Deux semaines après la réouverture des marchés et autres points de commerces, la population semble oublier les gestes barrières. Sur le terrain, la pandémie du coronavirus gagne du terrain, notamment dans le Tchad profond. Le comité de gestion de la crise sanitaire a-t-il mal analysé la situation avant de décider de la réouverture des marchés ? Constats et analyses.

Ce 03 juin, au marché de Dembé tout comme au marché central de N’Djamena, le constat est le même : le vide  a laissé place à un public nombreux fait de vendeurs et d’acheteurs.  A la faveur de l’assouplissement des mesures décidé par le comité de gestion de la crise sanitaire en date du 20 mai, le sourire revient sur les lèvres des N’Djamenois. Eux, qui l’ont perdu il y a deux mois à la suite des mesures prises par le gouvernement pour contrecarrer la propagation du coronavirus.

Seulement, sous ce sourire, se cache le non respect des mesures barrières, notamment la distanciation sociale.

Les autorités déplorent l’incivisme de la population

Le 02 juin, lors d’une rencontre de la sous-commission sécurité de la Coordination nationale de la riposte anti-covid, le ministre de la défense et de la sécurité, Mahamat Abali Salah a décrié le comportement de certains tenanciers de restaurant qui ne respectent pas les règles édictées pour éviter la propagation de la pandémie. Il menace de rétablir certaines mesures déjà levées.

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Avant lui, le 26 mai, seulement 6 jours après l’assouplissement des mesures, lors d’une réunion avec les délégués des marchés, le délégué général du gouvernement auprès de la commune de N’Djamena, Mahamat Zene Alhadj Yaya a haussé le ton. « On a constaté qu’il y a des attroupements qui se font au niveau des marchés, la distanciation sociale n’est pas respectée et puis  les masques ne sont pas portés systématiquement ».

Le comité de gestion de crise s’est-il trompé ?

De ces constats, une question revient : le gouvernement a t-il réellement évalué la situation épidémiologique avant d’ordonner la réouverture des marchés ? Difficile de le savoir, puisque dans son communiqué, le comité n’a invoqué que « le souci de concilier l’impératif de la lutte sanitaire avec les nécessités économiques et sociales ». Aucune trace  de l’état des lieux de la situation épidémiologique ne figure sur le document. «Je ne sais pas si la décision a été prise en tenant compte du pic de la maladie. Nous sommes à quel niveau du pic ? La maladie est en train d’évoluer ? Est-elle dans sa phase descendante ?» S’est demandé le sociologue Mbété Félix Nangmbatnan.

Dans son intention, la décision est « salutaire », a reconnu Mbété Félix car, elle « permet à tous ces gens qui vivent de la main à la bouche d’avoir leur pain quotidien. C’est un oups de soulagement qui permet ce qu’on appelle la respiration sociale ». A un moment, il y avait le risque d’explosion, a-t-il signalé, parce qu’il y a « des personnes qui disaient qu’il vaut mieux mourir de covid-19 que de faim ».

La pandémie gagne l’intérieur du pays

Pour beaucoup de tchadiens qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux, cette décision, bien que salutaire, peut ouvrir des brèches pour la propagation de la pandémie à grande échelle. Et justement, depuis le 20 mai, le Guera, le Mandoul et le Sila, trois autres provinces sont touchées par la pandémie. Mais ce n’est pas tout. Si le nombre de contamination baisse à N’Djamena, les chiffres communiqués ces derniers jours indiquent la progression de la maladie dans les provinces. Le Logone occidental, le Guera et le Kanem présentent des situations assez inquiétantes avec des foyers grandissant de la maladie.

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D’un côté le non respect des mesures, surtout le refus de la distanciation sociale; de l’autre,  la progression de la maladie dans les provinces. Faut-il penser à un échec des mesures d’assouplissement édictées pour amortir les effets de la pandémie et toutes les autres mesures de riposte ? A l’heure actuelle, il ne faudra pas parler en termes d’échec mais il faut reconnaître que « les autorités sont allées trop vite et elles n’ont pas pris le temps d’expliquer aux commerçants et aux usagers qu’elles sont les précautions à prendre dans ce contexte. Si vous êtes boutiquier au quartier, voilà ce que vous devez faire, si vous êtes commerçant au marché, voilà ce que vous devez faire pour éviter d’être contaminé et contaminer à son tour ses clients ». A expliqué Mbété Félix.  Malheureusement, regrette t-il, « ce sont encore une fois, des décisions sans étude préalable et sans mesures d’accompagnement technique ».

A l’allure où la maladie se propage à l’intérieur du pays, seules « les mesures fortes » peuvent forcer la population à plus de responsabilité. Sinon, tous les efforts consentis depuis les débuts de cette pandémie resteront vains et « nous allons nous rendre compte que la situation va encore flamber », a avertit Mahamat Zene Alhadj Yaya.