Diplômé en Finances publiques et en Management, et actuellement Directeur de cabinet du ministre de l’aviation civile et de la météorologie nationale, Mahamat Zène Ali Mahamat Zène, propose des pistes de solutions à l’État pour booster le pouvoir d’achat et partant l’économie nationale.

Le pouvoir d’achat est un aspect essentiel pour toute économie. Il attire les investisseurs en ce sens qu’il permet d’épargner et d’acheter des produits. Les investissements étrangers, quant à eux, constituent une opportunité non négligeable de création des richesses notamment en matière de création d’emplois. Les emplois créés stimulent à leur tour, la création d’autres activités ; ce qui contribue à l’amélioration du pouvoir d’achat qui, à son tour, favorise l’économie.  

Toutefois, quelques facteurs pourraient être un obstacle à la venue d’investisseurs étrangers. Il s’agit des problèmes tels que le coût élevé de l’énergie, les taxes élevées, la sécurité qui n’est pas assurée sur le long terme, l’environnement juridique (Quand on sait que la place de la justice est importante dans le développement des affaires), le manque d’infrastructures routières, les importations frauduleuses, la faiblesse des Ntic, …

Face à ces défis, il faudrait un environnement des affaires favorable. Cet environnement des affaires requiert ainsi, entre autres, la création des conditions propices aux investissements étrangers. L’administration publique devrait garantir un cadre institutionnel et légal favorable à la création, la protection et la croissance des entreprises nationales.

C’est dans cette optique que l’Etat tchadien continue de jouer sa partition en faisant appel aux investisseurs, en mettant en place de mécanismes facilitant l’exercice des affaires dont l’attraction des investisseurs étrangers. Parmi les efforts entrepris par l’Etat, il y a lieu de citer la création de l’Agence Nationale des Investissements et des Exportations (ANIE) au sein de laquelle est créé le Centre de Formalités des Entreprises (CFE), structure chargée de faciliter et simplifier les formalités de création d’entreprises et le Guichet unique qui a pour but l’accomplissement de toutes les formalités liées à l’exploitation d’entreprises déjà constituées, la création de nouvelles entreprises et pour les investissements étrangers au Tchad. A côté de ces structures, l’on note l’élaboration de la charte des investissements qui est un cadre général de promotion des investissements nationaux et étrangers dont beaucoup d’avantages sont accordés aux investisseurs.

Cependant, la consommation constitue un maillon très important pour une économie. Et pour consommer, il faut un pouvoir d’achat important. Un pouvoir d’achat important contribue à booster l’économie et à la rendre plus compétitive. Malheureusement, le pouvoir d’achat des salariés, en l’occurrence les agents de l’Etat reste faible au Tchad alors que cette couche est la plus importante car l’effectif des agents de l’Etat (civils et paramilitaires), sans compter l’Armée, tourne autour de 97.000. C’est dire combien l’effectif des agents de l’Etat est important.

Eu égard à ce faible pouvoir d’achat, certains investisseurs préfèrent donc se tourner vers d’autres pays du fait que la demande (la capacité d’absorption) est faible au Tchad.

Si on fait une petite comparaison entre le Smig (Salaire minimum interprofessionnel garanti) du Tchad et celui d’autres pays de la zone Cemac ou de la zone Ouest-africaine, on peut affirmer que le SMIG du Tchad est relativement bon. En fait, le salaire minimum légal est de 60.000 Frs au Tchad. Il est de 36.270 Frs au Cameroun, 35.000 Frs en République Centrafricaine, 40.000 Frs au Bénin et 35.000 Frs au Togo. Par contre, le coût de vie est élevé au Tchad.

En effet, le classement Mercer 2021, une enquête internationale sur les villes les plus chères et les plus abordables pour les expatriés, donne à N’Djaména, capitale et plus grand centre du Tchad, la 13ème place au niveau mondial et la 1ère place sur le continent africain, en termes de cherté de vie.

Si nous essayons de faire la relation Smig/pouvoir d’achat, quand bien même que le Smig du Tchad paraît relativement bon, comme relevé un peu plus haut, nous retenons que beaucoup d’investisseurs préfèreraient investir dans d’autres pays de l’espace francophone qu’au Tchad. Et cette reculade des investisseurs est un manque à gagner pour l’Etat notamment en matière de perception des impôts.

L’Etat a donc intérêt à régler toutes les questions qui sont de nature à décourager les investisseurs étrangers faute de quoi l’Etat verrait certains opérateurs investir dans d’autres pays de la sous-région ou de l’espace francophone au détriment du Tchad. Mais comment s’y prendre ?

Il est indéniable que l’Etat devrait avant tout, valoriser le salaire de ses agents. Et plus le salaire augmente, le pouvoir d’achat augmente aussi. Il en est de même pour la demande car l’offre crée sa propre demande. Le pouvoir d’achat des agents de l’Etat ainsi valorisé permet à ces derniers de multiplier les achats et favoriser l’installation des investisseurs étrangers. Ce qui est un facteur important pour le développement de l’économie tchadienne. Mais comment parvenir à augmenter les pouvoir d’achat des agents de l’Etat ?

A ce niveau, il n’est pas sans objet de rappeler l’histoire très inspirante de Lee Kuan Yew, ancien Premier Ministre du Singapour, considéré comme l’architecte du miracle singapourien, quand bien même que nous n’avons pas de similitudes avec le Singapour.

En effet, le premier acte posé par Lee Kuan Yew à son arrivée au pouvoir en 1958 fut de convoquer les Agents de l’Etat pour les amener à comprendre le rôle crucial de l’Administration publique et des entreprises dans le processus d’indépendance économique.

Il leur posa la première question comme suit : « Etes-vous satisfaits du niveau de vos traitements ? ». La réponse fut évidemment « Non », en comparaison avec les salaires du privé et par rapport au coût de la vie.

La deuxième question « D’où proviennent vos traitements ? ». La réponse fut : « Nos traitements proviennent des recettes fiscalo-douanières. ».

La troisième question : « Quels sont les agents économiques qui alimentent les recettes fiscalo-douanières ? » La réponse fut : « Les Administrations, les Ménages et les Entreprises ».

La quatrième question « Parmi ces trois agents économiques, lequel est le plus gros pourvoyeur de recettes fiscalo-douanières ? ». La réponse fut : « Les Entreprises car elles constituent au moins à 90% aux recettes douanières et à 80% aux recettes fiscales. Les Entreprises constituent le premier importateur et second employeur après la Fonction Publique. ».

Alors, le Premier Ministre conclut l’entretien en ces termes : « Si vous voulez que l’Etat augmente vos traitements, mieux, que vous perceviez des traitements d’un niveau égal ou supérieur à ceux du secteur privé, traitez bien les entreprises et elles augmenteront les recettes fiscalo-douanières ; dès lors, nous pourrons augmenter vos salaires. ». Il poursuit ses propos en précisant que cela n’est possible que si L’Administration publique peut créer par des textes appropriés un cadre institutionnel et légal favorable à la création, à la protection et à la croissance des entreprises nationales.

Les conseils du Premier Ministre du Singapour ont eu échos favorable : moins de 10 ans plus tard, Singapour figurait parmi les rares pays au monde où quelqu’un peut quitter le secteur privé pour la Fonction publique et vice-versa. C’est dire que le pari est gagné par le Singapour.

Le Tchad peut, à l’instar du Singapour mettre l’accent sur l’amélioration des recettes fiscalo-douanières. Ainsi, des actions devraient être prises en vue de recouvrer plus de recettes, les sécuriser mais également faciliter la répartition de ces richesses. Aussi, d’autres actions pourraient contribuer à l’atteinte de cet objectif.

D’abord, il faut admettre que les agents de l’Etat sont les premiers responsables des maux qui entravent l’essor des entreprises : corruption, concussion, surfacturation, complicité de fraude et de détournement de deniers publics, etc.  Il y a déperdition de recettes. Ces maux ont, entre autres, comme conséquence, la flambée du nombre des entreprises du secteur informel ; ce qui est un grand manque à gagner pour l’Etat, les entreprises, les salariés, … Bref, l’économie dans son ensemble prend le coup. Il faudrait ainsi combattre efficacement la corruption mais aussi résoudre tous les problèmes énumérés. L’Etat devrait aussi mener une guerre contre le clientélisme, le favoritisme et surtout l’impunité, … Il faudrait également encourager le travail bien fait (l’atteinte des résultats) par des prix, distinctions et autres en vue de motiver les agents de l’Etat à recouvrer plus de recettes.

Aussi, il ne faut pas perdre de vue que le combat contre les fléaux qui gangrènent l’Administration tchadienne devrait aussi passer par la promotion du civisme qui devrait commencer par le milieu scolaire pour continuer jusqu’à la vie active. L’on devrait initier des sketchs, créer de pages publicitaires sur le bon comportement, l’amour de la patrie, … mais également présenter des programmes dans tous les médias (Radio, Télévision, Internet) pour parvenir à conscientiser aux mieux la population dans son ensemble et mettre l’accent, de façon spécifique, sur la moralisation dans l’Administration publique.

Ensuite, il est crucial de bancariser toutes les opérations de recettes car nul ne peut ignorer l’importance de la bancarisation dans la sécurisation des recettes.

Il est également d’une grande importance de rationnaliser la masse salariale, d’avoir une maîtrise de la masse salariale avec une connaissance de l’effectif réel des agents de l’Etat. Cela est possible grâce à la mise en place d’un système efficace de gestion du personnel où les opérations doivent générer de façon automatique : les recrutements annuels, les décès, les dégagements, les remplacements numériques, etc. Mais si l’Etat ne met pas en place un mécanisme efficace de gestion du personnel, tous les efforts faits par l’Etat resteront vains.

Une fois que l’Etat a eu la maitrise sur l’effectif réel de ses agents, il pourra ainsi augmenter le SMIG, tous les salaires. Le pouvoir d’achat des agents de l’Etat croît donc avec l’augmentation du salaire de ces derniers. Et plus le pouvoir d’achat augmente, plus le besoin en consommation augmente ; ce qui est essentiel pour l’essor de l’économie d’un pays car l’économie se nourrit essentiellement de la consommation. Il ne faut cependant par perdre de vue que l’augmentation des salaires doit nécessairement être accompagnée de la maitrise de l’inflation. Et l’Etat a ce pouvoir de réguler le marché.

Par ailleurs, il faut noter qu’on investit pour créer de la richesse. Et en créant de la richesse, on développe l’économie. Le développement de l’économie, quant à lui, conduit à l’épanouissement et permet une répartition des richesses à la population active mais aussi à la population non active. Au niveau micro (individuel), le développement de l’économie permet un bon comportement car lorsque l’économie devient prospère, les activités économiques continuent de produire. Au niveau macroéconomique (Etat, entreprises), on parvient à rehausser le niveau grâce au paiement à la douane, aux services d’enregistrements, … Et lorsqu’on produit, on exporte, on a plus d’achats (transactions) à l’intérieur du pays.   

En outre, il convient de rappeler que même dans les pays en guerre, les investisseurs sont prêts à prendre le risque. Il y a même une économie de guerre. Aujourd’hui par exemple, la situation est critique en Afghanistan mais si les intérêts existent, les investisseurs sont prêts à y injecter des fonds. Les Chinois par exemple parlent de « Business », l’argent à tout prix. Les investisseurs voient toujours le profit. Lorsqu’un marché est identifié, même si les investisseurs ne peuvent pas venir eux-mêmes notamment en cas de guerre et autres situations d’instabilité, ils se serviront d’intermédiaires locaux.

Généralement, les sociétés étrangères ne viendront s’installer dans un pays qu’après avoir analysé le marché, avec une assurance qu’elles peuvent vendre aisément leurs produits. Le constat est que d’autres investisseurs viennent sonder le marché et puisque le marché est faible, ces derniers retournent dans leurs pays. Si par exemple le marché est important, même les américains viendront au Tchad pour implanter des sociétés comme Mc Donald. Mais lorsqu’un investisseur arrive au Tchad mais que ce dernier ne parvient pas à écouler ses marchandises ou produits, il se verra dans l’obligation d’orienter ces produits vers d’autres pays (Cameroun, Centrafrique, Nigeria, etc.) d’où la résolution de la question du pouvoir d’achat.

Aujourd’hui, la Société libanaise Orca, installée à Farcha compte une panoplie d’articles : meubles, machines de sport, tapis, paillassons, ustensiles de cuisine, décoration d’intérieur, … Mais la question qui se pose est de savoir si le pouvoir d’achat des salariés tchadiens notamment les agents de l’Etat permet à ces derniers de s’en procurer.

L’autre exemple dont il convient de relever est celui de la Foire Ariane (exposition et vente de produits iraniens). En effet, Ariane intervient au Tchad depuis fort longtemps. Mais force est de constater que la vente des articles ou produits de grande valeur reste faible. L’essentiel des ventes concerne les petits articles, souvent symboliques tels que bracelets, bagues, …. Le constat est qu’à Ariane, on casse parfois les prix en fin de journée parce qu’il y a mévente. Mais les ventes d’articles de grande valeur paraissent toujours faibles. Une question se pose : Ariane ne vient-il pas au Tchad pour explorer (analyser) le marché ? Mais s’il se trouve Ariane recouvre des recettes importantes dans la vente des tapis et autres produits d’une valeur importante, ce groupe viendra même installer ses usines au Tchad ; ce constitue un avantage pour le pays d’accueil lorsqu’on sait que le transport de l’Etranger à un coût (coût du transport, dédouanement, conservation, …) mais aussi des délais supplémentaires.

Eu égard à ces constats, l’Etat devrait mettre en place de stratégies tendant à favoriser, entre autres, le pouvoir d’achat des agents de l’Etat et faciliter par-là, la venue d’investisseurs étrangers.

Comme avantages liés à l’installation des sociétés étrangères, il y a lieu d’inscrire le paiement des taxes, les prix très bas, le transfert de l’expertise, la valorisation des produits fabriqués au Tchad et surtout la création d’emplois. Et la création d’emplois favorise la consommation des ménages grâce à l’amélioration des revenus de ces derniers. Elle joue donc un rôle important dans l’économie d’un pays d’autant plus que l’emploi relance la production et la consommation.  Elle a des effets significatifs sur la pauvreté. En effet, chaque emploi créé entraîne une augmentation de la demande de biens et services ; ce qui créera d’emplois additionnels qui apporteront une valeur ajoutée notamment en termes de perception des impôts.