Ce qui, à la politique, confère grandeur et noblesse, c’est la liberté qu’ont les hommes et femmes dans un Etat à adhérer individuellement ou collectivement à un idéal, une conviction; laquelle liberté induit systématiquement celle de renoncer à cette adhésion. Aussi, toutes les fois que cette adhésion prend le visage d’une claustration parce que l’idéal, la conviction se métamorphose en dogme sacro-saint, la politique perd-elle sa noblesse: elle cesse d’être une passion pour se réduire en abominable supplice de la conscience.

Depuis la démission du parti au pouvoir de l’ancien premier ministre Joseph Djimrangar Dadnadji, il nous est offert d’assister au lamentable spectacle d’une déferlante de griefs faits à ce dernier, allant jusqu’à un surprenant scepticisme quant à son état civil. Celles et ceux qui nous gouvernent ne portent certainement pas les comédiens en leur cœur. Mais cette caricaturale comédie politicienne est nauséabonde et mérite simplement d’être abandonnée, même si l’on est adepte de la théorie simpliste qui veut que le ridicule ne tue pas.

De tout le temps que cet ancien premier ministre aura servi le régime en place, n’a-t-on jamais eu à un moment ou l’autre besoin de ses documents d’identification civile pour sembler ne découvrir qu’aujourd’hui les irrégularités tant décriées? Tout porte à croire que dans cette mascarade, nous sommes induits dans l’arrière-cuisine des recettes propres à l’humiliation parfaite. En des termes plus clairs, c’est peut-être la logique et la culture de l’humiliation qui exigeraient de toujours noyer les indésirables au moyen des subterfuges les plus absurdes, les plus banals, les stratagèmes les moins polis, les moins réfléchis. En faisant à son ancien compagnon de route le procès d’avoir surchargé d’un prénom son acte de naissance, le pouvoir garde-t-il à l’esprit que son président-fondateur lui-même, monsieur le président de la République, à défaut de nous offrir une alternance au pouvoir, nous aura sorti de son chapeau, il y a quelques années, un patronyme tout neuf: Itno? Que ne lui en a-t-on fait grief? Serait-il plus anormal de prendre un prénom au cours de sa vie que de prendre un patronyme familial? Ce cirque est insupportable; et celles et ceux qui s’y prêtent doivent simplement y renoncer.

En réalité, avec cette fébrilité consécutive à la démission de monsieur Dadnadji, le parti au pouvoir révèle simplement son vrai visage qui est un visage mégalomaniaque; le visage d’une entité ancré dans le tropisme autoritaire et qui ne supporte pas la contradiction. C’est un délire comparable à l’hystérie de ces femmes et ces hommes bouffis d’orgueil qui sont prêts à se rendre coupables d’homicide pour laver l’affront d’un divorce. Mais, non, ne nous y méprenons point, le parti au pouvoir n’est pas une émanation divine; il est une invention des hommes, susceptible de critiques, de reproches et même d’abandon comme n’importe quelle autre invention humaine. Bien plus, même si cette formation politique avait été d’origine divine, il aurait fallu compter avec les athées et autres agnostiques; car la liberté absolue dont découlent toutes les autres libertés n’est-elle pas le premier attribut de Dieu?

Pour un mouvement arrivé au pouvoir avec la promesse de la liberté en bandoulière, cet acharnement contre un homme dont le seul péché est celui de renoncer à une adhésion idéologique dépeint une culture d’intolérance indescriptible. Monsieur Dadnadji aurait peut-être des talents et des compétences dont son ancienne formation politique ne veut point se départir; mais la méthode d’expression de cet éventuel refus est pour le moins indigne. A travers les comportements arrogants, violents, irresponsables et irrespectueux de ses hauts cadres ou de ses partisans anonymes au quotidien; à travers la caporalisation de nos médias publics, nous n’avions depuis longtemps plus aucun doute quant à l’aversion du régime en place pour les libertés en général et, en particulier, la liberté d’opinion. Cependant, la hargne de la réprimande qui, ces jours-ci, se déchaine contre son fervent militant d’hier frise le tropisme autocratique.

Le parti au pouvoir a urgemment besoin de se remémorer cette magnifique formule devenue malheureusement caduque et qui risque de mourir de la désinvolture, de l’arrogance politique et de la mégalomanie aveugle des uns et des autres: “je ne vous apporte ni or ni argent, mais la liberté”. A voir le drame liberticide, qui au jour le jour, s’étale sous nos regards, il semble opportun de se demander si le grand Descartes n’est pas trop vite allé en besogne en affirmant que “le bon sens est la chose la mieux partagée au monde”.

Béral Mbaïkoubou, député fédéraliste