espérions qu’ainsi, ils seraient mieux armés pour faire face aux aléas de la vie.
Mais est-ce suffisant pour tout comprendre, M. le Président ? Que répondre à ma fille qui me posa la question suivante: « Qu’est-ce que papa a fait au Président Macky SALL? »
M. le Président, croyez-vous au Destin ?
Certains ont affirmé que le Président Habré était orphelin du soutien d’illustres chefs religieux, aujourd’hui, disparus.
M. le Président, tous les Sénégalais et tant de personnes dans le monde, en sont orphelins. Ils nous manqueront à nous tous. Ces illustres Oulémas nous ont comblés de leurs bénédictions et de leurs prières. Nous ne l’oublierons jamais.

M. le Président, contrairement à la représentante de l’UE, Mme Dellicourt, qui faisant fi des usages diplomatiques, a mis à nu dans la presse, les atteintes à votre souveraineté et à l’indépendance de la justice.
Ses illustres saintetés, M. le Président, n’ont jamais rendu publics leurs sages conseils, leur stature et leur finesse d’esprit les situaient à un autre niveau.
Leur rôle n’était pas de vous pousser hors du chemin ou de vous obliger par des pressions à prendre une autre voie. Ils vous guidaient de leurs conseils, comme un phare dans la nuit, dans l’exercice difficile du pouvoir, avec comme objectif, l’intérêt national du Sénégal.

Ce faisant, M le Président, ils avaient déjà accompli leur devoir, qu’ils soient entendus ou pas, c’est une autre question. Ils vous manqueront, à vous aussi.

M. le Président, quel sera votre destin ?
Votre destin, M. le Président, sera à jamais lié au nôtre. Irrémédiablement. Comment peut-il en être autrement quand, froidement, vous détruisez nos vies.

Mme Fatimé Raymonne HABRE