N’DJAMENA, 10 novembre (Xinhua) — Les députés tchadiens devront réexaminer mardi le projet de loi portant code sur le pastoralisme. Si le gouvernement estime que ce texte aide à moderniser l’élevage au Tchad qui dispose d’énormes potentialités dans ce secteur, une partie de l’opinion nationale juge le texte inopportun et inadapté.

“Le secteur de l’élevage au Tchad est régulé par une loi qui date de 1959, soit un an avant l’indépendance. C’est donc un texte qui est déphasage, vu les nombreux changements intervenus dans ce pays, notamment une augmentation du cheptel”, a déclaré Issa Ali Taher, ministre de l’Elevage et de l’Hydraulique.

A la demande du gouvernement tchadien, l’Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) avait financé l’élaboration et l’adoption d’un nouveau texte. Le processus, entamé en 2009, a impliqué les acteurs principaux du secteur rural : éleveurs, agriculteurs, autorités traditionnelles et administratives.

Le projet de code sur le pastoralisme, finalisé en 2011, a été adopté par l’Assemblée nationale début juillet 2014. Mais, à la requête d’une vingtaine de députés dont le président de l’ Assemblée nationale, la loi a été jugée contraire à la Constitution. Retoqué par le gouvernement, le nouveau texte devra être réexaminé mardi par les députés.

Depuis plusieurs semaines, les opposants au code sur le pastoralisme montent régulièrement au créneau pour dénoncer plusieurs dispositions du texte: notamment l’obligation faite aux paysans de clôturer leurs champs. Ils jugent également anormal que les éleveurs transhumants arrivent dans le sud agricole avant la moisson.

Ils estiment, par ailleurs, qu’en l’état actuel, le code pastoral va exacerber les conflits entre les éleveurs et les agriculteurs qui sont devenus très récurrents ces dernières décennies, avec leur corollaire de pertes en vies humaines et de dégâts matériels.

“Le code sur le pastoralisme est pour l’instant inopportun. Il est une légitimation de l’injustice et l’arbitraire. Son objectif est de transformer tout le territoire du Tchad en un vaste pâturage pour les éleveurs et les propriétaires de capital-bétail qui ne constituent que 3,5% de la population tchadienne”, a affirmé Baldal Oyamta, coordonnateur national de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LDTH).

Mais pour le ministre tchadien de l’Elevage, les contestataires font une mauvaise lecture du code pastoral.

“Le code pastoral est la solution aux problèmes entre les éleveurs et les agriculteurs. Les zones de stationnement, les aires de pâturage, les couloirs de transhumance, seront bien définis pour éviter des heurts entre les deux communautés. Le décret d’application de la loi prendra en compte les périodes de défrichage, de semence, de récolte et de la jachère”, a-t-il expliqué.

Les avantages du nouveau code sur le pastoralisme sont nombreux, selon M. Issa Ali Taher, tant pour les éleveurs que pour les agriculteurs. Les éleveurs seront libres de faire paître leurs troupeaux partout et en tout temps; l’Eta pourra les accompagner vers un élevage moderne à travers des services intégrés dans le domaine vétérinaire, de l’éducation, etc. Les agriculteurs, quant à eux, ne pourront plus craindre les divagations des animaux dans leurs champs.

Le Tchad (vaste de plus de 1,2 million kilomètres carrés) comprend trois zones agro-écologiques. Une zone saharienne ou désertique, au nord, qui couvre 60% du territoire national, enregistre moins de 200 mm de pluies par an, et où est pratiqué une agriculture irriguée dans les oasis et un élevage des chèvres, des ânes et des dromadaires en transhumance. Une zone sahélienne, au centre sur 29% du pays, avec une pluviométrie variant entre 200 et 650 mm/an et regroupant la majorité du cheptel ruminant. Et, enfin, une zone soudanienne au sud (10% du territoire), avec un climat de type tropical et pouvant enregistrer jusqu’à 1.400 mm de pluies par an, est la zone par excellence de l’agriculture.

“Au vu de ces subdivisions agro-écologiques, la zone d’élevage pastoral est clairement identifiée et définie (espace saharo- sahélien), même si elle doit être nuancée au vue du poids démographique desdits pasteurs de ces zones. Il convient donc de délimiter les zones d’activités pastorales, y faire des investissements nécessaires pour éviter les déplacements des troupeaux sur de longues distances et procéder à la sensibilisation et formation des pasteurs pour une modernisation de l’élevage”, a expliqué Baldal Oyamta.

Avant de se précipiter sur l’adoption d’un code sur le pastoralisme, a-t-il ajouté, le gouvernement doit d’abord mettre en place un code rural et une loi-cadre fixant les principes fondamentaux de l’élevage au Tchad. L’actuel code refuse, selon lui, toute modernisation de l’élevage et veut simplement se satisfaire d’une pratique dite millénaire, que ses auteurs considèrent comme un patrimoine national à promouvoir, faisant ainsi abstraction de l’évolution du monde.

“Pour l’heure, on doit retirer ce projet de l’Assemblée nationale pour sa vulgarisation auprès des fédérations des éleveurs pour des amendements avant son adoption”,a renchéri Dr Mahamat Hassan Abakar, enseignant-chercheur à l’Université de N’ Djaména. Il a appellé à un toilettage profond du texte pour prendre en considération les préoccupations des éleveurs et voir le champ d’action des agriculteurs.

Le ministre de l’Elevage, lui, a exhorté les députés à adopter le nouveau texte. “Si nous voudrons profiter de notre cheptel, booster notre croissance économique et reconnaître que l’élevage est l’une des mamelles essentielles de notre économie, il faut organiser le recensement de notre cheptel et adopter un code pastoral”, a-t-il conclu.