Le 28 novembre, jour de la commémoration du 66e anniversaire de la République tchadienne, le ministre des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement tchadien, a annoncé la rupture de la coopération avec la France en matière de défense. Le pays entend ainsi affirmer sa ‘’souveraineté pleine et entière’’ et ‘’redéfinir ses partenariats stratégiques selon les priorités nationales’’. Dr Yamingué Betinbaye, analyste politique, parle de la fin d’une époque.

Qu’est-ce que cela signifie pour un Tchadien lambda, la rupture de la coopération en matière de défense avec un partenaire historique comme la France ?

Les deux pays arrivent à la fin d’une époque. Ils ne seront plus à partir de maintenant des grands et bons amis comme cela a toujours été le cas depuis au moins l’indépendance politique du Tchad mais en même temps depuis que le chemin des deux territoires se sont croisés avec la colonisation. Les amitiés sont plus ou moins disloquées. Ce qui veut dire qu’ en matière de défense et de sécurité, les deux pays ne se fréquenteraient pas comme ils l’ont fait jusqu’à présent. Le Tchad ne continuera pas de donner de son toit pour abriter les militaires français. En même temps, la France ne serait plus très disponible pour donner au Tchad ce qu’il désire en matière de protection, de formation, de matériel et de renseignement.

Qu’est-ce qui aurait provoqué ou motivé cette rupture ?

Cette rupture est motivée essentiellement pas trois facteurs : le repositionnement de la France par rapport au contenu de son partenariat sécuritaire et militaire. Peut-être que le Tchad ne se reconnait pas dans ce nouveau repositionnement. La France s’apprête à réduire le nombre de ses soldats sur le territoire tchadien, rendre moins visible la présence militaire française et tout un chapelet d’initiatives que la France s’apprête à mettre en œuvre. Il y a un deuxième facteur qui est en train de passer surement sous les radars : c’est la situation à l’est du Tchad, provoqué notamment par la guerre au Soudan. Lors de son passage au Tchad, le chef de la diplomatie française, a clairement dénoncé l’ingérence des acteurs internationaux dans la crise qui est en train de perdurer au Soudan. Au nombre de ces acteurs, il y a la Russie et les Emirats arabes unis. Depuis plusieurs mois, beaucoup d’acteurs et d’observateurs semblent indexer le Tchad comme étant un bras agissant des Emirats arabes unis dans leur action opérationnelle sur le terrain, en appui notamment aux Forces de soutien rapide d’Hemeti. Un troisième facteur est que le Tchad est en train de s’ouvrir à d’autres pays comme la Russie et la Chine. Le pays amorce un renouvellement de la cartographie de ses partenariats stratégiques en toute souveraineté. Cela se fait dans un contexte où la présence militaire française est dénoncée par la jeunesse africaine. On voit par exemple la situation au Sénégal.

Cette décision intervient le jour de la commémoration du 66e anniversaire de la proclamation de la République et de la visite du ministre des Affaires étrangères français au Tchad. Tout un symbolique…

Le choix du calendrier est totalement symbolique. Il aurait été plus forte si cette décision arrivait par exemple à la commémoration de la proclamation de l’indépendance. Pour l’un ou l’autre, cela fait remonter en surface la question de la souveraineté. Et le mot a été régulièrement répété par les autorités tchadiennes.

On a vu le pays se rapprocher de la Russie. Tend-on vers une situation similaire au Mali, Burkina Faso ou encore en RCA ?

On ne tend pas à une situation similaire dans ces pays. Il y a deux cas de figure dans les pays du Sahel : il y a les cas extrêmes mais il y a aussi la situation du Tchad, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal. On tend vers la situation à la sénégalaise c’est-à-dire un renouvellement du partenariat stratégique, mais pas de façon brutale. Un partenariat où les deux pays se regardent dans les yeux et choisissent de nouvelles options. On voit le ton des autorités tchadiennes dans le communiqué annonçant cette décision. Cette rupture se veut constructive.

Quel avenir pour les relations franco-tchadiennes ?

Les relations entre les deux pays seront différentes. Elles se sont inscrites dans une logique plutôt militaire. Le Tchad, même à l’époque coloniale, a été considéré comme un territoire à vocation militaire. Ce reflexe est resté dans l’esprit de l’ancien colon devenu partenaire principal. Peut-être que le Tchad et la France vont encore signer un nouvel accord en matière de défense et sécurité. Ce n’est pas exclu. Peut-être que ça ne sera pas le cas. Du côté de la France, il y a des points pour lesquels le recul n’est pas possible comme la réduction de ses militaire dans le Sahel.