Fort de ses parcours au sein de la BAD et du gouvernement tchadien, Kordjé Bedoumra présente sa vision pour l’institution, dont il entend améliorer l’efficacité opérationnelle. Au-delà d’une politique de long terme, la BAD doit se préoccuper de l’urgence.

Kordjé Bedoumra Ministre tchadien des Finances et du budget

Quelle serait la première mesure que vous prendriez si vous étiez nommé président de la BAD ?

Quand vous prenez la tête d’une institution, il faut naturellement procéder à une évaluation rapide de la situation pour orienter efficacement ses premières actions. Ce qui devrait se faire sans difficultés pour moi qui connais bien la BAD. Il faudrait prendre les mesures requises pour mobiliser et motiver les équipes. Revoir la structure organisationnelle, se focaliser sur les priorités, simplifier les procédures administratives et opérationnelles, optimiser le budget et s’employer à ce que la décentralisation puisse apporter tous ses bénéfices d’efficacité opérationnelle. Je devrais élaborer « une feuille de route », avec l’accord du conseil d’administration, pour renforcer la capacité de la Banque à travailler sur cette vision.

La meilleure raison de voter pour vous ?

En plus de mon parcours et de mes résultats qui sont connus et bien développés, j’évoquerai les expériences uniques de mon itinéraire. J’ai un atout de taille qui résulte tout d’abord de ma longue expérience, très variée et très approfondie, à la Banque. Il en est de même de mon expérience au sein du gouvernement tchadien. J’ai obtenu des résultats performants durant ces expériences, avec l’appréciation de mes supérieurs hiérarchiques. À la BAD, le président Kaberuka m’a confié la direction du premier département de l’Eau, qu’il a créé dès son arrivée, avant de me promouvoir secrétaire général puis vice-président chargé des services institutionnels. Au Tchad, le président Idriss Deby Itno m’a fait l’honneur, après m’avoir nommé ministre du Plan, de l’économie et de la coopération internationale, de m’appeler à ses côtés comme secrétaire général de la présidence, avant de me confier mon poste actuel de ministre des Finances et du budget. Ma particularité réside dans ces deux expériences spécifiques très importantes.

Au sein de la BAD, comme secrétaire général, vous participez à tous les dialogues stratégiques et de politique, aux discussions entre des représentants de pays ayant des intérêts et des vues différents, et vous contribuez à bâtir le consensus nécessaire pour la prise d’importantes décisions. Cette expérience constitue un atout nécessaire à un président de la BAD pour bâtir des relations constructives avec les administrateurs, qui représentent tous les pays membres et qui prennent les décisions clé pour la vie de l’institution.

De mon expérience au Tchad, comme secrétaire général de la présidence, je revendique une meilleure compréhension de la complexité de la gestion d’un pays. Tout ce parcours constitue pour moi une école unique qui m’a outillé pour la conduite du dialogue et la gestion stratégique des problèmes, au niveau le plus élevé.

Qu’est-ce qu’il faut changer dans le « logiciel » de la BAD pour que l’Afrique décolle durablement ?

Le décollage de l’Afrique est d’abord l’affaire des pays africains eux-mêmes et de leurs dirigeants ! L’Afrique ne décollera pas juste grâce à un appui, quel qu’il soit. C’est chaque pays avec sa vision et la mobilisation de ses forces vives qui pourra assurer son développement. La BAD n’est qu’un instrument de l’Afrique, au service de l’Afrique. La BAD apporte son appui financier et technique aux éléments clés de ce décollage. C’est en cela que la vision proposée et les réformes internes de la BAD devraient contribuer à des résultats visibles.

Avez-vous un exemple concret où la BAD a fait ce que les autres banques n’ont pas fait et répondu ainsi aux besoins spécifiques de l’Afrique ?

Les projets d’intégration régionale ! Ils sont des raisons d’être de la création de la BAD. Pendant longtemps, la BAD a été une institution qui a pris en main le financement de projets régionaux et qui a développé des instruments dédiés à leurs financements. Aujourd’hui, beaucoup de projets sont devenus des réalisations.

C’est un domaine dans lequel la BAD a bâti son leadership, qu’elle doit maintenir et développer. La BAD devra renforcer l’intégration africaine par tous les moyens. C’est la base du développement et de l’émergence du continent.

L’Afrique va voir émerger des dizaines de nouveaux milliardaires ces prochaines années. Faut-il une taxe spéciale milliardaire pour financer le développement du continent ?

Cette tendance s’inscrit dans l’émergence d’une bourgeoisie africaine, qui elle-même est le reflet d’une dynamique de développement de l’Afrique. En tant que telle, la tendance est à saluer ; cependant, il convient de s’assurer qu’il s’agit de richesses licites bâties sur l’effort et le travail. Les richesses illicites ont suffisamment retardé le continent ! Effectivement, il faut que les citoyens d’un pays puissent, de façon équitable, payer les taxes dues. Dans chaque pays, est rédigée une loi de Finance avec ses propres spécificités. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de fixer un objectif spécifique sur une catégorie de citoyens, mais plutôt faire prévaloir un souci d’équité. Quand un milliardaire paie normalement ses impôts, il participe au développement de son pays. On peut espérer aussi que ces milliardaires investissent et créent de l’emploi pour la jeunesse…

Comment faire vivre vos propres idées et priorités du moment, tandis que la Stratégie décennale 2013-2022 est en cours d’exécution ?

Il ne doit pas y avoir de contradictions majeures. La stratégie décennale distingue plusieurs secteurs prioritaires, importants et reconnus. Ce que je propose est d’articuler ma vision autour de cette stratégie décennale 2013-2022, tout en la réorientant pour permettre de réaliser divers objectifs stratégiques que je considère comme répondant de façon urgente aux préoccupations actuelles.

Pour revenir à ma vision, l’intégration régionale, je crois qu’elle constitue un élément que tout le monde reconnaît. Le travail des jeunes et des femmes, le capital humain…, c’est la prise en compte des défis de l’heure, les questions de sécurité et de stabilité du continent africain touchent profondément aux questions de gouvernance. Ces priorités stratégiques vont intégrer les composantes du plan décennal actuel.

Comptez-vous maintenir la logique de décentralisation ? Les 44 bureaux coûtent très cher et leur autonomie est très limitée : tout doit remonter au siège pour validation !

Nous avons effectivement un débat permanent entre la décentralisation et le contrôle fiduciaire. Ces bureaux sont une exigence des pays qui ont, avec insistance, souhaité que la Banque soit plus présente à leurs côtés. Plusieurs évaluations ont été réalisées ; il nous faut les examiner et agir. Le principe de la présence aux côtés des pays est important et devra être maintenu, aux côtés des autres institutions. Mais il faut examiner l’efficacité de cette décentralisation par rapport aux coûts.

Avec les moyens modernes des systèmes d’information et les mécanismes de contrôle renforcés, nous pourrons assurer une meilleure délégation de pouvoirs, à moindres coûts et pour le bénéfice des pays africains.

La BAD est certes une banque africaine, mais le poids des actionnaires non-africains est souvent décisif, y compris dans le choix du président. Cela ne vous dérange-t-il pas ?

Ce sont les Africains eux-mêmes qui ont décidé de la participation des actionnaires non africains au capital. Les débats sur l’ouverture du capital étaient relativement houleux lors de la première ouverture, mais par la suite, l’opération a continué et les non-régionaux ont atteint un pouvoir de vote de 40 %. Leur présence a contribué à renforcer largement la capacité de la BAD à mobiliser plus de ressources pour financer le développement du continent. Le caractère africain de la BAD n’est pas remis en cause. Les Africains sont des actionnaires majoritaires, et le président de la Banque est un Africain. En ce qui concerne l’élection à la présidence de la BAD, la répartition de l’actionnariat ne me dérange pas car nous appliquons les textes adoptés par tous les pays membres ; c’est une question de bonne gouvernance.

La BAD a la réputation d’être très lente entre le dépôt des dossiers et le décaissement. Comment accélérer les procédures afin d’éviter que d’autres institutions (Chine, Turquie, Brésil, etc.) ne viennent la concurrencer ?

Votre comparaison n’est pas appropriée. Certes, nous devons apporter à la Banque des améliorations opérationnelles. Elle est une institution multilatérale avec un pouvoir de décision impliquant tous les pays membres, tandis que pour un financement bilatéral d’un pays, comme ceux que vous citez, le pouvoir de décision relève souvent d’une seule autorité ; il leur est beaucoup plus facile de bouger !

Le désir des pays membres de voir la Banque améliorer la vitesse de traitement de ses dossiers ne laisse pas le choix de trouver des solutions pour des réponses rapides et efficaces. En ce qui concerne le financement du continent, on ne peut parler de « concurrence » de la Chine, de la Turquie et du Brésil. Au contraire, ces pays contribuent à boucler l’énorme écart de financement dont souffre l’Afrique. Il faudrait plutôt trouver des mécanismes de coopération avec tous ces partenaires pour un plus grand bénéfice des pays africains.

Quelle est la femme ou l’homme vivant ou historique qui vous inspire le plus ?

Nelson Mandela est pour moi une grande source d’inspiration. Il inspire par sa grandeur, sa vision et son engagement pour son pays et pour le continent africain. Son combat pour la liberté, la tolérance et la diversité lui ont valu une reconnaissance et un respect du monde entier. Il reste une grande fierté pour les Africains et pour l’humanité.

Source : African Banker