Les débats à l’hémicycle, qui devraient être caractérisés par le respect de la différence et la contradiction, sont au – jourd’hui ternis par des comportements absolutistes de la majorité.

Au commencement est le vote. Par son vote, le citoyen tchadien dit ce qu’il pense, ce qu’il souhaite. Le député, élu, arrive au Palais du 15 janvier (siège provisoire du Parlement) avec son costume ou son djellaba plein des desiderata  des peurs, des attentes et des revendications de ses électeurs. Il est porteur d’une multitude de paroles segmentées, fractionnelles et parfois contradictoires dont il se doit de faire écho et à partir desquelles il doit élaborer la loi, qui sera la loi de tous. Ainsi, les débats vont servir à donner corps, chair, vie, sens, forme… et force à la loi. La difficulté vient du fait que la loi va s’appliquer à tous les Tchadiens, même à ceux qui n’ont pas voté pour la majorité en place et qui ne sont pas du tout d’accord avec les mesures prises. Tel est le lot de la démocratie: la loi du nombre s’impose. C’est le règne souverain de la majorité. L’opposition, elle, est là pour faire entendre la “voix” de ceux qui avaient choisi une autre “voie” , une autre loi. Car pour que celui qui n’a pas souhaité la loi en question accepte quand même de s’y soumettre, il faut que cette loi soit discutée, mise en pièce; il faut que l’on pèse le pour et le contre, que l’on se demande s’il n’y a pas d’autres solutions, d’autres alternatives. Et c’est justement la tension, la friction entre la majorité et l’opposition qui fait que la démocratie est ce qu’elle est: d’un côté, la cité idéale que tous désirent; de l’autre, une assemblée composée de députés en chair et en os. L’Assemblée nationale n’est pas un lieu de convenance, un lieu où l’on fait salon. Mais elle est un lieu où tous ceux qui le souhaitent peuvent s’exprimer, où les arguments des uns sont opposés à ceux des autres. Il faut y débattre, délibérer, définir, critiquer, proposer : c’est cela l’objet même du débat parlementaire.

Le parloir de la Nation

Il revient à ceux que nous avons élus, non seulement de nous représenter, de défendre nos inté – rêts et utopies, mais aussi de dire et de faire la Nation. L’Assemblée où nos députés siègent, débattent et votent la loi, c’est ce lieu et ce temps où 11 millions de Tchadiens deviennent une seule personne. Ce lieu et ce temps où vingt-deux régions se font pays, Nation. La Nation n’est pas un grand tout, donné une fois pour toutes, que l’on devrait seulement célébrer, de temps en temps, avec le plus de solennité possible. Elle n’est pas un bien fini dont quelqu’un pourrait s’en attribuer la paternité. Elle est plutôt addition, construction, invention. Ils sont 188, nos députés sous l’actuelle législature, venant d’horizons divers. Au-delà de son appartenance politique, chacun d’eux par ses origines et son expérience s’est fait une certaine idée, une certaine image du Tchad. Et c’est cette idée, cette image qu’il apporte au débat. Les députés sont dépositaires d’une Parole irréductible qui, dans un indispensable va-et-vient entre diversité et unité, fait exister la Nation, lui donne corps, la “re-présente” , la rend “actuelle” , “présente” . Pour que la Nation existe, pour qu’elle soit “vivable”, il faut qu’elle devienne “disable” . Nos députés sont là pour ça, les contribuables les paient (grassement) pour ça. C’est ainsi que les débats à l’hémicycle doivent faire exister la Nation en tant que sujet parlant. Il faut que l’Assemblée nationale soit le “parloir de la Nation”, pour faire écho aux propos de Clémenceau ( “Gloire au pays où l’on parle” ). Or, le niveau des débats qui prévaut aujourd’hui dans les travées du Palais du 15 janvier, est déplorable. Il est “minable” , comme dirait Pape Diop, ancien président de l’Assemblée nationale du Sénégal (2001-2007), qui faisait état, à nos confrères de Direct Info, “des injures à l’intérieur de l’hémicycle et des ministres d’après la presse qui insultent” .

Aucun ministre ne doit insulter un député

Cette situation est entretenue par beaucoup d’élus de la majo – rité -dont leur chef Moussa Kadam qui s’offusquent de la contradiction et jouent sur la corde de la pensée unique. Elle est exacerbée par le ministre Secrétaire général du gouvernement (Sgg), chargé des relations avec le Parlement, Samir Adam Annour, qui collectionne les sorties maladroites. Lors de l’adoption de l’initiative de révision de la Constitution, il y a quelques jours, le Sgg a accusé “rats et chiens cachés dans des placards pour écrire aux chancelleries occidentales” . (L’homme est un récidiviste, ayant déjà traité, à maintes fois et par médias interposés, le député Saleh Kebzabo de tous les noms d’oiseaux, sans oublier l’ancien président de la Ligue tchadienne de droits de l’Homme, Massalbaye Ténébaye…) Ces propos inadmissibles ont irrité les élus de l’opposition qui ont demandé des excuses publiques au Sgg. Dans le camp de la majorité présidentielle, seul Kassiré Delwa Coumakoye s’en est offusqué: “Les membres du gouvernement doivent aller à l’école du respect des parlementaires et de l’institution. Aucun membre du gouvernement ne doit venir insulter les députés à l’hémicycle. Tous les élus, de tout bord, doivent s’unir pour mettre un terme à cette attitude qui discrédite l’Assemblée nationale” , a martelé l’ancien 1 er vice-président de l’institution. La mise en garde de Kassiré est identique, à bien des mots, à cette position défendue par Pape Diop: “Moi, en tant que Président de l’Assemblée, quand un ministre profère des menaces ou des insultes à l’intérieur de l’institution à l’endroit d’un député, j’interviens pour le mettre à l’ordre. Car, quel que soit le député qui a été insulté, c’est l’institution tout entière qui l’est; et c’est regrettable”. Haroun Kabadi, Moussa Kadam et consorts, eux, n’ont pas réagi au discrédit jeté par le Sgg sur leur institution. Silence incompréhensible et inadmissible…

Touroumbaye Geoffroy

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