Votre rubrique à la decouverte de vous présente ce dimanche Delaville Djimyabaye Sewingar, coordonnateur du Réseau des Associations du Mandoul (RESAMA), un homme qui n’hésite pas à monter au front de la lutte contre l’injustice.

Regard perçant, barbe grisonnante, Delaville a une forte personnalité. Une personnalité forgée par les épreuves et les injustices dont il a maintes fois fait l’objet dans sa vie.

Le fils de l’enseignant Sewingar Etienne naquit le 24 avril 1974 à Koumra. A l’âge d’aller à l’école, compte tenu du fait que son village de Sewé dans le Mandoul n’avait pas encore d’école, il parcourait quotidiennement 6 kilomètres pour aller à l’école primaire du village voisin de Douyou. Après le collège à Bedaya puis Koumra, le brillant élève pour qui l’école était une obsession rallie la capitale en 1994.

Le fils de Sewé raconte qu’à N’Djamena, il a fréquenté le Lycée Felix Eboué, classe de Terminale C et, du fait des années blanches qui se succédaient, il est allé à Cotonou, en pleine année. Au Benin, l’unique enfant du même père et même mère (le papa, instituteur, parcourant au moins dix préfectures du Tchad, de Sarh à Koumra, en passant par Bouna, Ngalo, Eref, Mangalmé, Mongo puis Mbainamar où il trouva la mort en service) décrocha son bac.

Avec son bac en poche, il entreprit les études supérieures à l’Institut polytechnique universitaire de Cotonou où il sortit nanti d’un Diplôme de Technicien supérieur (DTS) en Gestion des entreprises et d’un Diplôme d’Ingénieur en techniques commerciales, option marketing.  En 1997, il décida de rentrer au pays et s’insère dans la vie active au début des années 2000. Ce fut d’abord aux Brasseries du Logone puis à Libertis.

C’est à cette époque que le petit-fils de l’ancien combattant Djimyabaye Khender commence à prendre des positions politiques, à dénoncer les injustices. Deux faits vont constituer le déclic. Premièrement, l’élection présidentielle de 2001. Il se rappelle être l’un des jeunes (sans appartenir à un parti politique) à se mobiliser pour contester le scrutin truffé d’énormes irrégularités à la suite de laquelle le feu président Idriss Deby fut déclaré vainqueur face aux leaders de l’opposition comme Yorongar, Kebzabo et le défunt Kamougué. Delaville raconte que c’était à côté de lui que son « pauvre ami » Brahim Selguet a trouvé la mort lors de la dispersion d’une mobilisation derrière l’école de Paris-Congo, non loin du domicile de Saleh Kebzabo, par la garde républicaine.

Un autre fait est l’assassinat d’un ami grossiste dont il fait la connaissance au niveau des Brasseries du Logone et qui était détenteur d’un débit de boisson. Il se rappelle qu’un jeune, blessé grièvement ailleurs est venu s’attabler dans le bar de son ami où il tombe et meurt. Son ami sera arrêté et envoyé à la maison d’arrêt. Le jour de sa comparution en justice, des individus à bord d’une voiture fumée, l’abattent en pleine rue à quelques encablures du palais de justice. « Je n’en pouvais plus, j’ai commencé à dénoncer, j’écrivais dans les journaux de la place, notamment Le Temps et N’Djamena Hebdo pour décrier les violations flagrantes des droits de l’Homme ».

Mais cet activisme va causer des ennuis au « lionceau du Mandoul». Il a dû fuir en 2001 pour le Canada en passant par les Etats-Unis et y demanda l’asile politique. Il a d’abord obtenu le statut de réfugié politique puis, quatre ans plus tard la nationalité canadienne.

Les diplômes obtenus au Benin n’étant pas reconnus dans le système scolaire canadien, Delaville Djimyabaye Sewingar reprend les études au Collège Ahuntic de Montréal et sort avec un DEC. Il termine major de sa promotion en Master en Administration des affaires (MBA) à l’Université du Québec à Montréal, un Diplôme d’Etudes supérieures spécialisées (DESS) en Management Stratégique, puis un Certificat en Gestion des Ressources humaines à l’école des Hautes Etudes Commerciales (HEC-Montréal) et décrocha son premier emploi dans un cabinet de conseils en Management. « J’avais une vie aisée mais j’avais un regard rétrospectif sur le Tchad, sur la situation qui prévalait au pays ». Au Canada, il crée, avec un cousin Libre Afrique, un journal en ligne où ils dénonçaient rigoureusement la corruption, l’injustice sociale, bref tous les maux qui minent la société. Mais en 2009, il rentre au Tchad. Car il indique être plus utile au pays.

Après plusieurs tests passés avec succès mais où il a toujours été nié en raison de ses prises de position, Delaville se lance dans l’entrepreneuriat en créant son propre cabinet de Conseils en management dénommé Séwé Consulting Group.  En 2012, il décroche un emploi en qualité de spécialiste de suivi-évaluation puis coordonnateur régional de l’Unité de Gestion Locale du Projet d’appui au développement local (PROADEL 2) où il couvrait les régions du Mandoul et du Moyen-Chari.

De retour donc dans sa ville de Koumra en 2012, celui qui a le sang royal dans ses veines (ses grands-parents sont des lignées royales, sa grand-mère est notamment de la famille Béaloum d’où est issu le Ngar Koumra et son grand-père paternel chef spirituel de Krawouli « le Ngakrawoul » ) trouve l’opportunité de renouer avec le monde rural, de « palper la précarité qui prévaut dans ces deux provinces ». Il continue à lutter contre les injustices en faisant du conflit agriculteurs-éleveurs son crédo. Une lutte qui va avoir une base plus formelle lorsqu’il sera désigné coordonnateur régional du Collectif des jeunes pour le développement du Mandoul (COJEDEM).

En effet, celui qui dit parler un peu le fulfuldé parce qu’il avait des amis peulhs nomades avec lesquels il troquait le mil contre le lait, indique ne plus reconnaitre le monde qu’il a laissé parce qu’une nouvelle race d’éleveurs composée d’autorités administratives et militaires affairistes qui détiennent des troupeaux de bétail et arment des « gardiens » pour les protéger. Des véritables propriétaires et actionnaires d’une cynique entreprise d’extermination des paysans autochtones dans l’impunité totale. Des criminels légaux en somme.

Ses dénonciations lui ont valu des ennuis avec les autorités régionales allant jusqu’aux menaces de mort. Mais « l’injustice m’empêche de dormir. La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine constitue le fondement de la paix, de la justice, de la liberté dans le monde. A contrario, la méconnaissance et le mépris de ce principe conduisent à des actes barbares qui révoltent la conscience de la communauté humaine. … », estime celui dont les accoutrements, la barbe sa passion de la musique reggae (Lucky Dube ou rien) définissent sa personnalité de révolutionnaire.

Après le PROADEL, le père de six enfants occupe depuis 2016 le poste de spécialiste en suivi-évaluation du projet régional SWEDD. A la tête du Réseau des associations du Mandoul (RESAMA) créé l’année dernière et qui compte plus de dix associations, il mène une lutte acharnée contre l’exploitation des jeunes domestiques mais surtout la déportation des jeunes du Mandoul vers les sites d’orpaillage à l’extrême nord du pays et en Libye. « Ma satisfaction, je tire le plaisir de la vie du sourire de l’autre. Quand l’autre est victime de traitement dégradant, ça m’ôte le sommeil », confie celui qui était au-devant de la marche pour la dignité et la justice suite au massacre des villageois de Sandana. Tant et aussi longtemps que la dignité humaine est offensée, j’userai de toute ma force, toute ma sollicitude et de toute mon intelligence pour dénoncer les auteurs, indépendamment de la race, de l’origine ethnique ou de la nationalité de la victime, parce que les droits de l’Homme sont universels. Ce n’est ni une question nord-sud et ni de chrétien-musulman.