Reportage – Pour l’obtention du numéro national d’identification, des Tchadiens passent des jours dans des sites de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANATS) sans succès. D’autres entrent par des portes dérobées et obtiennent cela au vu et su des demandeurs qui ne graissent pas les pattes des démarcheurs. Nous avons suivi un demandeur pour vous.
La cour est bombée de monde. Roger est en premier ligne. Entre les mains son imperméable et son dossier. « C’est maintenant », nous lance-t-il à notre arrivée à l’Agence nationale des titres sécurisés (Anats) de ce 6e arrondissement. Avec un large sourire, il nous dit qu’il s’est déjà inscrit : « je suis la douzième personne sur la liste », nous-t-il avec enthousiasme. Pour cette place, le jeune bachelier a quitté son domicile de Gassi dans le 7e arrondissement vers 4h du matin. Il lui a fallu une vingtaine de minute de marche sous une pluie battante avant d’enfourcher une mototaxi. « N’eut été cette pluie qui a dissuadé les autres, je n’allais pas avoir cette position », dit-il.
Une demi-heure après notre arrivée, vers 7 heure, des hommes munis des feuillets s’approchent de la foule. « S’ils vous plait, moins de bruit. Nous allons procéder à l’appel », dit l’un d’eux d’une voix ferme. « Les présents doivent se présenter avec leurs dossiers et les absents sont automatiquement éliminés », annonce le monsieur.
A l’écart, un homme en complet gris, colle son téléphone sur le tympan : « allô…. Mais tu es où ? ils vont procéder à l’appel, dépêche(toi… » harcèle-t-il son interlocuteur. Il raccroche et appelle un autre. Ce dernier lui fait un geste qu’il est là. Cet homme est bien connu du lobby du lieu. On l’appelle le démarcheur. Son rôle, inscrire les demandeurs des pièces nationales ( carte d’identité et passeport) ou de numéro nationale d’identification (NNI) sur la liste de présence contre des billets de banque. Il touche en moyenne cinq à dix mille francs cfa sur chaque client. Et il n’en manque pas d’en compter une dizaine par jour. Ceux-là ne veulent pas venir rester en rang par fois avec la faim. Cette opération est devenue un véritable pain béni pour les démarcheurs depuis que les autorités ont rendu le NNI obligatoire aux Tchadiens. On les trouve partout dans les centres et au gouvernorat.
L’agent appelle. L’intéressé se présente avec son dossier. Après vérification, on l’inscrit à nouveau sur une nouvelle liste. Au bout de quelques minutes, Roger est appelé. Même procédure. Mais il perd quatre place, il s’est retrouvé subitement à la seizième position. Sans comprendre ce décalage, il affirme être dans la marge. « Au centre de Farcha, ils prennent 30 personnes par jour. Parfois, ils prennent pour le tout 10 personnes », regrette-t-il ses mésaventures dans le 1er arrondissement.
« La liste est bouclée. Nous allons enrôler que ceux inscrits sur cette liste. Les autres rentrez chez vous », informe l’agent en brandissant la liste vers un ciel orageux. Les retardataires trainent les pas à quitter. Ils ne comprennent pas comment les autres se sont inscrits aussitôt. Dans le vacarme, chacun active son réseau. Les uns se renseignent, d’autres négocient. Des billets de banque et des dossiers passent d’une main à une autre.
Les deux agents reviennent et remettent une fiche appelée « quittance » aux personnes retenue ce matin. Roger et les autres se hâtent de remplir chaque case : nom, prénom, date naissance, nationalité… Au même moment, l’homme en treillis en faction met en marche le générateur. Immédiatement, les candidats aux pièces nationales passent devant une commission. Chaque pièce du dossier est vérifiée. Le dossier manquant est automatiquement classé et l’intéressé est interpellé à compléter.
Les uns courent vers la petite cabine de l’autre côté d’énorme conteneur monté en bureau pour photocopier ce qui manquait à leurs dossiers. D’autres affluent vers une autre cabine pour se faire prélever afin de connaitre leurs groupes sanguins. Pour cette opération, il faut débourser deux milles francs cfa.
Dans la salle, ça fait plus d’une demi-heure que presque les cent personnes attendent être filmées. De leur position, ils regardent impuissamment, la porte de la salle de filmage s’ouvrir et se refermer derrière des personnes qui n’étaient pas en rang ce matin. Qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? ces questions, personne n’ose poser aux agents. Ils se murmurent que ces derniers ont dû payer le double ou triple du prix normal (5000 francs CFA) pour avoir un accès vip. D’autres monologuent qu’ils s’agit des proches des agents ou des parents des hauts cadres du pays qu’on ne peut faire attendre.
Finalement, c’est à 13h que Roger s’est fait filmer. Il lui a fallu attendre une trentaine de minute de plus pour obtenir enfin l’extrait de registre de population portant son numéro national d’identification (NNI). Un bout de papier qui met fin à ses deux semaines de va-et-vient.