HISTOIRE- La vie politique du Tchad de 1945 à 1975 a été marquée par deux temps : une floraison de partis dans un premier temps suivi du parti unique.

La période allant de 1943 à 1956 est marquée au Tchad par l’octroi du droit de vote aux nationaux.  En 1946 et 1951, le pays était invité à élire des députés aux assemblées nationales françaises.  En 1947, 1952 et 1959, la population était appelée de nouveau à élire des députés aux assemblées locales ou territoriales. La succession des assemblées issues de ces élections territoriales servira de point de départ à la prolifération des partis politiques.  A cette  époque, deux partis virent le jour: l’Union démocratique tchadienne (UDT) et le Parti progressiste tchadien (PPT).

A ces derniers venaient s’ajouter d’autres mouvements politiques de moindre envergure.  Il s’agit du Parti socialiste des indépendants tchadiens (PSIT), du Bloc tchadien (BT), de l’Action sociale tchadienne (AST), du Mouvement social africain (MSA), du Groupement des indépendants ruraux tchadiens (GIRT) et du  Front d’action civique du Tchad (FACT).  Un dernier parti complète la liste: l’Union franco Kanem du sultan Ali. 

Quelle que soit leur coloration, les mouvements politiques présentaient dans tous les cas des traits communs. Des facteurs internes et même d’ordre historique et sociologique ont joué un rôle déterminant dans leur formation. 

Tous les partis reflétaient les deux courants qui étaient conformes à la division gauche-droite de la vie politique française.  Etait à gauche, le progressisme du PPT, section locale du RDA (Rassemblement démocratique africain) et à droite le conservatisme avec l’UDT, l’AST, le GIRT et le MSA.  En d’autres termes, tous les partis politiques étaient des sections locales des partis métropolitains. C’est ainsi que le Mouvement Socialiste Africain (MSA) était affilié à la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO).  A gauche se rangeaient ceux que l’on nommait les évolués (infirmiers, instituteurs, agents administratifs, etc.).  Les sultans, les chefs de cantons constituaient ceux que l’on appelait la réaction.  Les divisions étaient faites, il ne restait plus qu’au territoire de recevoir son premier baptême électoral.

Pour la première fois, les Tchadiens étaient appelés à élire leurs représentants à l’Assemblée Constituante.  Les élections se déroulent le 21 octobre et le 18 novembre 1945 au scrutin nominal. Le Tchad comme les autres colonies avait élu ses représentants.  Sont retenus pour le premier collège Monsieur Malbrant (docteur vétérinaire), monsieur Tournade (Président de la Chambre de Commerce de N’Djaména) et messieurs Nègre et Bannister (deux retraités de l’armée) et pour le second collège, un nombre important  de candidats parmi lesquels le colonel Deboissoudy et monsieur Aristide Issembé (gabonais de nationalité française).  Quant aux programmes, tout le monde s’inscrivait de loin ou de près sous le signe de la France Libre. 

Dans cette période d’initiation électorale, il n’y avait pas d’étiquette politique.  Les candidats étaient des indépendants. 

Pour les consultations de novembre 1946, la grande rénovation fut l’élargissement du corps électoral.  Si au premier collège, monsieur Malbrant (Union démocratique des socialistes résidents) n’eût pour concurrent que monsieur Plumeau (adjudant d’infanterie coloniale de N’Djaména), au second collège de nouveaux candidats allaient entrer dans la danse avec des programmes parfois diamétralement  opposés. Ainsi contre Deboissoudy se présentèrent messieurs Gabriel Lisette, Jules Toura Ngaba et monsieur Monchap, un européen.

Les premières élections territoriales ou locales eurent lieu le 12 et 15 janvier 1947. Le Tchad était divisé en 6 circonscriptions.  Ce découpage reflétait une certaine crainte chez la puissance colonisatrice.  En effet, les maîtres du Tchad ont pris conscience de leur faiblesse.  Ils savaient que la marche vers l’autonomie interne était irréversible et que l’indépendance elle-même était simplement une question de temps.  Unies, les régions paraissaient puissantes et constituaient une menace pour la survie de leurs intérêts.  Il fallait donc les disloquer pour mieux faire pression sur les chefs de canton et les sultans qui servaient de courroie de transmission entre le pouvoir administratif et la masse.  Et avec cet émiettement des régions, une voie était ouverte pour opposer le Nord et le Sud, l’Ouest et l’Est, et enfin les évolués, ceux qui étaient décidés à libérer le Tchad aux chefs traditionnels.

Autrement dit, les groupes politiques PPT et autres étaient encore inconsistants.  La liste des régions laissait présager un dur affrontement de listes.

On trouvait des listes d’Union républicaine du Tchad (URT) et des listes d’indépendants.  Les premières étaient composées essentiellement de commerçants (M. Kieffer, Blanchard et Lallia).  Les secondes étaient celles des fonctionnaires.  On pouvait citer M. Sabin Schaeffert. 

Aux résultats, l’UDT, la liste des chefs de canton remporta les sièges du Ouaddaï et du Logone.  L’Union Franco-Tchadienne en fit de même au Kanem.  L’Union Républicaine du Tchad de son côté racla tous ceux du Moyen Chari et du Lac.  Les Indépendants quant à eux, ne gagnèrent qu’un seul siège dans le Batha-Salamat. 

 Cependant le progressisme, avec son parti d’avant- garde le PPT, ne reste pas les bras croisés.  Et pendant que l’UDT et l’URT se rapprochaient du RPF, le PPT réaffirma son attachement au Parti communiste français et ses candidats ne doivent intervenir que pour séduire la masse tchadienne qui avait vraiment hâte d’en finir avec le colonialisme.  Malgré une campagne intelligemment menée, le PPT ne récolta que des échecs.  Gabriel Lisette fut étrillé.  Contre lui étaient élus Messieurs Béchir Sow et Sou IV (Union démocratique tchadienne – UDT).  Cette victoire est due à l’œuvre de l’administration coloniale qui a utilisé contre le PPT, l’intimidation, la provocation et les trucages électoraux.

Décidément les élections s’enchaînèrent à ce rythme surprenant.  En 1952, les populations furent appelées de nouveau aux urnes, pour élire une deuxième assemblée territoriale pour une période de cinq ans.

Des dissidences au sein de chaque formation politique commencèrent à voir le jour.  Il y a une opposition ouverte entre le RPF et ses sections locales d’une part, un affrontement entre le PPT réformiste et son aile dure d’autre part.  De nouveaux mouvements politiques surgirent de leur côté. Ce fut le cas de l’Union démocratique des indépendants tchadiens (UDIT) et l’Action sociale tchadienne (AST).  Ces deux formations naquirent de la scission de la droite locale et du Parti socialiste indépendant (PSI) d’Ahmad Koulamallah.

A signaler aussi la prolifération des listes et les échecs que le PPT allait récolter encore pour ces élections.

En 1958, le peuple tchadien était de nouveau appelé aux urnes pour élire une assemblée constituante.  Dès cet instant, les regroupements allaient s’opérer.  Il y avait d’une part l’entente PPT et d’autre part celle du Mouvement-populaire tchadien (MPT).

 L’intergroupe PPT englobait le Parti progressiste tchadien et le Mouvement social africain d’Ahmad Koulamallah tandis que celui du MPT rassemblait l’Union démocratique des indépendants tchadiens, le Groupement des indépendants ruraux tchadiens, l’Action sociale tchadienne et l’Union nationale tchadienne. Ces mariages étaient nécessaires pour chaque formation afin de renverser le gouvernement. 

Pour la première fois depuis le début du développement de la vie politique autochtone le PPT remporta une victoire éclatante.  En effet, l’intergroupe de ce parti qui jusqu’à présent ne faisait qu’essuyer des échecs sortit vainqueur des élections avec 68 députés sur 85. D’ailleurs à lui seul, en excluant ses alliés, le PPT avec 57 sièges, est majoritaire.  On s’acheminait donc progressivement vers le parti unique en passant par le bipartisme.  Cette transition était aussi longue qu’il fallait définir d’abord dans un premier temps, le rôle que devait jouer le PPT en tant que Parti dominant dans la conduite des affaires de l’État. 

La consolidation du Parti progressiste tchadien s’effectua à l’intérieur à l’occasion de son premier congrès tenu à Abéché du 1 au 3 décembre 1959 et à l’extérieur pour le développement de son rôle dans la conduite des affaires de l’Etat.

 En 1960, le schéma du PPT massif flanqué de petits partis fut brusquement modifié par la fusion de toutes les autres formations politiques en un seul grand parti national dit Parti national africain (PNA).  Ce groupement amorcé depuis le 30 janvier 1954 mais qui n’avait pu être cristallisé, comprenait le GIRT, I’URT, le MESAN. En se rapprochant du PNA, le PPT perdit une partie importante de ses militants. Les présidents du PPT (Tombalbaye) et du PNA (A. Koulamallah) se concertèrent discrètement et rendirent public une déclaration selon laquelle le PPT et le PNA décidaient de s’unir sous l’appellation de l’Union pour le Progrès du Tchad.

Mais cette alliance était-elle sincère?  En fait, il ne s’agissait pas d’une union mais de l’absorption du PNA par le PPT.  C’était en quelque sorte un prélude à l’institution du Parti Unique au Tchad.