RECIT – Préfet pendant de longues années, l’histoire de Kanika Ogal est liée à celle du Tchad. Témoin de l’accession du Tchad à l’indépendance, le natif de Sarh nous plonge dans ses souvenirs.

RECIT – À 74 ans, Kanika Ogal n’a rien oublié. Il se souvient encore quand toutes les délégations du sud transitaient par Bongor pour la capitale. Nous sommes en 1960, le Tchad accède à l’indépendance. L’enfant d’Ogal était en classe de CM2 à Bongor. Le pays préparait la fête nationale, le petit garçon cherchait lui dans sa mémoire les rares souvenirs qu’il a de son père. (Il a perdu son père entre trois à quatre ans).

« Il a voulu que j’aille à école » se remémore l’orphelin. Mais le natif de Sarh franchit le pallier de l’école tard. Son oncle censé l’envoyer à l’école l’a cantonné à la maison. Et pourtant, l’adolescent a quitté son village pour la ville pour des raisons d’études.  Il a fallu qu’un autre oncle n’intervienne pour qu’il gagne la salle de classe.

Dans la capitale, l’adrénaline de l’indépendance faisait son effet. Kanika Ogal obtient son Brevet d’enseignement primaire et entre à Ecole nationale d’administration (Ena). Et fait partie de la toute première promotion a décroché leur diplôme. Dans la foulée, la jeune République du Tchad administrait ses fils lettrés. Il est ainsi intégré à la Fonction publique au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité.

« La première fois où j’ai serré la main du président Tombalbaye, c’était à l’inauguration de la Société tchadienne de textile ».

Kanika Ogal

Deux mois à ce poste et l’énarque revient sur ses traces natales comme préfet adjoint. Une ville que le président Ngarta Tombalbaye ne manquait pas de visiter. « La première fois où j’ai serré la main du président Tombalbaye, c’était à l’inauguration de la Société tchadienne de textile », se souvient-il avec nostalgie.

En 1975, l’homme au visage balafré, étant préfet, préparait la fête de coton dans la localité de Bongor. Une autre occasion pour lui de serrer la main de Ngarta Tombalbaye. Mais à la veille, un coup d’Etat renversait l’homme du pouvoir. Le général Felix Malloum contrôlait N’Djamena. La fête n’a pas eu lieu. Retranché dans sa zone, Kanika Ogal continuait à assurer ses responsabilités jusqu’au retour d’une accalmie.

La paix ne fut que de courte durée. En 1976, le pays plonge dans une succession de rébellions. L’autorité de l’Etat n’était pas respecté sur l’ensemble du territoire national. Pour résoudre le problème, le Président Felix Malloum signe un accord de paix avec Hissein Habré. Il fait de ce dernier son premier ministre. Kanika administrait en ce temps à Biltine.

« Nous étions restés dans cette maison jusqu’à ce que la situation ne devient intenable avant qu’on fuit vers le Cameroun »

L’engagement de ces deux hommes tombe à l’eau et le pays renoue avec les hostilités. Le préfet venait, pour le baptême de son fils dans la capitale, « ceux qui étaient en poste derrière lui étaient tués ». « J’ai eu la chance d’être le rescapé ».

La chance de Kanika Ogal le fait tomber nez à nez avec la guerre civile à N’Djamena. Sans effort, il tente de nous montre les traces invisibles de dégâts de cette guerre sur le mur.« Nous étions restés dans cette maison jusqu’à ce que la situation ne devient intenable avant qu’on ne fuit vers le Cameroun », relate-il avec mélancolie. « À notre retour après l’appel du président Hissein Habré en décembre 1979 nos biens étaient restés intacts ».

Le pays s’est remis sur les railles et Kanika Ogal reprend service au ministre de l’intérieur jusqu’en 2006. À la retraite, le père de douze enfants continue de narrer son parcours de combattant à qui veut l’entendre.