SPORT – La recordwoman du Tchad de 100 mètres et jadis véritable star, Adama Perkissan vit aujourd’hui entre nostalgie et sentiment d’avoir été oubliée par son pays. Rencontre.

Un vendredi de juillet, les fidèles musulmans se hâtent pour la prière du jour. Debout sur ses jambes de 48 ans, Adama Perkissan se couvre convenablement de son voile. À côté d’elle, son petit étal constitué de paquets de friandises, du thé, du café et du sucre. La recordwoman de 100 mètres du Tchad se reconvertit en commerçante. Et c’est ici, au marché central de N’Djamena, derrière le ministère des Affaires étrangères qu’elle côtoie ceux qui ont chanté autrefois sa gloire.

“Mon vœu, c’est de voir mon record être battu”

Adama Perkissan

À l’époque, Adama Perkissan est imbattable sur la piste. Elle enchaine des victoires, des médailles, et des voyages avec l’équipe nationale. Même après avoir quitté la discipline en 1999, elle détient encore le meilleur temps du pays : 12 secondes 00. Chrono réalisé au championnat d’Afrique d’athlétisme organisé au Tchad, en 1990. « Mon vœu, c’est de voir mon record être battu. Ce jour, je veux tenir la personne contre moi et lui dire merci », lâche-t-elle, derrière son large sourire. D’autant qu’aujourd’hui, Adama Perkissan n’a plus les jambes d’une championne. Le temps est passé par là. Même son visage n’a plus les traits d’une star : ses petits yeux ne reflètent plus ses heures de gloire.

« Mon pays m’a oubliée »

La championne vit désormais entre nostalgie et sentiment d’être oubliée. « Je ne regrette pas mon parcours d’athlète, souligne-t-elle. J’ai toujours défendu dignement le Tchad. Malheureusement, aujourd’hui, mon pays m’a oubliée. » Très vite, cette mère de deux filles dissimule sa colère et se replonge dans ses débuts sur la piste, notamment sur ce fameux déplacement avec l’équipe nationale en Yougoslavie. « En 19 ans de carrière, c’est le plus beau voyage de ma vie », confie-t-elle, mine détendue. « C’était mon premier voyage et j’étais la plus jeune de la sélection.  Je ne faisais que pleurer ce jour-là.  Pour me rassurer, mon coach avait envoyé de filles de chaque pays, c’était tellement beau

“Je ne voudrais pas qu’elle finisse comme moi”

Adama Perkissan

C’est loin tous ces souvenirs. Aujourd’hui, Adama Perskissan ne survit que grâce à son petit commerce. Elle continue toutefois à se rendre au stade Idriss Mahamat Ouya. Mais l’ex-championne est ferme : ses filles n’emboîteront jamais ses pas. « La plus jeune est la meilleure, avoue la maman. Elle a même souhaité faire comme moi, mais je me suis catégoriquement opposée. Je ne voudrais pas qu’elle finisse comme moi.» Elle qui a marqué ses débuts dans l’athlétisme à 13 ans.

En ce temps-là, Adama, c’est cette écolière qui court plus vite que les autres. Un jour de 1985, elle est repérée par Moustapha Six. Ce dernier la conduit sur la piste. Un début de carrière commence pour la fillette sur 1 500 mètres.  Mais rapidement, elle est alignée sur la piste de 100 mètres. À sa première course, la pépite bat le record du Tchad qui était de 12’07’’. Puis elle confirme sa suprématie, en établissant son propre record de 12’01’’ à la Semaine nationale des sports, à Sarh, en 1987.  Deux ans après, de retour de congé de maternité, la petite reine établit le record actuel : 12’00’’. Personne ne l’a battu depuis au Tchad.

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Cette performance a permis à la nouvelle championne d’être de tous les voyages : Kenya, Cameroun, France, Zimbabwe, … « Comme j’étais la meilleure, je voyageais beaucoup. Dès que je regagnais le pays, je repartais de nouveau en voyage », se souvient Adama Perskissan. Ce rythme intense l’a contraint à quitter prématurément les bancs de l’école primaire. Aujourd’hui, le retour à la réalité est difficile. Sans soutien réel de l’État – seule la Fédération tchadienne d’athlétisme lui donne qu’une place d’hôtesse à la cérémonie des semi-marathons – elle peine à joindre les deux bouts.