SOCIETE – A la frontière tchado-camerounaise, les voyageurs subissent la loi des racketteurs. Entre multiplication des postes de contrôle et l’interminable signature et enregistrement des documents d’identification, ce sont les poches des voyageurs qui prennent un coup. Pendant ce temps, la libre circulation est mise au frigo.

La libre circulation est-elle mise de côté ? Question difficile à répondre, parce que Dieu seul sait combien de fois des réunions ont été organisées entre les quatre murs de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac) à ce sujet. Des sommets certes mais quiz de la réalité ?

Il est 6 heures du matin dans la ville de Moundou, dans la province du Logone occidental, à plus de 500 kilomètres à la sortie sud de la capitale politique du Tchad, N’Djamena. Sous un soleil qui peine à se lever faute de brouillard, les voyageurs se pressent pour faire leur voyage. Ils doivent traverser la frontière entre le Tchad et le Cameroun, dans le village de Kouteré, à 110 kilomètres du centre-ville de Moundou.

A la gare routière, des passagers peinent à remplir la voiture de marque Camry qui doit faire la liaison entre la ville de Moundou et Touboro. « Nous n’avons pas trop de clients maintenant. Si c’était la période des retours des vacances, vous allez juste voir que ce sont les voyageurs qui vont attendre les voitures », explique Ahmat, un commis de charge en arabe local. Mais avec patience, la voiture qui doit faire le voyage se remplit. Entre temps, il est à peu près 8 heures et demie.

Mahamt Djarma, le conducteur se met en route. Très rapidement, les formalités à la sortie Est de la ville. Deux heures suffiraient à atteindre la frontière Tchad – Cameroun, précisément dans le village de Kouteré, sous-préfecture de Larmanaye. Jusque-là, tout baigne encore. Mais pas pour longtemps. Après une heure et quelques minutes seulement de voyage, l’on arrive à la frontière. Il est temps de descendre et prendre le cachet du côté de la gendarmerie tchadienne avant de traverser la frontière.

A Kouteré, village frontalier au Tchad – Cameroun
Credit photo : Tchadinfos.com / Adelph

Du côté de la frontière Tchad…

Dans le bureau de l’officier de police judiciaire qui doit enregistrer la sortie, une queue interminable est faite. Il a fallu une quarantaine de minutes avant qu’il n’enregistre les dossiers. Mais à contrepartie.

Après l’enregistrement, l’officier de police judiciaire et son assistant demandent une somme de 1 000 francs CFA à chaque voyageur tchadien à destination du Cameroun. Chose curieuse pour Djibrine, étudiant à l’université de Ngaoundéré qui se demande le pourquoi. « Chef, normalement nous ne devons pas payer ici non ? Etant donné que nous sommes des Tchadiens ».

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L’Officier soulevant juste la tête et le regardant lui répond d’un ton calme de sortir de son bureau. L’étudiant se fraie du passage et sort. Une dizaine de minutes plus tard, il a été rappelé par l’officier de police judiciaire qui l’avait redonné encore de remettre la somme de 1000 francs CFA comme tous ceux qui étaient passés ici.

L’étudiant croyant être dans ce droit refuse. Mais après l’intervention de Mahamat Djarma, le conducteur, il a payé la somme demandée et passe la frontière. Il faut noter qu’auparavant, du coté tchadien, aucune somme n’est demandée à tchadiens sortant.

… Au coté Camerounais de la frontière 

Fin du calvaire ? Absolument non. Le « pire est encore à venir », confit un habitué du trajet. Ici, il faut passer par la gendarmerie pour avoir son cachet puis continuer sa route. Mais la réalité est loin du prescrit. En effet, après le passage chez l’officier de police judiciaire qui a pris 3000 francs CFA par passager. Il faut encore faire d’autres tours. Mais où ? Après que l’étudiant soit sorti du poste de la gendarmerie pour se diriger vers la voiture comme initialement prévu, il a été rattrapé par un homme en civil qui l’avait demandé de passer par un autre bureau en secco.

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Dans ce bureau, deux hommes en civil ont demandé à voir les pièces d’identités (passeports, Laissez-passer, CNI…). Une fois prises, ils les ont enregistrés dans un registre et eus filmé les pièces avec un téléphone Android. A la fin, l’homme en civil a réclamé une somme de 1000 francs CFA à chacun. Mais quand l’on se demande pourquoi ? sa réponse était simple : « c’est la procédure monsieur ».  Les voyageurs ont payé les frais X et « comme si cela n’était pas de trop », un poste reste encore à y faire passage.

Là-bas, une jeune dame en tenue de la gendarmerie, elle aussi avec le même registre, prend les pièces et enregistre. « Cette fois-ci, vous voulez combien ? », redemande un étudiant à l’université de Douala à la dame en tréhi. « Vous allez me donner 1000 francs monsieur », répond-elle de sang-froid. Des voix s’élèvent et la tension augmente.

« C’est de l’extorsion. Comment on parle de la libre circulation mais… il faut payer plus que prévu ? »

Ruth, étudiante à l’Université de Ngaoundéré

Un payement de plus, un poste de contrôle de trop

Les voyageurs sortent du bureau. Pour eux, pas question de payer cette fois-ci. « C’est de l’extorsion. Comment on parle de la libre circulation mais quand il est question de voyager par la voie terrestre, et surtout par cette route, il faut payer plus que prévu ? », vocifère Ruth, étudiante en faculté de droit à l’université de Ngaoundéré. De renchérir pour Djibrine qu’il n’est plus question de payer. « Nous n’allons plus payer les gars, s’ils ne veulent pas, qu’ils nous refoulent chez nous. Pourquoi du coté tchadien, on ne les traite pas comme-ça mais quand c’est nous, ils le font ainsi ? »

Après une vingtaine de minutes, Mahamat Djarma a fini par les convaincre de payer. C’est en tout 6000 francs CFA qu’ils ont dépensé avant de quitter la frontière. Même après cela, les voyageurs n’arrivent pas au bout de la question principale : où est la libre circulation tant prôner dans les quatre murs des sommets des chefs d’Etat de la sous-région ?

L’argent d’abord et après quoi, vient la libre circulation

Il faut d’abord rappeler qu’il y a moins de cinq mois, les tchadiens volant traverser la frontière via le village de Kouteré ne payent pas excédant 3000 francs CFA, mais comme par coup de baguette magique, les choses ont changé. Une différence de 3000 francs.

En ratifiant le traité de libre circulation des biens et des personnes en 2017, lors d’un sommet extraordinaire à N’Djamena, la communauté économique et monétaire d’Afrique centrale s’est inscrite sur la logique de l’intégration des personnes et des biens. Un acte qui met fin à 45 ans de débat.   

Idriss Deby Itno et Paul Biya lors du sommet de 2017 à N’Djamena
Credit photo : Jeune Afrique

Ce traité permet aux citoyens de la zone de circuler librement muni de leurs pièces d’identités nationales (CNI, Passeports…). Mais force est de constater, comme ce fut le cas à la frontière, que les forces de sécurité chargées d’appliquer ce traité manquent de loyalisme. Ils préfèrent d’abord leur poche et après quoi, le droit sera respecté. Un comportement tant déplorer par les usagés. « On parle de la libre circulation, mon œil oui. Quelle libre circulation », s’insurge Djibrine. Comme eux, tant d’autres tchadiens qui subissent des préjugés et du racket lors de leurs différents voyages.

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Faire des sommets d’envergure est une bonne chose mais tenir à l’application et au respect des principes de minime soient-ils est encore meilleur.

Chemin faisant, l’on arrive à Touboro, à plus de 20 kilomètres de la frontière Tchad-Cameroun, c’est ici que notre voyage prend fin avec Mahamat Djarma. Il faut changer de voiture pour ceux qui veulent continuer sur Ngaoundéré, Yaoundé, Bertoua et Douala.