La conduite des affaires du Tchad ressemble à la conduite des “clando-men” sur nos avenues, avec un maître mot: passer en force. Si sur nos routes, les conséquences sont les accidents; sur le plan international, ce sont les déconvenues diplomatiques en cascade.

N’Djaména est surement, en matière de conduite, la ville la plus dangereuse du monde. Chaque jour que Dieu fait, c’est le spectacle de motos accrochés en pleine vitesse sur l’une des avenues, leurs conducteurs et occupants éparpillés sur l’asphalte dans un concert de gémissements. Assez souvent, c’est l’horrible vision de motos encastrées sous les châssis de véhicules avec leur lot de fractures, de chairs sanguinolentes, de traumatisme ou de décès. Quelques instantanés des accidents sur nos avenues sont édifiants. Avenue Sao, un véhicule et une moto roulent à toute allure en direction opposée, le véhicule amorce un virage à gauche vers le local du journal N’Djaména Hebdo, le conducteur de moto, un militaire, fonce et veut passer en force. Le véhicule le ramasse avec son engin et va l’écraser sur le véhicule du Directeur de publication en stationnement. Le militaire est plié en deux, les jambes et les reins broyés. Quartier Boutalbagar, un motocycliste s’engage sur l’avenue, quand une benne qui amorce le même mouvement le projette contre un poteau et écrase sa moto. Le motocycliste a une fracture à la jambe droite. Avenue Pascal Yoadimnadji, deux jeunes adolescents sur une grosse moto zigzaguent entre les nids de poule de cette avenue dégradée et freinent brutalement derrière un minibus de transport qui s’est arrêté sur la chaussée. Ils sont projetés fort heureusement sur un tas de sable. Mais le chauffeur qui a examiné l’arrière du vieux bus, décrète que ces enfants lui ont brisé un feu de position. Devant des enfants tétanisés par la peur et un public médusé, il embarque la moto pour “réparer” son feu arrière.

Dangers publics

Trois catégories de conducteurs sont particulièrement redoutées. Les plus dangereux sont les jeunes conducteurs de moto et les “clando-men” , dont l’essentiel pour eux est de passer coûte que coûte, à gauche, à droite, en slalomant, en forçant le passage, et toujours en vitesse. Ensuite, les minibus qui s’arrêtent souvent brutalement en pleine chaussée, aux carrefours dès qu’un client se signale, sans tenir compte des autres usagers de la route, et régulièrement c’est le choc qui se produit avec des motocyclistes, des véhicules. Enfin, les bennes qui transportent le sable, et qui sont réputés sans frein, responsables de quelques accidents parmi les plus horribles que N’Djaména connaît. Les expatriés qui débarquent chez nous, sont sidérés par la manière dont conduisent les Tchadiens. Après avoir avalé des cachets d’aspirine chaque soir en rentrant chez eux et quelques accidents stupides, ils finissent par s’y faire. Un humanitaire a envoyé un courrier électronique pour conseiller aux nouveaux arrivants au Tchad, d’adopter la “conduite à la tchadienne” . Cela consiste principalement à oublier le code de la route et à se débrouiller de son mieux pour circuler sur les avenues de N’Djaména. Circuler à petite allure en ayant le pied en alerte sur la pédale de frein, les yeux fixés sur tous les rétroviseurs, pour voir ce qui vous vient sur les flancs, en arrière, tout en gardant un œil vigilant sur sa route. Exercice de toute évidence difficile et éreintant.

Conduite identique en politique

Si on roule sans règles sur les avenues de N’Djaména, on peut en dire autant de la conduite des affaires du pays. Le président Déby a fait un passage en force sur la scène mondiale en sacrifiant trente-huit soldats tchadiens dans la guerre malienne contre les “djihadistes”. Il escomptait quelques reconnaissances et lauriers sur le plan international. Mais il n’a récolté, par son excès d’égo, que l’ire et la méfiance de ses pairs d’Afrique de l’ouest, le camouflet des Nations-unies qui non seulement lui ont refusé le commandement de la Minusma (Mission des Nations-unies au Mali), mais ont écarté totalement le Tchad de l’état-major. En effet, il ne suffit pas d’un acte de bravoure contre les djihadistes avec lesquels nos militaires ont quelques points communs dont la folie, pour prétendre conduire une armée onusienne qui requiert des compétences avérées dans les domaines militaire et du maintien de la paix. Nos militaires qui sont prêts à toutes sortes d’actions audacieuses, n’ont manifestement pas le profil. Et suprême injure pour le président tchadien, le Tchad n’a même pas été cité lors de la remise du “prix Houphouët- Boigny” au président François. Hollande pour l’intervention de la France au Mali. Ainsi, nos soldats sont morts au Mali en pure perte.

Redescendre sur terre

Ces déconvenues diplomatiques sont la bienvenue pour apprendre au Tchad plus d’humilité et de modestie dans les affaires de ce monde, car pour “jouer dans la cour des grands” , il faut bien d’autres atouts que des faits de guerre. Le rêve du président Déby Itno de faire de N’Djaména “la vitrine” de l’Afrique centrale, en se lançant dans des chantiers désordonnés (par exemple la construction d’une cité des affaires qui va coûter la bagatelle de 240 milliards de F CFA) et en décidant d’abriter dans deux ans le sommet de l’Union africaine, est un autre passage en force inapproprié dans la situation du Tchad. En effet, les humanitaires ont lancé en avril dernier une alerte contre la malnutrition qui sévit dans six régions du Tchad, touchant 126.000 enfants qui souffrent de malnutrition sévère aigüe. Cette alerte coïncidait avec les succès militaires du Tchad au Mali. Il est absurde de déployer des moyens colossaux pour s’impliquer dans une guerre sur un terrain extérieur, alors qu’on est incapable d’engager à l’intérieur un combat décisif contre la misère. Par ailleurs, comment imaginer une “cité vitrine” dans une ville où à peine 10% de ses habitants jouissent de l’énergie électrique, et cette catégorie ne profite même pas de ce privilège, à cause des coupures intempestives et quotidiennes? Et quelle qualité de communication offrirons-nous à nos visiteurs, avec des réseaux téléphoniques défectueux, une société nationale (Sotel) en banqueroute, une fibre optique qui a nécessité des investissements surdimensionnés pour des installations ratées, et une gestion compromise faute de compétences et d’études de faisabilité? Une fois de plus, comme nous n’avons cessé de le conseiller à nos dirigeants, qu’ils redescendent de leur piédestal, pour prendre en main les problèmes réels du pays et les défis à relever sont multiples et urgents au lieu de se fourvoyer dans une quête vaine de notoriété internationale.

Gata Nder

N’Djamena Hebdo #1506 disponible en pdf sur boutique.tchadinfos.com