Le ministère de la Sécurité publique a annoncé la traque des faux profils sur les réseaux sociaux qui véhiculent des messages de haine. Dès lors, certains internautes prennent cela comme de l’intimidation, d’autres comme du bluff. Pourtant le ministère semble bien sérieux. Mais derrière tout ça, ce sont les données personnelles des utilisateurs qui sont en jeu.

« Afin de maintenir la cohésion et la paix chèrement acquises au Tchad, nous avons mis déjà en place un système de détection des internautes qui se cachent derrière des écrans, sur les réseaux sociaux, attisant la haine et la discorde sociale ». Cette annonce faite par le ministère de la Sécurité publique et de l’Immigration sur sa page Facebook, le dimanche 20 février, signifie ceci : désormais, l’Etat est doté d’une technologie permettant d’identifier tout profil, faux ou anonyme, utilisant les réseaux sociaux à rebours des lois nationales et de le traduire devant les juridictions. En clair, il se dit [déjà] à même de contrôler l’usage des réseaux sociaux par les Tchadiens et de le rendre plus sain. Car Facebook et WhatsApp, pour ne citer que les deux géants du groupe Meta, servent, selon lui, à véhiculer des messages portant atteinte à la cohésion sociale et à l’intégrité nationale.  

Comme il fallait s’y attendre, des utilisateurs sociaux ont réagi pour dire tout ce qu’ils pensent de cette nouvelle. Et ils semblent croire plus à un « coup de bluff » qu’à une annonce sérieuse.

Amine Idriss, est un cadre tchadien très influent sur Facebook. Pour lui, il n’y a rien sinon du bluff ou du gaspillage d’argent public. « Détecter les faux profils, oui, et c’est d’une banalité enfantine…et tout le monde le fait tout le temps…En revanche, identifier qui sont derrière les faux profils reste une prouesse technologique difficile à accomplir… Sauf bien sûr si le faux profil en question a été créé par un amateur… Mais si le faux profil a été créé par un malfaiteur professionnel, en utilisant toutes les règles de l’art de la malfaisance, et que vous parvenez à le coincer, avec les maigres moyens technologiques et financiers de l’Etat, alors même Meta voudra vous racheter les ingénieurs du ministère (de la Sécurité publique, ndlr) ». Il a dit bluff ? Il faut dire que c’est le canal (Facebook) emprunté pour passer le message qui pousse à y penser. La noblesse gouvernementale aurait voulu qu’il soit livré par le biais de la radio et ou de la télévision nationale. Qu’à cela ne tienne !

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Et, si l’Etat disait vrai, à quelle technologie aurait-il eu recours pour prétendre pénétrer le système de sécurité électronique conçu grâce au cryptage ou au codage par chiffrement ? Il est possible que ce soit Pegasus, le puissant malware d’espionnage de conception israélienne. « …Et si malgré notre grande pauvreté, l’Etat a quand même décidé, hypothèse improbable, de s’équiper de la technologie Pegasus (…l’une des rares technologies capables de lire, écouter et copier les écrans des smartphones à votre insu puis de les transmettre à une centrale de données et de surveillance) pour une telle utilisation à grande échelle contre les Tchadiens, c’est que nous avons un sérieux problème devant nous… et ce serait la preuve que personne ne veut lutter contre la pauvreté… », a posté Amine Idriss sur sa page Facebook. L’acquisition de cette technologie, si elle est confirmée, appelle deux observations : le prix et l’entretien scandaleusement couteux de Pegasus par l’un des pays les plus pauvres au monde et l’atteinte aux données personnelles sensibles à laquelle il pourrait donner lieu.

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Si la première observation peut encore difficilement passer…, il faudra, dans l’hypothèse affirmative, s’inquiéter plus pour la vie privée, la sécurité et l’intimité des millions de Tchadiens, celles des cadres, hauts commis de l’Etat, journalistes, militants des droits de l’homme, activistes, etc., dont les données personnelles pourraient se retrouver entre des mains malveillantes, voire criminelles. Ce qui pourrait provoquer de graves bouleversements et avoir des conséquences fâcheuses.

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Au cas où ce ne serait finalement pas Pegasus, quelle autre technologie pourrait être ? Il est vrai, depuis 2015, l’Etat tchadien s’est doté d’une batterie de lois (malheureusement non vulgarisées et quelque peu répressives) portant « sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité », « la protection des données à caractère personnel », « les transactions électroniques » et « création de l’Agence nationale de sécurité informatique et de certification électronique » (ANSICE). Ce serait donc cette agence, véritable police des TIC, qui serait [enfin] équipée à traquer toute malveillance et malfaisance électronique ?  A la lecture, la Loi n °006 du 10 février 2015 lui attribue des pouvoirs quasi juridictionnels, à part qu’elle ne peut pas juger. Dans sa mission « d’assurer pour le compte de l’Etat, la régulation, le contrôle et le suivi des activités liées à la sécurité des systèmes d’informations et des réseaux de communication électroniques, cette loi dit qu’aussi bien les officiers de la Police judiciaire que les agents habilités de l’ANSICE peuvent perquisitionner, accéder ou ordonner la perquisition ou l’accès d’une façon similaire à tout système informatique spécifique ou à une partie de celui-ci, effectuer des saisies…Exactement les mêmes prérogatives que celles d’un procureur ou d’un juge d’instruction. Cela dit, pour que l’outil présumé de traque des malfaiteurs électroniques ne serve pas à espionner les honnêtes citoyens, à régler des comptes et à favoriser la délation comme cela est courant au sein de l’appareil étatique, le Conseil national de transition ne devrait-il pas interpeller le ministre de la Sécurité publique pour l’entendre davantage sur son procédé et ses implications ?