La semaine dernière, le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence, Kalzeubé Payimi Deubet, a annoncé le retrait des “bogo-bogo”, sur ordre du Maréchal du Tchad lui-même. “Bogo-bogo” ou “karang-karang”, ce sont les tristement célèbres pseudo-douaniers qui, depuis trois décennies, s’illustrent par leurs exactions. Ce sont en réalité d’anciens combattants de mouvements armés, qui avaient été reversés à la douane, à la suite des accords de ralliement. Ces “bogo-bogo” ont pris en otage la douane, obligeant les douaniers formés et qualifiés à tourner les pouces à longueur de journée. Ils ont été promus aux bureaux des douanes les plus juteux (ceux de Nguéli, de Touboro et Bol notamment). Conséquence : les recettes douanières ne sont pas collectées à la hauteur des prévisions ; ce qui est collecté prend d’autres chemins que le Trésor public, etc. La douane est ainsi devenue le terreau où se développe le mieux tous les maux qui minent l’administration publique tchadienne : népotisme, corruption, clientélisme, désorganisation, etc.

En août 2018, le président Déby avait fait une visite inopinée au pont de Nguéli. Il avait constaté de visu tout le capharnaüm entretenu dans ses écuries qu’est la douane. Et ordonné le départ immédiat de tous “bogo-bogo”, gendarmes, policiers et autres agents de l’ANS (Agence nationale pour la sécurité) qui polluent ce post transfrontalier avec le Cameroun. Quelques jours après le président, le ministre de la Sécurité publique de l’époque, Ahmat Mahamat Bâchir, accompagné de son collègue en charge des Finances à l’aéroport Hassan Djamouss), avait exhorté les gouverneurs des régions à être regardant dans la collecte de recettes et à jeter en prison tous les “bogo-bogo”.

Sur instruction du président Déby, des militaires (membres de la Force d’appui aux régies financières) avaient été déployés illico presto à Nguéli pour contrôler les entrées et sorties à ce point. Un an après, ceux-ci ont quitté les lieux ; les “bogo-bogo” ont profité du départ d’Ousmane Dicki (remplacé par Mahamat Cherif Abdelkérim à la direction générale de la douane et des droits indirects) et des militaires pour réinvestir les lieux. Et ils ont repris avec leurs arnaques et tracasseries sur les concitoyens. Ils poursuivent des paisibles gens, en pleine ville, les interpellent violemment, leur arrachent et confisquent leurs marchandises, des marchandises qu’ils ont achetées au marché.

En 2012, un recensement du personnel de la douane a permis de détecter un millier de “bogo-bogo”. Huit ans après ce recensement, deux ans après les “ôba-ôba” (coups de gueule) de Déby et Bâchir, ils sont toujours en place. Les nombreuses résolutions sur la douane n’ont jamais été appliquées. Les tentatives de réforme piétinent, freinées par le lobby qui ont pris en otage la douane et en ont fait un business de la guerre. Même la création du Guichet unique du commerce extérieure (GUCE) et le déploiement du logiciel SYDONIA++ n’a guère amélioré de manière significative la mobilisation des recettes douanières. Avec l’arrivée du pétrole et de ses mirobolantes recettes, la douane a été carrément oubliée entre les mains de ces groupuscules qui en ont fait une chasse gardée.

On aura beau doter le poste de Nguéli (et les autres à l’avenir) avec une plateforme d’imagerie douanière (composée de quatre véhicules équipés de dispositifs pour scanner les cargaisons et containers à destination du Tchad), on aura beau trouver un nouveau système meilleur que le SYDONIA++ jugé obsolète, rien ne changera à la douane tant qu’on continuera à jouer à une valse-hésitation avec les “bogo-bogo” : on les dégage, on les reprend, on les bannit, on les réhabilite, etc. Il faut arrêter ce capharnaüm et les rayer définitivement de la douane. Le nettoyage concret des écuries d’Augias est la condition sine qua non d’une réelle modernisation de la douane.