Lorsqu’une grossesse désirée tarde à venir, il est fréquent que les couples s’inquiètent et consultent pour dépister d’éventuels troubles de la fertilité. Pourtant, les cas d’infertilité avérés restent rares et les techniques de fécondation in vitro ont considérablement contribué à aider celles et ceux qui ont du mal à concevoir un enfant. Aujourd’hui, ces troubles sont pris en charge par des équipes pluridisciplinaires qui accompagnent les couples tout au long d’un parcours souvent éprouvant, mais fréquemment couronné de succès. Dr Mahamat Nour Bigna a accordé une interview à Tchadinfos à ce sujet.

Quand parle-t-on d’infertilité?

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’infertilité se caractérise par l’absence de grossesse après douze mois de rapports sexuels réguliers et non protégés.

Lorsqu’un couple qui souhaite concevoir un enfant n’y parvient pas au bout d’une année de tentatives, on parle de troubles de la fertilité. Si la femme a eu des règles irrégulières toute sa vie, si elle a souffert d’infections génitales mal soignées ou si elle est âgée de plus de 35 ans, le délai au-delà duquel le médecin recherche un éventuel trouble de la fertilité est de six mois.

Quelles sont les chances d’être enceinte après six mois de tentatives ?

En moyenne, 80 % des femmes qui essaient d’avoir un enfant y parviennent dans un délai de six mois. Ce pourcentage diminue avec l’âge de la femme : il est de 94 % à 30 ans, de 86 % à 35 ans et de 64 % à 40 ans.
Après arrêt de la contraception :

26 % des femmes sont enceintes après un mois ; 32 % des femmes sont enceintes après six mois ; 18 % des femmes sont enceintes après un an ;
8 % des femmes sont enceintes après deux ans.

Comment se passe la fécondation ?

Pour qu’il y ait développement d’un embryon, il faut qu’il y ait fécondation, c’est-à-dire pénétration d’un ovocyte (également appelé ovule ou parfois « œuf ») par un spermatozoïde (une cellule du sperme). L’ovocyte est produit par l’ovaire sous l’action d’hormones féminines (la FSH et la LH), le spermatozoïde est produit par le testicule sous l’action de la testostérone.

À la puberté, les ovaires contiennent un nombre déterminé de follicules (des ovules immatures). Lors de chaque cycle menstruel, sous l’effet des hormones FSH et LH produites par le cerveau, un follicule (rarement deux) mûrit et donne naissance à un ovule qui, libéré par l’ovaire, descend dans les trompes de Fallope (les trompes de l’utérus). C’est là que l’ovule, devenu ovocyte prêt à être fécondé, va entrer en contact avec les spermatozoïdes après un rapport sexuel.

En moyenne, un ovocyte survit une journée dans les trompes. S’il n’est pas fécondé, il meurt et il faut attendre le cycle suivant pour une éventuelle fécondation. Les spermatozoïdes survivent en moyenne trois jours dans les trompes. Ainsi, le rapport sexuel destiné à concevoir un enfant peut avoir lieu un peu avant l’ovulation.

À la ménopause, les ovaires ne contiennent plus de follicules et il n’est plus possible de concevoir un enfant avec ses propres ovocytes.

Quand doit-on consulter lorsqu’on ne parvient pas à avoir un enfant ?

Le délai sans conception après lequel il est légitime de consulter un médecin (ce qu’on appelle la « durée d’infécondité ») est d’une année pour un couple où la femme a moins de 35 ans, et de six mois si la femme a plus de 35 ans. Dans la pratique, parce que l’âge moyen de la première maternité est aujourd’hui de 25 ans au Tchad, certains médecins recommandent systématiquement une première consultation après six mois d’essais, ne serait-ce que pour faire un premier bilan médical.

Quelle est la fréquence idéale des rapports sexuels pour concevoir un enfant?

Il n’existe guère d’études à ce sujet, mais il est généralement admis que deux à trois rapports sexuels par semaine constitue la bonne fréquence pour, à la fois, augmenter les chances de rapport au moment de l’ovulation et laisser le temps aux testicules de produire suffisamment de spermatozoïdes entre deux rapports sexuels.

On estime que 30 à 40 % des troubles de la fertilité sont dus à des anomalies de la fertilité du partenaire masculin. Chez l’homme, l’infertilité est liée à la qualité et au nombre des spermatozoïdes dans le sperme.

Quelles les causes d’infertilité chez la femme?

  • Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK)

Ce syndrome touche environ 10% des femmes. Il se caractérise par un dérèglement hormonal (LH et FSH), associé à un excès de production de testostérone par les ovaires qui entraînent une hyperpilosité et une absence d’ovulation chez la moitié des femmes concernées. Il s’agit de la première cause d’infertilité chez la femme jeune.

  • L’insuffisance ovarienne

Les femmes naissent avec un stock de follicules susceptibles de conduire à la formation d’ovocytes matures. Ce stock diminue au cours de leur vie, plus ou moins vite selon les femmes, jusqu’à la ménopause. La diminution du stock de follicules s’accompagne en outre le plus souvent d’une altération de la qualité ovocytaire, avec une augmentation du taux de fausses-couches spontanées et d’anomalies chromosomiques fœtales.

Ainsi, si la fertilité féminine est optimale entre 18 et 31 ans, la moitié des femmes ne peuvent plus concevoir au-delà de 40 ans et la fonction de reproduction devient quasi nulle après 45 ans. L’âge auquel les femmes décident d’avoir un enfant reculant, elles sont de plus en plus nombreuses à se trouver exposées à une insuffisance ovarienne.

L’insuffisance ovarienne est la première cause d’infertilité après l’âge de 35 ans et ne peut être corrigée par une assistance médicale à la procréation, à moins de faire appel à un don d’ovocytes. Elle est détectée par des examens biologiques ou échographiques permettant un comptage folliculaire.

  • L’insuffisance ovarienne prématurée

L’insuffisance ovarienne prématurée se définit par une perte folliculaire anormalement importante associée à l’absence de cycle menstruel, avec une ménopause précoce survenant avant l’âge de 40 ans. Elle peut être consécutive au syndrome de Turner ou provoquée par des traitements de chimiothérapie ou de radiothérapie. Mais dans de nombreux cas, son origine n’est pas identifiée.

L’insuffisance ovarienne prématurée touche 2 à 4% des femmes en âge de procréer.

  • La sténose tubaire bilatérale

Elle se caractérise par la réduction de la perméabilité des trompes de Fallope, bloquant le passage des spermatozoïdes vers l’ovule. Elle est le plus souvent liée à une infection, impliquant par exemple la bactérie chlamydiae (une des infections bactériennes sexuellement transmissibles les plus fréquentes). Il s’agit de la principale cause d’infertilité dans de nombreux pays, notamment d’Afrique. Plusieurs Etats ont recommandé un dépistage systématique de cette infection chez les 15–29 ans.

  • Des anomalies utérines

L’absence d’utérus (syndrome de Rokitanski ou syndrome de résistance aux androgènes), ou plus fréquemment des malformations, certains polypes de l’endomètre ou encore certains types de fibromes utérins, entraînent des infertilités.

  • L’endométriose

Cette maladie touche près de 10% des femmes. Elle est due à l’implantation de fragments de tissus identiques à de l’endomètre dans la cavité péritonéale et parfois sur les ovaires. Cette pathologie induit parfois des altérations du profil d’expression des gènes folliculaires, une anomalie du stock de follicules ovariens et des troubles de l’implantation embryonnaire.

Et chez l’homme?

  • L’insuffisance testiculaire

Les anomalies de la spermatogenèse sont de loin les causes les plus fréquentes d’infertilité masculine. Les anomalies peuvent concerner la quantité ou la qualité des spermatozoïdes mais, attention, les résultats des tests utilisés pour rechercher ces anomalies ne permettent pas toujours d’établir un pronostic de succès en fertilité naturelle ou en PMA. En pratique, les anomalies spermatiques sont de mieux en mieux caractérisées, mais leur responsabilité dans l’infertilité n’est pas toujours bien établie.

L’azoospermie correspond à l’absence totale de spermatozoïdes, l’oligospermie à un très faible nombre de spermatozoïdes et la tératospermie à des anomalies morphologiques qui peuvent perturber la mobilité et la fonctionnalité des spermatozoïdes. Ces anomalies peuvent être :

  • Constitutionnelles (primitives), résultant par exemple d’une mutation génétique acquise à la suite des maladies de type orchite, des accidents (traumatisme, torsion testiculaire) ou d’autres causes.
  • Secondaire à un traitement de type chimiothérapie ou radiothérapie dont les effets peuvent être irréversibles, ou encore liées à l’usage de médicaments ou de drogues
  • Les dysfonctions sexuelles

Indépendamment des troubles de l’érection et de l’éjaculation d’origine psychogène, des facteurs vasculaires, hormonaux, métaboliques ou neurologiques peuvent entraîner une dysfonction sexuelle. C’est par exemple le cas des lésions médullaires, responsables d’anéjaculation ou d’éjaculation rétrograde. L’infertilité peut être contournée assez facilement quand il est possible de récupérer les spermatozoïdes dans les urines ou de stimuler l’éjaculation de manière appropriée pour réaliser une PMA (procréation médicalement assistée).

Des causes communes aux deux sexes

  • Les pathologies hypothalamo-hypophysaires

Certaines causes d’anomalies ovariennes ou spermatiques sont communes à la femme et à l’homme, comme les pathologies hypothalamo-hypophysaires. Elles sont responsables d’une altération de la production d’hormones pouvant entraîner l’absence d’ovulation (comme l’hypersécrétion de prolactine), ou un déficit de production des spermatozoïdes. Ces pathologies peuvent être la conséquence d’une maladie tumorale ou génétique, ou encore d’une anomalie fonctionnelle, notamment chez la femme, en réponse à un déficit en apports lipidiques ou à une activité physique trop intense par rapport à l’apport alimentaire.

  • Certains traitements

Les cancers de l’appareil reproducteur et certains traitements anticancéreux (chimiothérapie) peuvent mener à l’infertilité. Par ailleurs, des études récentes suggèrent que certains médicaments à priori bien tolérés comme des antalgiques, des antihistaminiques ou des antireflux pourraient eux aussi, dans certaines conditions, avoir un impact sur la fonction reproductive.

  • Des facteurs environnementaux

Des facteurs environnementaux sont également communs aux deux sexes, notamment le tabagisme. Il est susceptible de jouer un rôle négatif à chacune des étapes de la reproduction, chez la femme comme chez l’homme, avec une qualité du sperme altérée chez ce dernier. Ces effets délétères sont probablement liés au stress oxydatif induit par des composants du tabac. Lors de la prise en charge de couples infertiles en procréation médicalement assistée, le tabac est un facteur de mauvais pronostic.

D’autres facteurs ont un impact avéré sur la fertilité́ humaine, comme les foyers de chaleur importante (fours, postes de soudure…) pouvant augmenter la température au niveau des testicules, ou encore l’exposition à certains pesticides comme le dibromochloropropane, à des solvants comme certains éthers de glycol ou à des métaux lourds (plomb). D’autres substances : polluants organiques persistants comme les PCB et les pesticides organochlorés ou encore certains perturbateurs endocriniens  de type phtalates sont suspectés de perturber la fonction de reproduction. Mais les données sont trop limitées, voire contradictoires, pour pouvoir statuer.

  • Des facteurs psychiques

Des facteurs psychiques sont également incriminés, notamment le stress. Il pourrait agir au niveau du cerveau en altérant la production de neurohormones et/ou des hormones gonadotropes dans le système hypothalamo-hypophysaire. Les chances de fécondation seraient diminuées de près de 40% chez les femmes présentant un niveau de stress élevé au moment de la fécondation.

  • Le poids

Plusieurs études épidémiologiques ont observé une relation dose-effet entre l’IMC et l’hypofertilité des couples. Chez l’homme, le surpoids et l’obésité sont associés à une altération des paramètres spermatiques. Chez la femme, le risque d’infertilité après un an de tentative est augmenté de 27% en cas de surpoids et de 78% en cas d’obésité. Le risque d’anovulation est multiplié par 3 à 4 pour un IMC supérieur à 32 kg/m2.

Comment traiter et/ou contourner l’inferlité?

En cas de pathologies ou de troubles métaboliques, différents traitements spécifiques du trouble à l’origine de l’infertilité peuvent être utilisés pour améliorer la fertilité, y compris d’ordre diététique. Des traitements hormonaux peuvent être indiqués, par exemple pour stimuler l’ovulation en cas de SOPK.

La procréation médicalement assistée (PMA) permet également de contourner des problèmes d’infertilité. Si elle ne permet pas de remédier aux causes de cette infertilité, elle favorise l’obtention d’une grossesse par manipulation in vitro des gamètes mâles et femelles.

La fécondation in vitro avec ICSI (Intracytoplasmic Sperm Injection) a notamment résolu un grand nombre des problèmes graves d’infertilité masculine (tératospermie, oligospermie sévère) : avec cette technique, seuls quelques spermatozoïdes mobiles sont nécessaires pour obtenir des embryons. Elle consiste en effet à sélectionner un spermatozoïde, puis à l’injecter directement dans l’ovocyte.

Il faut noter que, paradoxalement, les techniques de PMA augmentent le pourcentage de la population infertile. En effet, avant l’apparition de ces méthodes, des femmes ou des hommes infertiles n’avaient pas de descendants, et par conséquent, des allèles défectueux de gènes modulant la fonction gamétique des deux sexes étaient éliminés par des mécanismes de sélection Darwinienne. La médecine moderne supprime cette sélection et va nécessairement augmenter la proportion d’allèles défectueux dans la population humaine des pays ayant recours à ces techniques.