En cette période de grande confusion politique, où tous les repères d’une bonne lecture de la situation nationale sont effacés, l’écrit du député Béral Mbaïkoubou semble n’émouvoir personne. Il dénonçait “ l’érection de nos petites personnes en démiurges politiques tout aussi incontournables qu’indispensables” ainsi que “les artisans de l’émiettement (politique), ceux qui veulent monopoliser le titre d’opposant, se posent incontestablement en alliés objectifs et privilégiés du régime actuel”. Il n’y a pas que ces deux affirmations fortes dans cet écrit qui est passé comme une lettre à la poste. Comme disait le pamphlétaire Bendjo, à ses heures de gloire, “les gens de Moursal aiment à boire de la Gala sur de bonnes idées”!

Parler de l’opposition politique dans notre pays exige un vocabulaire que beaucoup trouvent désuet mais que malheureusement la pensée politique n’a pu actualiser ni moderniser. En effet, l’attitude de celui qui s’engage en politique ou sur tout autre sujet social est souvent caractérisée de révolutionnaire, réformiste, conservateur ou réactionnaire. Nous nous engageons pour que la société connaisse un progrès dans son évolution. Par rapport à la situation, au moment où l’on s’engage, on voudrait que tout change ou qu’elle s’améliore seulement petit à petit ou qu’elle reste comme telle à défaut de reculer. Toutes ces attitudes sont forgées par notre environnement social, notre éducation, notre culture ou tout autre facteur qui contribue à la formation de notre conscience sociale. Bref, ces idées qui nous gouvernent et nous poussent à choisir sont des idéologies. Celles-ci peuvent donc être révolutionnaires, réformistes, conservatrices ou réactionnaires. Alors, si nous devons nous placer par rapport à ces idéologies, qui sommes-nous pour être taxés d’opposants? Sans tomber dans le simplisme et la vulgarité, nous pouvons affirmer que ne sont pas opposants ceux dont les choix et les actes sont contre le progrès de notre pays. Ce sont des conservateurs ou des réactionnaires. Et les autres? Sous d’autres cieux, ils appartiendraient à la gauche révolutionnaire ou réformiste. Mais la droite ne renferme pas que des réactionnaires ou des conservateurs de mauvais poils! Elle a ses libéraux qui militent pour de petits changements! Si chacun devait choisir son camp dans ce champ idéologique, il ne serait plus question d’âge, de sexe, de région ou d’ethnie. Nous serions simplement des progressistes ou des réactionnaires. Mais même cette conception de classe ou de catégorie sociale est actuellement très critiquée. Surtout à cette période où certains penseurs déclament “la fin des idéologies”.

Une culture rachitique

Nous devons donc naviguer dans des espaces sans frontières et sans lisibilité. Un monde virtuel où vieux, jeunes, femmes, ethnies ou religions doivent être des catégories opératoires! Faut- il rappeler que cette confusion de mots et de concepts conduit à des confusions d’idées, elles-mêmes sont le reflet de notre culture politique rachitique du moment. Cette culture, tout autant pauvre que notre statut social est un carcan contraignant pour la production des idées novatrices. Comment des gens toujours pauvres, des indigents, qui manquent de minimum peuvent-ils avoir le temps de réfléchir à de grands problèmes de société, concevoir de grandes réformes et éduquer des masses qui crient constamment “faim” et ne pensent qu’au “ventre” ? Si nous revenons aux choses terre à terre, à notre pays, nous pouvons encore affirmer que le propre des hommes de terrain, des hommes d’action, des femmes et des hommes engagés, c’est de travailler cette société réelle. Ils doivent faire des choix difficiles et mobiliser des forces endormies, expliquer à ceux dont la conscience milite contre leurs intérêts objectifs que le changement est à l’ordre du jour. Ah! Le changement, le mot est lâché! Combien d’entre nous militent pour que le changement tant attendu par nos populations ait lieu? Et pourtant nous sommes plus de 140 partis politiques qui se sont créé en dehors du parti au pouvoir. Pouvons- nous dire que ce sont des partis d’opposition? Sans compter des centaines d’associations que nous pouvons inscrire sur la liste virtuelle des agents du changement!

Pour faire la manche

Ces partis sont tous nés des partis-mères et n’ont aucune idéologie, sauf aller à la mangeoire comme on dit! Souvent ils naissent à l’instigation du pouvoir ou à l’occasion du partage “inéquitable” de la subvention accordée aux partis. Ils naissent aussi pour affaiblir un leader qui n’est pas dans le jeu du pouvoir. Ou comme c’est souvent le cas, les “contestataires” qui créent un autre parti voudrait faire du cadre abandonné “un bureau de placement des militants”, c’est-à-dire que leur chef doit, chaque jour que Dieu fait, faire la manche auprès des autorités pour leur trouver des postes de responsabilité ou du travail dans l’administration Mps. Comme les pauvres ne s’aiment pas entre eux, ils commencent par trouver des défauts à leurs compagnons qu’ils qualifient de tous les noms d’oiseaux. Souvent, le pauvre chef de parti est pire que le président du parti au pouvoir. Alors, comme le Mps a déjà ses caciques et ses mécanismes de distribution des privilèges, il est préférable de créer un nouveau parti et de se déclarer “parti allié” pour les broutilles, L’épithète “parti de l’opposition démocratique” n’est qu’un label trompe l’œil. Les militants de ces partis nourrissent une grande aversion pour une politique de réelle opposition. C’est pourquoi, dans notre pays, les partis se combattent plus qu’ils luttent contre le pouvoir en place. On fait de l’opposition contre l’opposition. Et cette pratique qui est très bien appréciée par le régime est reprise par beaucoup de militants de certaines associations de la société civile qui en font leur crédo. Puisque le pouvoir a tous les moyens pour combattre ses vrais adversaires, il est aisé de comprendre le nombre de judas dans nos rangs. Les vrais partis en lutte sont déstabilisés par la corruption, les intimidations, les enlèvements, les disparitions forcées, etc. La peur et le ventre justifiant tout, n’est pas opposant qui veut au Tchad.

Le bon exemple

Dans notre pays, les vieux et les jeunes ne donnent pas le bon exemple. Autant les jeunes veulent Rav4, villas, argent facile et dames de soirée, les vieux affichent une attitude politique qui frise la grossièreté, le manque d’éducation, l’absence de dignité, le goût effréné tardif d’une accumulation de richesse. Comment toutes ces attitudes, tous âges confondus, toutes régions et ethnies mélangées, ne produisent- elles pas “un commerce de la politique” et non des militants pour des causes politiques? Quand on sait que le pouvoir actuel nous gouverne par la propagande, la pensée unique, la distribution des faveurs et donc la négation du mérite, comment ne doit-on pas faire attention aux idées qui circulent? Ce pouvoir qui a créé ses partis alliés, ses syndicats alliés, sa société civile affiliée tout cela grâce à l’argent de notre pétrole, pourquoi devons-nous concentrer toutes nos énergies à détruire notre opposition et non pas nous unir par une stratégie frontale pour le contenir dans ses manœuvres? Et voilà que dans “ce large front de lutte”, il y a des gens dans la société civile qui clament leur indépendance et tirent à boulets rouges non sur ce pouvoir qui nous divise, nous humilie, nous tue mais sur l’opposition. Certes elle est maladroite, mais elle reste à construire. En la matière, nous n’avons pas une opposition idéale. Celle qui a des principes, qui est constante dans ses prises de position et consistante dans le contenu de ses choix. Mais on ne construit pas une opposition par l’opprobre, le dénigrement et tous les quolibets d’usage. Ce serait comme on dit “jeter le bébé avec l’eau du bain”. La construction d’une vraie opposition, un instrument solide de lutte, exige tolérance, discernement, exigence des critères et fermeté dans le maintien du consensus.

S’unir

Ceux qui veulent un vrai changement dans notre pays doivent œuvrer à la mise sur pied de cette opposition. Les acteurs de cette œuvre salvatrice doivent s’impliquer eux-mêmes. Ils ne doivent pas laisser faire les autres. La lutte ne se délègue pas. Si dans nos rangs, il y à des brebis galeuses, ceux qui rendent la vie impossible sont ceux qui nous gouvernent. Dire qu’il faut éliminer tous les faux opposants avant de lutter, c’est faire le jeu du pouvoir. Si des opposants vont maintenant voir le Président, c’est d’abord la volonté de celui-ci. Barricadé comme il est, s’il ne veut recevoir personne, nul ne pourra forcer sa porte. Recevoir ou ne pas recevoir un citoyen procède de ses manœuvres. Et ceux qui tombent sous les charmes de ses propositions ne doivent pas oublier ce proverbe “qui veut manger avec un diable doit avoir une longue cuillère”. Comme disait un sage: “notre pays a toujours marché sur la tête. Il est temps qu’il marche sur ses pieds”. Cessons de discourir sur ce que l’opposition peut ou ne peut pas faire. Mettons-nous ensemble. Choisissons ceux qui peuvent nous représenter et marchons droit vers la liberté. C’est un rêve qui est à notre portée et qui nécessite juste de dire non aux choses présentes que nous condamnons.

Gali Ngothé Gatta Député

N’Djamena Hebdo #1500 disponible en téléchargement sur boutique.tchadinfos.com