INTERVIEW-Après que les autorités tchadiennes ont refusé de recevoir l’envoyé spécial de l’Union africaine (UA), une délégation de cette organisation, conduite par le commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, Bankolé Adéoyé vient de séjourner au Tchad. Le politologue Evariste Ngarlem Toldé analyse les enjeux politiques et relationnels entre les deux parties prenantes (interview réalisée avant l’audience accordée par le président du CMT à cette délégation).     

Que peut-on savoir de la visite du commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, Bankolé Adéoyé au Tchad ?

Evariste Ngarlem Toldé (ENT): Il y a eu de passe d’armes entre le Conseil militaire de transition (CMT) et l’Union africaine à propos de l’envoyé spécial de la Commission de l’Union africaine qui a été empêché de se rendre au Tchad. Curieusement, les autorités ont évoqué çà et là des raisons. C’est tout à fait normal que le conseil paix et sécurité puisse dépêcher une mission. Parce que lors de la dernière mission le conseil paix et sécurité dans son rapport remis aux autorités avait déjà fait mention de cet envoyé spécial. Et les autorités tchadiennes étaient bien au courant de cette éventuelle désignation. Il appartient à lui et lui seul qui est mieux indiqué de venir échanger avec les autorités pour comprendre les mobiles de leur réaction et de leur rejet. Parce qu’il s’agit bien d’un rejet de cette haute personnalité qui est appelée à aider les Tchadiens à résoudre ce qui semble être une crise politique actuelle dans le pays.

Le commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité va-t-il apaiser la tension qui existe entre le gouvernement tchadien et l’UA au sujet d’Ibrahima Fall ?

ENT : C’est fort possible. Parce que je ne sais pas trop ce que veut le gouvernement exactement. En fait, il n’y a pas de problème. Il s’agit d’un envoyé spécial, pas d’un représentant résident où l’Union africaine doit avoir l’autorisation ou l’aval préalable des autorités. Dans ce cas de figure il n’y a pas de raisons pour qu’on ait absolument l’accord du président du CMT. C’est dans les normes des choses et dans les prérogatives de l’Union africaine et de son président de désigner un envoyé spécial. Je crois que c’est un problème d’appréciation et le CMT est en train peut-être de botter en touche simplement par rapport à cette nomination sinon au fond il n’y a pas de problème. Il ne peut pas s’opposer comme çà à la désignation d’un envoyé spécial par l’Union africaine.

Comment trouvez-vous les arguments avancés par le gouvernement tchadien au sujet de l’envoyé spécial Ibrahima Fall au Tchad ?   

ENT : C’est lui seul qui saura expliquer. Ils étaient bien au courant avant cette nomination qu’ils aient appris par la voie des ondes ou non ils ont quand même appris cette nomination. Et ils n’ont pas intérêt dans une phase critique ou l’Union africaine est en train de soutenir la transition, de refuser la nomination ou l’arrivée de cet envoyé spécial. C’est vrai, le gouvernement a avancé ses raisons mais pour moi c’est botter en touche et essayer de justifier l’injustifiable. Il n’y a pas de raison pour qu’on puisse refuser l’arrivée de cet envoyé spécial.

Le rejet de l’envoyé spécial au Tchad par le gouvernement de transition aura-t-il un impact sur les relations entre le pays et l’UA ?

ENT : C’est fort possible. Parce qu’il semble qu’il y a bien des en-dessous. Beaucoup ont évoqué un conflit entre le président de la commission Moussa Faki et son clan au pouvoir aujourd’hui. Et ce sont des tensions qui se sont révélées au grand jour avec ce refus de cette nomination. On a voulu le mettre en porte-à-faux, le déstabiliser et le décrédibiliser davantage en refusant de recevoir son envoyé spécial. Mais il y a des en-dessous et cela va jouer sur la nature des relations qui existeraient dans les jours, les semaines ou les mois à venir entre l’organisation continentale et le pays de Toumaï. Il va sans dire que ce n’est pas vraiment amical et diplomatique de rejeter comme çà une nomination à une phase cruciale de la préparation des assises ou de la mise sur pied d’un comité qui devait déjà travailler sur le projet de préparation de la conférence nationale souveraine.  

L’arrivé de Bankolé Adéoyé va-t-il apporter un élément nouveau dans le processus de la transition au Tchad ?

ENT : Ils vont savoir de lui justifier. Qu’est-ce qui explique ce refus du gouvernement tchadien ? il est là en face d’eux. Le président du CMT va contredire les propos du ministre des affaires étrangères et c’est leur argument contre l’argument de l’Union africaine. Donc ils n’ont qu’à se justifier pourquoi cela va être ainsi. Auquel des cas cela va réveiller des velléités antagonistes qui vont exister désormais entre l’Union africaine et les autorités de la transition.