Les pratiques dégradantes dans les prisons du Tchad, entre droits de l’homme et conventions internationales : les enchères du paraitre

Si l’injustice, la tristesse, le chagrin, la solitude, l’indéfinissable… avaient un visage, il se trouverait sans doute dans les prisons tchadiennes. Celles-là même qui sont bondées par des enfants, des femmes et des hommes pour qui, la confiance en l’appareil judiciaire et surtout celui étatique n’est plus qu’un feu de paille…

L’image que le Tchadien a de la prison n’est pas toujours rassurante. Dans la conscience collective, c’est le lieu où vivent les personnes de la pire espèce, c’est le lieu de la honte, celui du déshonneur et de la flétrissure. Les gens ne semblent pas être éduqués au fait que c’est un lieu de recadrement, que tout le monde est susceptible d’aller en prison à un moment de sa vie, que la privation de liberté est encadrée par des textes de lois et qu’après avoir purgé sa peine, l’individu peut reprendre le cours de sa vie…

Puisque ni les détenus, ni leurs proches ne semblent savoir qu’ils ont des droits, le jeu du chat et de la souris est alors amorcé laissant place aux pires chaos en termes de traitements inhumains.

L’État vis-à-vis de l’administration pénitentiaire

Avant d’aborder la question des textes des lois qui régissent l’administration pénitentiaire, il faut noter qu’à ce jour, le Tchad compte environ quarante-quatre (44) prisons “officielles” sur l’ensemble du territoire avec une population carcérale estimée entre 9.000 et 11.000 détenus.

L’Administration pénitentiaire est régie par le décret n°371/77/CSM/MJ portant statut des établissements pénitentiaires. Ce décret de 1977 dispose que les services pénitentiaires, rattachés au Ministère de la justice, sont placés sous la responsabilité du directeur de l’Administration pénitentiaire, aujourd’hui nommé « Directeur de l’Administration pénitentiaire et de la Réinsertion sociale (DGAPRS). »

Dans le même ordre, l’ordonnance n°032/PR/2011 donne à l’Administration pénitentiaire «la mission d’exécuter les décisions judiciaires privatives de liberté́ dans un environnement sain et sécurisé́ en vue d’aider le condamné à devenir un citoyen respectueux de la loi. » Ceci étant la vocation de la prison et son aspect privatif de liberté.

L’ordonnance reconnait ainsi de nombreux droits aux personnes détenues : droit à l’information, à une alimentation de bonne qualité́, à un accès régulier à l’eau potable, à l’habillement, à l’hygiène, à la santé, aux loisirs, au culte religieux, à l’éducation, à la réinsertion sociale, à l’assistance judiciaire…

Les traités internationaux ratifiés par l’état tchadien

L’État tchadien a ratifié plusieurs conventions internationales dont il a la responsabilité de leur application car il est dit que les pays ayant ratifié une convention s’engagent à l’appliquer en droit et en pratique et à faire rapport sur son application à intervalles réguliers. Ces traités ont vocation à protéger l’Humain. Il en est ainsi de :

  • La déclaration universelle des droits de l’homme ;
  • La charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
  • La convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ;
  • La charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant ;
  • Le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
  • La convention relative au droit de l’enfant ;
  • La convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale
  • La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes…

Ces conventions et plus précisément le pacte international relatif aux droits civils et politiques définit en détail ces droits fondamentaux de l’individu ainsi que les obligations qui incombent à l’État en ce qui concerne : le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit de circuler librement, le droit à l’égalité au regard de la loi, le droit de toute personne d’être présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie, le droit de toute personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, le droit à la vie privée et le droit à voir celle-ci protégée par la loi, le droit de toute personne d’obtenir réparation lorsque ses droits sont violés, la liberté d’opinion et d’expression, la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction.

Or, rien de tout cela n’est effectif, les détenus sont souvent exposés aux traitements inhumains, bafouant leurs droits les plus élémentaires face à un système judiciaire défaillant et une criante corruption en milieu carcéral impliquant matons, administrateurs, procureurs, juges, commis d’office, régisseurs… Bref, la tête du poisson semble être avariée !

Les réalités des établissements carcéraux tchadiens

Discrimination, mauvais traitements, humiliation, dégradations, émeutes, services médicaux inexistants, droits de l’Homme bafoués… et plus encore, telles sont les réalités de nos prisons.

Selon une étude d’Avocats Sans Frontières sur les enjeux et conséquences de la détention sur la population carcérale et la société tchadienne : d’une capacité́ de 300 à 400 personnes, la prison d’Amsinéné comptait 1.720 détenus lors du passage de la mission au début du mois de septembre 2016, soit environ 20% de l’effectif carcéral total au niveau national. Malgré́ la population qu’elle doit accueillir, la prison d’Amsinéné ne bénéficie pas du budget nécessaire à son fonctionnement. Le régisseur ne disposait en 2016 d’aucun budget pour le fonctionnement de la prison lors du passage de la mission et gérait la prison grâce au crédit de ses fournisseurs.

L’effectif carcéral a très fortement augmenté en quelques années : de 2012 à 2016, l’effectif a quintuplé. A titre illustratif, alors que les cellules de 12 m2 ne devraient pas accueillir plus de 7 détenus, plusieurs cellules abritent plus de 70 détenus exposant la population carcérale à un risque accru de maladie et d’autres problèmes d’ordre psychologiques !

Au-delà des traitements dégradants réservés aux détenus, les prisons tchadiennes ressemblent à un véritable fourre-tout. Dans la même maison d’arrêt, il y a des enfants, des femmes et des hommes ayant commis des crimes de différentes natures (allant du vol simple aux meurtres avec préméditation en passant par les infractions de tout genre et le terrorisme…) repartis par quartiers, ils passent la plupart du temps dans la même cour.

Souvent l’on a affaire à une jungle dans laquelle, la loi du plus fort l’emporte. Les plus faibles étant exposés et sans défense subissent des violences physiques, morales et le nombre de femmes qui accouchent en prison suite aux viols est toujours croissant.

Les prisons tchadiennes fonctionnent comme des sociétés de mafiosos selon des classes sociales bien définies. Il y a le bas du palier constitués de personnes démunies et il y a les grands, ceux qui occupent des salons VIP et dont les conditions de détention s’apparenteraient aux vacances.

Les points importants dans le traitement des détenus

Les normes des Nations unies concernant les prisons peuvent être regroupées en cinq grandes catégories :

  • Traitements des détenus (impliquant le respect scrupuleux des droits humains) ;
  • Justice pour mineurs (encadrant les conditions de détentions des moins de 18 ans) ;
  • Solutions de substitution à l’emprisonnement et justice réparatrice ;
  • Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
  • Peine capitale

Ceci contribue à protéger la vie humaine afin d’éviter les erreurs judiciaires qui ont le pouvoir de détruire à tout jamais les vies humaines. Ces points sur lesquels tablent les Nations unies et les États qui les ont ratifiés contribuent à traiter l’Homme avec dignité et le mineur avec humanité.

Le système judiciaire tchadien : un système très approximatif

Les droits humains sont bafoués une fois les portes des prisons refermées. Il y a des prévenus derrière les barreaux depuis plus d’une décennie en attente de leur jugement des fois pour des voies de fait… Les commis d’office ne sont pas en nombre suffisant et souvent manquent d’expériences.

Face à ces situations déjà inquiétantes, des cas d’évasion souvent improbables et imputables aux directeurs des établissements carcéraux, aux juges corrompus sont à déplorer.

En attendant, notre Constitution, suspendue, porte avec fierté dans son préambule cette déclaration solennelle : ‘’Nous peuple tchadien, réaffirmons notre attachement aux principes des Droits de l’Homme tels que définis par la Charte des Nation Unies de 1945, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de 1981’’.