À seulement 24 ans, Khadidja Ali Zakaria, connue sous le pseudonyme Kadidreams, s’impose comme une figure montante de l’art engagé au Tchad. Styliste de formation, elle entre dans l’art presque par évidence. Aujourd’hui, elle incarne une nouvelle génération d’artistes pour qui la création est indissociable de la conscience environnementale.

Assise à son bureau, Khadidja, concentrée, trace les contours d’une nouvelle œuvre. Elle trace à l’encre fine une scène d’enfants des rues. « Je faisais ce croquis pour un tableau. Je voulais capter leur innocence, malgré la dureté de leur réalité », dit-elle. À ses pieds, des bouteilles en verre qu’elle nettoie une à une, prêtes à devenir de la matière première. Ce geste, presque rituel, dit tout de son engagement : « Chaque trait compte, chaque matière a une histoire », confie-t-elle avec calme.

Sous la bannière de Kadidreams, Khadidja conçoit des œuvres visuelles : des tableaux, des objets de décoration inspirées du quotidien tchadien et réalisées essentiellement à partir de matériaux recyclés : sacs plastiques, bouteilles en plastique, bouteilles en verre, capsules, papiers usagés, tissus de récupération. Ce qui était destiné à la poubelle devient source de beauté, d’éveil et de réflexion.

Son art est un empreint d’humanité. Elle ne crée pas pour décorer, elle crée pour raconter, interpeller, questionner, inciter à voir autrement. « L’art permet de toucher des cœurs là où les discours échouent », explique-t-elle. Elle voit dans le déchet un symbole : ce que la société rejette peut devenir précieux. Chez elle, tout a une seconde vie.

Pour elle, l’art est un moyen de parler autrement, de sensibiliser sans agresser. « Un tableau ou une robe faite de plastique peut choquer, interroger, mais surtout faire réfléchir. Ce que l’on jette dit beaucoup de notre société », relate-t-elle. Son objectif est clair : « Montrer qu’avec peu, on peut faire beaucoup. Et que l’art peut changer les mentalités. »

Son collègue Mahamat Hassan, qui l’accompagne, explique : « Elle pousse les jeunes à réfléchir à leur environnement. C’est plus qu’un cours d’art, c’est une ouverture sur le monde ». Sa grande sœur, Rakhié Ali Zakaria, contactée par téléphone, renchérit : « Depuis toute petite, elle a toujours eu cette capacité à détourner l’ordinaire. Ce qu’elle fait aujourd’hui, c’est la continuité d’une sensibilité qu’elle a toujours eue. »

Être artiste, femme, jeune, et engagée au Tchad n’est pas un parcours simple. Les préjugés sont nombreux, et les opportunités rares. Mais Khadidja ne plie pas. Elle avance avec conviction, même lorsque la reconnaissance se fait attendre. « Beaucoup ne comprennent pas ce que je fais, certains trouvent ça inutile. Mais dès qu’on expose, qu’on explique, ils écoutent. Il faut juste du courage et de la patience. »

Kadidreams a construit son chemin sans passer par une école d’art. Son apprentissage s’est fait sur le terrain, dans l’expérimentation, l’observation, le partage.« Je veux que les jeunes sachent que la réussite n’est pas réservée à ceux qui ont fait de longues études. L’école, c’est bien, mais le talent et la volonté ouvrent d’autres portes », conseille-t-elle.

Pour ceux et celles qui hésitent à se lancer, elle livre un conseil simple mais puissant : « L’art, ce n’est pas que pour les riches ou les diplômés. C’est pour ceux qui ont quelque chose à dire. Utilisez ce que vous avez. Même un crayon, une feuille. Ne cherchez pas à plaire. Cherchez à dire. »

Kadidreams, une jeune dame engagée, déterminée et dynamique, ne se contente plus de créer. Elle inspire, forme, partage. Et prouve que l’art, même modeste en moyens, peut avoir une portée immense lorsqu’il est enraciné dans une vision sincère.