Suite à la polémique qui surabonde les réseaux sociaux concernant son livre coécrit, Succès Masra a adressé une lettre aux peuples tchadiens pour éclaircir les motivations qui ont donné naissance à cette œuvre.

Dans une lettre qu’il a adressée au peuple tchadien, Dr Succès Masra, coauteur du livre intitulé « Tchad, éloges des lumières obscures, du sacre des cancres à la dynastie des pillards psychopathes » s’est expliqué sur le contenu de cette production.

« Suite au débat légitime qui a  lieu relativement à un des livres que j’ai coécrit  il y a  bientôt 12 ans, je voudrais avoir l’occasion ici de m’en expliquer, par responsabilité vis-à-vis de vous tous qui vous sentez injustement heurtés dans votre identité et auprès de qui je voudrais ici m’excuser », a écrit Dr Succès Masra à l’entame de sa lettre publiée ce mardi 24 décembre 2019.

Le livre intitulé Tchad, éloges des lumières obscures, du sacre des cancres à la dynastie des pillards psychopathes, coécrit par Dr Succès Masra et Béral Mbaikoubou, il y a de 11 ans, n’a commencé à faire polémique qu’en décembre 2019 lorsqu’un ancien ministre de finances a critiqué l’ouvrage dans les colonnes du Journal le Baromètre. Certains passages sont jugés « colonialistes », « régionalistes » voir même « racistes ».

C’est ce qui amène le leader des « Transformateurs » Succès Masra à se justifier. « L’ambition de ce livre c’était d’interroger la responsabilité de tous les régimes successifs du Tchad, depuis les indépendances jusqu’aujourd’hui et qui ont utilisé la fibre ethnique et régionale ».

D’ajouter que « J’aurai pu vous demander d’emblée que celui qui n’a point péché me jette la première pierre. Car, comme vous le savez tous, Al ma yahata illé Allah, seul Dieu ne pêche pas. »

Dans une logique qui se veut laïque, Succès Masra exprime sa conviction. « Permettez-moi de vous exprimer ma conviction et mon profond sentiment : j’aime profondément le Tchad et j’aime tous les Tchadiens et ceci ne changera point.  Je n’ai ni rancœur, ni haine de personne et d’aucune communauté. Je n’ai qu’une seule détermination irréversible qui est de transformer, avec vous, notre pays en une terre de justice et  d’opportunités pour tous ses enfants. »

Pour lui, faire ce débat ne l’étonne pas. « Je savais, en m’engageant pour notre pays que ce débat allait arriver et c’est tant mieux qu’il ait lieu maintenant », écrit-t-il dans la lettre. « La question ethnique fait clairement partie des maux qui empêchent au Tchad d’aller de l’avant. Tous les régimes successifs  ont eu leur lot d’exactions et d’utilisation de la fibre ethnique pour esquiver leurs responsabilités réelles : à savoir gouverner dans la justice pour que chaque tchadienne et chaque tchadien ait une vie digne. »

Des propositions

Succès Masra reconnait la subjectivité de l’histoire douloureuse où il a en partie vécue et partie écouté raconter. C’est ainsi qu’il appelle les tchadiens à « considérer que la seule façon de sortir définitivement de ce cancer qu’est la fibre ethnique et régionale que des politiciens véreux exhibent pour faire peur et diviser, c’est de nous asseoir tous autour d’une table de discussions républicaines sincères ». De renchérir qu’il ne faut plus « mettre sous le tapis  ces sujets qui fâchent et qui ont fait perdre du temps depuis des décennies à notre pays ». 

Il poursuit sa lettre en réitérant son appel au dialogue national de vérité, de Réparations, de Pardon National et de Protection de l’avenir en commun en mettant le doigt sur ce qui doit changer et en mettant de côté les hypocrisies des uns et des autres.

« Vous, nouvelles générations, vous avez ici un rôle majeur à jouer. Ne laissez personne vous dicter votre indignation, et vos choix et vos engagements pour votre pays. Prenez vos responsabilités », bétonne-t-il.

Il appelle au rassemblement et l’avancement des choses. Succès Masra précise qu’il faut parler de ce qui « doit nous préoccuper : l’eau, l’électricité, un toit décent, un emploi décent, la même justice sociale pour tous, les mêmes droits et devoirs pour tous les citoyens Tchadiens. Voyez-vous, ces choses essentielles pour nos vies, n’ont ni religion, ni ethnie, ni croyances, ni genre et ni province ».

“Un livre obscur”

Beaucoup des Tchadiens se sont sentis insultés par les propos tenus par le leader des Transformateurs dans ce livre pamphlet, coécrit avec le député Beral Mbaikoubou connu pour ses sorties à charge et très acerbes vis-à-vis du pouvoir. Le député a depuis mis de l’eau dans son vin, après avoir appelé à voter pour le candidat de l’alliance Idriss Deby Itno lors des présidentielles de 2016.

Pourquoi 12 ans après ? La question a le mérite d’être posée, surtout que des intentions d’opportunisme politique sont avancées par les supporteurs de Succès. Le livre lu par nos soins nous laisse imaginer les sentiments qui ont animé nos compatriotes qui crient au scandale. Avouons-le, les mots sont durs, c’est ce qui fait dire à un analyste littéraire contacté par nos soins que c’est « un livre obscur ». Nous avons choisi délibérément de ne pas publier des extraits.

Notre histoire tumultueuse a laissé des stigmates qui hantent l’inconscient général, les questions d’ethnies et celui de la religion sont nos points forts et en même temps notre faiblesse. Il y a eu du bon et du mauvais des parts et d’autres, les aborder avec passions c’est jouer avec le feu. Au regard de son ambition de diriger à la destinée de notre nation, il était plus que nécessaire de se prononcer et afficher sa position une fois pour toutes.

Est-ce que le Succès qui veut être président du Tchad est le même que celui qui ostracise une partie de ses compatriotes ? Il vient de nous dire que non, accordons-lui le bénéfice du doute et observons ses faits et gestes, prendre des photos avec des imams et des gens en boubous c’est bien, mais pas suffisant. Son entrée fracassante et son audace lui ont valu une sympathie auprès de la jeunesse et une grande partie de la population. Cette casserole, car il faut l’appeler ainsi, vient 12 ans après hypothéquer son avenir politique. Au Tchad, on ne badine pas avec l’honneur. Beaucoup lui tiendront rigueur, telle de l’huile versée sur un habit, ce livre s’il n’est pas rejeté définitivement par son auteur, fera tache.

Puisqu’il dit porter le débat sur le fond, cette question ne doit pas être occultée et il va falloir prouver le contraire à ces frères qui se sont sentis insultés. S’il veut aborder le sujet avec objectivité, nos colonnes et nos locaux sont prêts à abriter un tel débat. Pour le dialogue national inclusif qu’il réclame, c’est à l’état et aux citoyens tchadiens d’en décider.